Théories Economiques Comparées Croissance et crises Cours de MM. Ramaux et Assous Travaux Dirigés J. Beuve et M. Koning 1 Avant Propos Ce cours fait suite à l'enseignement de première année. Il constitue son prolongement mais change d'angle d'analyse. En effet, lors du premier séminaire de théories économiques, les élèves ont appris quelles étaient les sources de la création de la valeur (échange et usage) chez les auteurs classiques et quelles étaient les routes à suivre afin de jouir de la « Richesse des nations «. L'étude des textes d'A. Smith ou D. Ricardo a permis de mettre en avant les principes centraux que sont la division du travail et l'extension du marché, la formation et la répartition de la valeur, les théories des avantages absolus/comparatifs... L'enseignement introductif se conclue sur les thèses de l'état stationnaire. La croissance économique est dans ce cas équilibrée, sans heurts, et elle débouche sur la «fin de l'histoire « (Fukuyama). La perspective est toute autre en seconde année. Il s'agit désormais d'introduire les étudiants aux thèses hétérodoxes et à la réécriture des théories économiques autour de la problématique « croissance et crises «. On abordera ainsi les causes des trajectoires hors-équilibre qu'ont connues de nombreux pays durant leurs développements industriels respectifs, les grands auteurs associés à ces thèses. Se posent ainsi les questions de la dynamique et de la cohérence du système capitaliste tel que décrit par les auteurs classiques. Seront successivement présentés Malthus, Marx, Keynes, les néo et postkeynésiens, l'école de la régulation. Le dossier 1 débute néanmoins par un retour en arrière et présente la loi de Say. Il s'agit là d'un bon angle d'attaque puisque les idées défendues par l'économiste français ainsi que les conclusions sur lesquelles il débouche seront celles vivement critiquées par les auteurs étudiés. Références biblio : - « Histoire de la pensée économique- les fondateurs « (1988), Baslé, Benhamou, Chavance, Gélédan, Léobal, Lipietz, Edition Sirey - « L'économie hétérodoxe « (2007), Galbraith, Opus Seuil - « La pensée économique moderne « (1997), Snowdon, Vane, Wynarczyk, Ediscience international - « Découverte de l'économie « (2008), Cahiers Français, n°345, La documentation française - Les différents livres de la collection Repères, sur Marx, l'économie classique, Keynes, la Régulation... - « Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises « (2008), Lordon, Edition Raisons d'agir - « La pensée économique depuis Keynes « (1996), Beaud, Dostaler, Edition abrégée Economie 2 Rappels sur les Classiques1 « L'économie classique « (Cf. Marx) cherche à expliquer la dynamique du capitalisme dans une époque marquée par la révolution industrielle. Pour l'école anglaise, les « pessimistes « (autour de Ricardo), il existe des lois naturelles implacables et des antagonismes au sein de leur société. Pour l'école française, les « optimistes «, c'est l'exaltation du rôle de la production et la confiance dans le développement industriel. De nombreux débats pour savoir où et quand commence/s'arrête la pensée classique (Mill/Smith/Ricardo jusqu'à Marx/Pigou ?). Nombreux débats également sur la définition de l'économie. « Savoir comment enrichir à la fois le peuple et le souverain « (Smith), « science qui montre comment se forment se distribuent et se consomment les richesses « (Say), « déterminer les lois qui gouvernent cette répartition « (Ricardo), Mill pense que l'économie politique (Monstchrétien, 17ème) traite à la fois des lois de la production (lois physiques) et de la répartition des richesses (règles et coutumes des sociétés). Les Classiques se distinguent des Physiocrates qui sacralisaient les richesses de la nature. Ils accordent la prépondérance au travail et à la production des marchandises. Le meilleur exemple de cela est la place accordée par Smith à la division du travail, à la hausse de la productivité qui en résulte (habilité, réduction des temps morts, diffusion du machinisme) et à l'étendue des marchés. L'accumulation du capital rendue possible par l'épargne permet d'étendre la division du travail. Il existe deux types de capital : le fixe (avec l'amortissement annuel) et le circulant (qui disparaît dans le processus de production). Il y a également une distinction entre travailleurs productifs (qui ajoutent de la valeur au produit) et improductifs (salaires payés sur des revenus externes). La richesse des nations dépend de l'accroissement du nombre de travailleurs productifs (Smith). Il y a également une distinction entre valeurs d'usage et d'échange. La première représente l'utilité objective du bien mais ne peut représenter la mesure de l'échange. La seconde est généralement fondée sur la quantité de travail. Pour Smith, c'est la valeur d'échange est égale à la quantité de travail que la marchandise permet d'acheter ou de commander. Pour Ricardo, c'est la quantité de travail incorporé qui compte, intégrant ainsi le travail direct mais aussi le travail indirecte. Les prix de marché sont soumis à l'offre et à la demande. Ils ne coïncident pas spontanément avec les « prix naturels «, ou valeur d'échange. Il faut mettre en évidence le processus de gravitation des prix de marché autour des prix naturels. Comme nous le verrons plus loin, il existe une grosse scission autour du rejet ou non de la loi de Say. Il en est du rôle de l'épargne et de l'investissement comme vertu, préalable à l'accumulation du capital. Dans l'analyse classique, la société moderne comprend trois classes sociales percevant des revenus primaires : propriétaires fonciers et rentes, travailleurs et salaires, capitalistes et profit. La rente foncière est-elle absolue, relative, les deux à la fois ? Pour Smith, la rente a le caractère d'un prix de monopole, elle dépend du rapport de force entre propriétaires et paysans. C'est une des composantes du prix naturel, avec les salaires et le profit. Pour Malthus et surtout Ricardo, la rente différentielle met en évidence les rendements décroissants de l'agriculture. C'est la productivité de la dernière terre qui détermine le niveau de la rente. La rente n'est pas un phénomène de production, mais de répartition. Il s'agit d'un transfert de valeur (et de produit) du fermier vers le propriétaire foncier, donc aux dépens du profit. Le salaire permet l'entretien des travailleurs. Il faut distinguer salaire naturel et salaire courant. Le premier dépend des us et coutumes d'une société, minimum de subsistance historiquement daté. Le second résulte des mécanismes du marché. Le profit est une variable essentielle de la pensée classique. C'est le régulateur de l'activité économique. Il existe une tendance à l'égalisation des taux de profit entre les branches de l'économie par transfert de capital et de travail. Le profit est l'unique source de l'accumulation du capital, la « consommation productive «. Ricardo établit une relation inverse entre salaires et profits, via les prix agricoles. 1 J.P. Potier,Cahiers Français, pp. 3-7 3 Les classiques réfléchissent sur la dynamique de long terme de la répartition de la valeur et du capitalisme. Selon Ricardo, les rendements décroissants dans l'agriculture entraînent une hausse de la part de la rente et des salaires, au détriment du profit. Ces rendements font augmenter le nombre de travail dans la production d'une unité et entraîne une augmentation du prix du blé qui se répercute sur les salaires. A chaque fois que les profits baissent, les motivations à l'accumulation du capital se réduisent. La société quitte l'état progressif pour aller vers l'état stationnaire. Cela peut conduire à un arrêt de l'accumulation du capital. Il existe des contre tendances : innovations dans l'agriculture et la libre importation des produits agricoles. Les classiques pensent que la concurrence est le meilleur moyen d'atteindre une hausse de la richesse de la nation. Il existe un ordre naturel qui se réalise de lui-même grâce à la liberté individuelle, la poursuite de l'intérêt individuel allant dans le sens de l'intérêt de tous. Métaphore de « la main invisible «. Smith souligne néanmoins l'asymétrie sur le marché du travail qui nuit aux travailleurs, les entraves à la concurrence réclamées par les capitalistes. A travers la poursuite de l'intérêt individuel, c'est le bonheur du plus grand nombre qui est visé (Bentham, Mill). Le rôle de l'état pour les classiques est résiduel. Mais ce n'est pas uniquement un « état gendarme «. Il doit prendre en charge les activités qui l'initiative privée refuserait d'accomplir (biens collectifs et free riding ; justice, services publiques, défense nationale). L'état doit aussi intervenir en matière de monopole et de régulation. Pour Mill, il faut parfois tempérer les jeux de la libre concurrence (éducation, santé). Les classiques critiquent le système de balance du commerce qui fonde les règles des échanges extérieurs, dans la pensée et les pratiques mercantilistes. Le commerce extérieur permet d'accroître l'étendue des marchés, la division du travail... Pour Smith, cela permet de profiter des avantages absolus ou naturels, pour Ricardo ceux-ci sont comparatifs. Dans tous les cas le commerce international est un jeu à somme positive. Débat sur les cornlaws qui aboutit par leur retrait en 1846, après la mort de Ricardo. 4 Dossier 1 La loi de Say et sa critique par Marx à travers les schémas de reproduction Les deux grandes questions qui entourent la loi de Say peuvent se résumer ainsi : - Quelles sont les conditions de la croissance économique ? - Existe-t-il des crises ou des problèmes de débouchés ? La loi de Say (1803) [NB : 10 pages sur l'ensemble du Traité, soit moins de 2% de l'ensemble de l'ouvrage] constitue un élément de réponse central à ces interrogations car largement reprise par la majorité des auteurs classiques. A la première ils répondent ainsi que c'est l'accumulation du capital qui est au coeur du processus, à la seconde ils répondent par la négative et nient l'existence de déséquilibres. Nous présentons donc dans une première partie cette loi, ces fondements et ses implications. Dans un second temps, nous reprenons la critique qui lui en est faite par Marx (mais aussi par Malthus et Sismondi. Critiques qui lancent le développement d'une pensée hétérodoxe). 1.1- La loi des débouchés de Say L'auteur et le contexte : Jean Baptiste Say (1762-1832), économiste français fondateur de l'école de Paris2. Il est un des premiers grands libéraux. Grand vulgarisateur, il introduit la France à « La richesse des Nations « et tentera tout au long de sa carrière d'imposer le schéma de pensée smithien à ses contemporains. Il participe grandement aux débats politique et public, notamment sur l'impact néfaste des corporations ou autres « maîtrises et jurandes « que la loi le Chapellier (1774) ainsi que la révolution française tenteront difficilement de faire disparaître. Pensons ainsi aux politiques colbertistes et mercantilistes qui ont ouvert l'ère industrielle de l'Etat-Nation. Il est un des premiers à parler des effets néfastes des groupes d'intérêt et prône la libre entreprise. Il reste en effet comme un des premiers auteurs associé à 2 Dont se revendiquent aujourd'hui certaines écoles anarcho-capitalistes, avec entre autres de Molinari comme autre auteur phare. 5 la figure de l'entrepreneur et montera lui-même durant sa vie diverses affaires. Son oeuvre majeure reste « Traité d'économie politique « (1803). La loi de Say ou Loi des débouchés : Deux phrases célèbres permettent de résumer cette loi ainsi que sa portée. « C'est la production qui ouvre des débouchés aux produits « et. « L'argent ne remplit q'un office passager dans ce double échange ; et, les échanges terminés, il se trouve toujours qu'on a payé des produits avec des produits « On peut ainsi résumer la loi en disant que l'offre crée sa propre demande. On aperçoit immédiatement le fait que Say est un économiste de l'offre. Explication de la loi : La production et la vente de biens industriels (car il s'agit là de ses préoccupations) génèrent automatiquement un revenu servant lui-même à l'achat de nouveaux biens. Cette logique peut se reproduire à l'infini, semble auto-entretenue et relie entre eux les différents marchés (vision systémique considérant les interdépendances comme naturelles et acquises). Surtout, elle est centrée sur l'offre et en fait la force dominante. Il n'y alors pas de problèmes de débouchés et de crises. C'est l'apologie du « laissez-faire «.... Le schéma suivant permet de la synthétiser : Production Revenu Demande de biens de conso Salaires entièrement consommés + Consommations improductives Profits et rentes Demande de biens de conso Investissements Epargne + Demande de biens de production Prêts aux entrepreneurs = 6 Il est à noter que la loi des débouchés présuppose trois points majeurs pour être valable (ces points seront repris par ses détracteurs) : (1) Elle ne considère pas le temps puisque considérant les ajustements sur les marchés comme instantanés. (2) Elle n'accorde aucune place à la monnaie puisque celle-ci ne peut avoir d'effets sur la sphère réelle. Say parle alors de la « monnaie voile « et écarte l'acte de thésaurisation3. (3) Enfin, la loi des débouchés est « a-institutionnelle « en ce sens qu'elle néglige les rapports sociaux. Il n'existe point de conflits qui tendent à brouiller la logique mécanique de la loi des débouchés. Notons que Say n'est pas le premier à évoquer cette idée : Le Trosne (au siècle précédent) : « les productions ne se paient qu'avec des productions « Toutefois, il est le premier à en faire une loi et à en tirer plusieurs conséquences : Conséquence 1. « Plus les producteurs sont nombreux et les productions multipliées, et plus les débouchés sont faciles, variés et vastes « : l'abondance de la production se traduit automatiquement par de larges débouchés Conséquence 2. « Chacun est intéressé à la prospérité de tous, et que la prospérité d'un genre d'industrie est favorable à la prospérité de tous les autres «. La prospérité des uns rejaillit sur celles des autres. Conséquence 3. Les importations sont favorables à la vente des produits nationaux (le commerce international représente un débouché). Malgré tous ces points, Say reconnaît lui-même qu'il peut exister quelques crises de surproduction. Celles-ci sont toutefois limitées et temporaires, d'une si faible ampleur qu'elles ne peuvent contrecarrer la logique implacable du mécanisme auto-entretenu. Ces crises ont pour origines un quelconque dysfonctionnement sur un marché (catastrophe 3 Notons que temps et monnaie sont présentés par le macro-économiste Garrison (1992) comme les deux fondamentaux des systèmes économiques. 7 naturelle, approvisionnement) ou bien une décision politique contraignante. C'est via ce dernier point qu'on connaît la figure de Say combattant les rentes, les abus de l'administration (on retrouve le « laissez faire «). Pour lui, l'Etat doit jouer un rôle de « catalyseur « et offrir un environnement favorable (Ecole de Fribourg et l'économie sociale de marché : agir sur le cadre mais pas sur le processus). Au final, la loi des débouchés occupe une place centrale dans l'analyse classique du capitalisme. Elle permet la cohérence de son système de pensée. L'accumulation du capital est vitale car c'est elle qui permet d'investir et d'accroître les capacités de production. On retrouve donc là le caractère vertueux de l'épargne (Smith). Cette nouvelle offre assure la réalisation d'un profit et d'une épargne, elle-même réinvestie dans une nouvelle offre. Les différents marchés évoluent de manière simultanée et symétrique. La croissance est alors équilibrée, telle que l'offre conditionne et égalise la demande, il n'y a pas de crises. Notons que Say, contrairement à d'autres, ne s'étend pas sur la question de l'état stationnaire.... La critique de la loi des débouchés par Malthus L'auteur et le contexte : Malthus (1766-1834) est un ancien pasteur anglais dont l'enseignement intellectuel fut fortement influencé par son père, penseur proche de Condorcet et Godwin. Son oeuvre est fortement marquée par son expérience personnelle : en tant que membre du clergé, il passa du temps à aider les pauvres dont le nombre explosait en ce début de RI (mouvement des enclosures, exodes rurales, loi sur les pauvres). Durant cette période, il changea de position et fut convaincu que secourir les pauvres n'avait pour unique effet d'en multiplier le nombre. Sa fameuse théorie démographique selon laquelle la population augmente de façon géométrique et plus rapide que les subsistances (façon arithmétique, rendements décroissants), ce qui conduit à un ajustement nécessaire et douloureux par la démographie- est fortement influencée par cette période de sa vie. Malthus fut aussi un personnage public participant à de nombreux débats de son époque. Le plus célèbre fut notamment son opposition avec D. Ricardo sur les « Corn laws «. Il réussit à convaincre le parlement britannique de maintenir les quotas d'exportations-importations sur le blé, cette décision n'étant remise ne cause que bien plus tard (1841, après la mort de Ricardo). Son oeuvre la plus célèbre reste « Les principes d'économie politique « (1820). Sa réfutation de la loi des débouchés provient de son approche par la théorie de la demande. Il est peut être un des premiers théoriciens adoptant cette posture. Malthus réfute principalement la théorie de la valeur classique. Pour lui, les coûts de production comptent bien entendu, mais c'est surtout l'intersection entre l'offre et la demande qui importe. Rappelons que pour les auteurs mainstream, la valeur est déterminée par le prix naturel, lui-même guidé par les considérations de profit naturel. On est donc dans une vision ne prenant en considération que l'unique offre. Ce point est primordial car Malthus s'oppose également à la notion de demande effective avancée par A. Smith (notons au passage qu'il ne faut pas confondre la vision malthusienne de la demande effective avec celle keynésienne comme nous le verrons plus tard). Pour l'auteur de « La richesse des nations « (1776), la demande effective est le niveau de biens demandés par ceux qui sont prêts à en payer le prix naturel. Pour Malthus, la demande effective est la demande de ceux qui ont les moyens ainsi que la volonté 'en donner un prix suffisant. Il fait donc directement référence à la notion plus contemporaine de PA. Cette idée est centrale lorsqu'on sait quelles étaient les considérations des auteurs classiques au sujet du niveau de salaire (salaire de subsistance ne permettant que l'unique reproduction des travailleurs). 8 Pour remettre en cause la loi des débouchés, Malthus cherche à savoir quelle serait la conséquence si les capitalistes utilisaient une plus grande partie de leurs fonds en épargne et en augmentation des capacités de production (manière productive). Ce nouveau capital entraîne une nouvelle offre mais celle-ci ne débouche pas nécessairement sur une hausse équivalente de la demande. La consommation des capitalistes (nette de l'épargne) et en effet considérée comme une dépense de la part de travailleurs improductifs. Le même schéma s'applique si les propriétaires fonciers se transforment en capitalistes. Ce nouveau capital autorise certes l'embauche de nouveaux travailleurs productifs, mais ceux-ci étant payés au niveau du salaire de subsistance, il n'est pas dit que la hausse de cette demande compense la baisse des dépenses improductives de la bourgeoisie : + ? Dép. des nouveaux travailleurs productifs <= - ? Dépenses improductives On retrouve là en filigrane l'opposition Smith/Mandeville au sujet de la « fable des abeilles « (vice privé, vertu publique). Au final, ce schéma peut largement provoquer une crise de surproduction qui, par effet boule de neige, déséquilibre l'ensemble des secteurs et brise ainsi la cohérence systémique de la loi de Say (interdépendance des différents marchés). La surproduction provient ici de l'insuffisance de la demande et remet en cause les bienfaits systématiques de l'accumulation du capital. Celle-ci doit être jaugée au regard du niveau de la demande effective... Malthus précise en peu ces propos et avance d'autres arguments pour remettre en cause la loi des débouchés : la production ne correspond pas forcément aux besoins réels des consommateurs, les capitalistes ne limitent pas leur désir d'investissements à ce qui est nécessaire, propension excessive des capitalistes à épargner, non mobilité parfaite du capital entre les différentes branches de l'économie. Cette vision de Malthus se retrouve dans des cas concrets. Il voit ainsi la misère ouvrière et les crises qui la suivent à partir de 1815 come résultant d'une insuffisance de la demande. Il propose pour y remédier un financement public de grands travaux (New Deal avant l'heure)... Malthus n'et pas le seul auteur de son époque à critiquer la loi des débouchés. Le pessimiste Sismondi (17731842) propose un schéma de pensée similaire : « La consommation n'est pas la conséquence nécessaire de la production «, « les besoins et les désirs ne sont satisfaits par la consommation qu'autant qu'ils sont unis à des moyens d'échange «. On retrouve donc là les idées selon lesquelles il existe des problèmes de solvabilité de la demande, que la demande n'est pas connue si facilement sur les différents marchés. Sismondi insiste également sur deux points majeurs : la « captivité « du capital, ainsi que les conflits sociaux entre ce qui n'est pas encore appelé des classes. Au final, malgré ces critiques annonciatrices des thèses marxistes et keynésiennes, il faut retenir que le 19ème siècle fut celui de la loi des débouchés. Inspirée de la vision smithienne, harmonieuse et coordonnée, cette loi va occuper une place centrale dans le système de pensée classique. Ricard l'a par exemple largement reprise. La loi de Say conclut à un développement équilibré et cumulatif de la dynamique capitaliste, basé sur l'offre et l'accumulation du capital. Elle ouvre la porte à l'apologie du 'laisser faire, laisser passer).... 1.2- La critique de la loi de Say par Marx à travers les schémas de reproduction Auteur : Karl Marx (1818 - 1883 : naissance de Keynes), c'est un penseur multi-disciplinaire, historien, philosophe, économiste, politiste... Il est considéré comme l'un des plus grands penseurs en sciences sociales (à l'image de Freud), a laissé une forte influence épistémologique (courants hétérodoxes) mais aussi historico-politique (« lutte des classes « + URSS)...Concernant les sciences économiques, il est souvent considéré comme le « dernier 9 Classique «. Sa critique du capitalisme se base en effet sur de nombreux postulats théoriques repris à ceux-ci. Marx a énormément voyagé durant sa vie, au gré de sa volonté ou de ses exils politiques forcés. Il visita ainsi l'Allemagne, la Belgique, la France communarde, Londres. A chaque fois, il a participé aux débats politiques de son époque. Il participe ainsi à la fondation de l'AIT en 1964 Bibliographie 1841 « Thèses sur la philosophie chez Démocrite et Epicure «, 1845 « Thèses sur Feuerbach « (concept d'aliénation), 1848 « Manifeste du PC « (avec Engels), 1850 « Lutte des classes en France «, 1852 « 18 Brumaire de L. N. Bonaparte «. Il est à noter que les textes économiques de Marx, à commencer par les « Matériaux pour l'économie «, prélude au « Capital « (3 livres), n'ont pu être publiés par l'auteur lui-même. C'est son ami Engels qui s'en chargera après sa mort, celui-ci étant également relayé par Karl Kautsky. La notion de crise est centrale chez Marx, il en fut d'ailleurs le premier réel auteur. Cette vision pessimiste est inscrite dans son « matérialisme historique « (de manière générale), et plus particulièrement au sein du mode de production capitaliste. Comme nous allons le voir, deux grandes tendances doivent déboucher sur la crise : la surproduction et la sous consommation. La position ambivalente de Marx dans la pensée économique : Il est à la fois considéré comme le dernier classique dans la mesure où ils partagent avec eux le concept de la valeur travail (la valeur d'une marchandise dépend du travail qu'elle incorpore). Toutefois, il s'en distingue dans la mesure où il fait référence non pas au travail incorporé mais à la force de travail incorporé (la nuance est importante dans la mesure où elle permet de comprendre en quoi l'accumulation du capital dépend de l'exploitation de la force de travail par les capitalistes). De plus, Marx critique fortement la vision classique en réfutant le fait que l'économie soit animée par des lois générales et universelles. Pour lui, les lois économiques n'ont rien de naturel. Elles sont toujours liées à leur contexte, elles sont « historiquement déterminées «. De plus, les classiques portent l'essentiel de leur analyse sur l'échange sans s'intéresser à la production. Cette phase est pourtant essentielle aux yeux de Marx et c'est précisément dans cette phase que l'on observe l'exploitation des salariés. Rappels philosophiques préalables et vision d'ensemble : le matérialisme historique de Marx repose sur les principes de dialectique, de dépendance réciproque entre bien-être de tous et bien-être individuel. Il n'existe pas de vision harmonieuse de la société, celle-ci étant remplie de conflits entre les intérêts de ses différentes composantes. Comme il le dit lui-même, ces conflits sont le « moteur de l'histoire «. C'est ainsi à l'Etat de créer les institutions qui régulent les contradictions inhérentes de la société. 10 La philosophie de Marx s'inspire et s'oppose à deux auteurs : Feuerbach et Hegel. Il retourne ainsi le principe de la dialectique hégelienne selon laquelle c'est la conscience qui détermine l'existence. Pour Marx les contradictions proviennent des conditions matérielles (conception matérialiste). La vie matérielle prime sur la vie sociale. Cette vision provient également de la conception marxiste de l'aliénation. Contrairement à Feuerbach, « l'opium des peuples « n'est pas Dieu. C'est le travail qui est la source de l'aliénation. Le travailleur est étranger au produit de son travail, la production appartient aux capitalistes, ceux-ci organisent le travail et détiennent la propriété privée des moyens de production. Au final, ce sont les « infrastructures économiques qui déterminent les superstructures sociales et politiques «. Il faut également raisonner en termes de périodes historiques, de modes sociaux. Contrairement aux Classiques, le Capitalisme prend en effet différentes natures selon les époques... Mode de Production (MDP) : un MDP se définit à l'aide de deux composantes. Alors que les rapports sociaux de production se reportent aux rapports qu'entretiennent les hommes entre eux (distinctions de classes), le développement des forces productives détermine les rapports des hommes à la Nature (technicité, productivité). Il existe un rapport dialectique entre les rapports sociaux de production et le développement des forces productives (principe de contradiction) (thèse+antithèse=synthèse) : Nlle classe mettant en oeuvre de nlles forces productives Forces productives Conflit avec les détenteurs du pouvoir Rapports sociaux de production antérieurs Entraves Conflits entre ancienne et nlle classes Victoire de la nlle classe Modification des rapports sociaux de production Partant de là, Marx mène une analyse approfondie de l'histoire. Il étudie et caractérise ainsi les MDP asiatique, antique, féodale, capitaliste et communiste. La transition du capitalisme vers le communisme aura lieu à cause d'un développement inconsidéré des forces productives capitalistes. Ce MDP porte en lui ses contradictions internes (surproduction et sous consommation). Marx cite ainsi le développement du machinisme, la concentration 11 accrue du capital et de la production. Les ouvriers (qui se définissent comme une classe, contrairement aux paysans, car ayant une conscience commune) voudront détenir une part plus importante de la production, ce qui les mènera à la révolution. La dictature du prolétariat l'emportera, ce sera la fin de la lutte et les classes sociales disparaîtront. La lutte des classes Les classes se définissent par rapport à une communauté d'intérêt économique (élément objectif) et une conscience de classe (élément subjectif). La lutte des classes est le moteur de l'histoire en ce sens où elle fait apparaître une succession de modes de production qui sont traverser par des contradictions qui les font disparaître : communisme primitif, esclavagisme, feodalisme, capitalisme, socialisme, communisme. On retrouve ainsi chez Marx une forte influence de la dialectique hégélienne selon laquelle toute réalité est porteuse de formes contraires. Ainsi, les forces s'opposent au cours du temps et engendrent des forces nouvelles. Chaque situation sociale se transforme en son contraire (antithèse) et entraîne une situation nouvelle (synthèse). Les crises du MDP capitaliste : Selon Marx, la valeur trouve son fondement dans le travail (« travail socialement nécessaire «, historiquement daté). Toutefois, la valeur d'échange se détermine via la monnaie, celle qui compte dans le MDP capitaliste. La monnaie pose problème car elle trouble la nature des échanges en permettant une scission entre achat et vente. « Le vendeur se change en thésauriseur « puisqu'il peut retirer de la monnaie de la circulation (contrairement à la loi de Say). Cet acte réduit le revenu disponible pour l'achat des biens et peut engendrer une crise de surproduction. Ce point pose problème car la thésaurisation est le préalable à l'accumulation du capital, moteur de la logique. Marx s'oppose à la loi des débouchés sur la nature même des échanges. Il est en effet connu pour avoir introduit le concept de plus-value : M-A-M' ? A-M-A' avec A'= A +? A >= A ? A = Plus-value Alors que la loi de Say décrit le premier schéma, Marx justifie que le MDP capitaliste est caractérisé par la seconde logique : « C'est l'existence de la plus-value qui permet de justifier l'existence du capital «, « La plus-value apparaît dans la sphère de la production «. Rappel : - Circulation = marché ordinaire/monnaie voile/ A=A'. Production= repose sur la force de travail/prod>travail socialement nécessaire/surtravail=plus-value 12 - La réalisation de la plus-value nécessite la validation du marché, la vente de la production (ce qui n'est pas le cas si surproduction ou sous-consommation) La plus-value trouve donc son origine dans la force de travail. Celle-ci est en effet le seul facteur de production ayant la caractéristique de rapporter plus qu'il n'a besoin pour se reproduire. Ce qui explique les conflits entre bourgeoisie et prolétariat, les profits des premiers dépendant de l'exploitation des seconds. Les schémas de reproduction Les schémas de reproduction sont la formalisation des conditions de reproduction d'un système économique4. Les schémas de reproduction de Marx se décomposent en deux étapes. Il décrit tout d'abord la reproduction simple qui caractérise une situation statique, puisque n'intégrant pas les investissements. Ce schéma initial est ensuite complété par la logique d'accumulation du capital (reproduction élargie, vision dynamique). Marx considère deux « sections « pour réaliser ses schémas : le secteur des biens de production (ce qu'il appelle les « consommations productives «) et le secteur des biens de consommation (« consommations individuelles des classes capitaliste et ouvrière «). Il distingue également deux types de capital : - Le capital variable (V) qui correspond à la valeur de la force de travail socialement nécessaire à la production (datée historiquement par l'état des techniques, le développement des forces productives), i.e. la somme des salaires payés pour assurer la reproduction de la force de travail en action (salaire de subsistance). - Le capital constant (C) représente quant à lui « tous les moyens de production employés dans les branches à des fins de production «. Cela intègre donc le capital fixe (machines, bâtiments, bêtes) ainsi que le capital circulant (consommations intermédiaires). 4 Certains les considèrent comme étant un préambule aux modèles macroéconomiques de croissance exogène (Solow, 1956, rendements décroissants, importance de la démographie et surtout du PT exogène) ou endogène (Romer, 1986, Lucas, 1988, Barro et Gordon, 1990). Par ailleurs, on peut attribuer la paternité de ces schémas économiques à F. Quesnay, auteur majeur des physiocrates, et à son célèbre « zig zag « (1758). Il s'agissait alors de décrire la dynamique du secteur productif (agricole pour les physiocrates) au travers des réserves de semences et de terres cultivées. 13 La valeur du produit annuel total est égale à la somme du capital variable, du capital constant et de la plus-value (Pl) (surtravail naissant dans la sphère de la production). Il est important que cette « valeur du produit annuel « est exprimée comme une valeur monétaire, une valeur d'échange. Reproduction simple : Hypothèses retenues : les marchandises sont vendues et consommées à la période suivante, les marchandises sont vendues à leur vraie valeur, économie fermée, la Pl est intégralement consommée par les capitalistes. Sur le secteur des biens de production : O1 = C1 + V1 + Pl1 et D1 = C1 + C2 A l'équilibre on a donc : V1 + Pl1 = C2 Sur le secteur des biens de consommation : O2 = C2 + V2 + Pl2 et D2 = V1 + V2 + Pl1 + Pl2 A l'équilibre : C2 = V1 + Pl1 On retrouve donc bien les deux mêmes conditions d'équilibre. Si elles ne sont pas réunies, l'économie est porteuse de crise. La reproduction simple est toutefois une situation simplifiée ne prenant pas en compte ni l'épargne, ni l'investissement, et donc pas l'accumulation. Ce schéma a pour but premier de préparer le second. Reproduction élargie : Hypothèses retenues : une partie de la Pl sert désormais à l'accumulation du secteur dans lequel elle est prélevée. C'est l'essence même du MDP capitaliste : l'accumulation du capital. Il est alors possible d'accroître aussi bien le capital variable que le capital constant (les deux étant interdépendants). Enfin, une partie Zi de cette Pl est toujours consommée par les capitalistes. Sur le secteur des biens de production : 14 O1 = C1 + V1 + Pl1 = C1 + V1 + ?C1 + ?V1 + Z1 et D1 = C1 + C2 + ?C1 + ?C2 A l'équilibre : V1 + ?V1 + Z1 = C2 + ?C2 Sur le secteur des biens de consommation : O2 = C2 + V2 + Pl2 = C2 + V2 + ?C2 + ?V2 + Z2 et D2 = V1 + V2 + ?V1 + ?V2 + Z1 + Z2 A l'équilibre : C2 + ?C2 = V1 + ?V1 + Z1 Ainsi, on remarque que la demande en biens de production et de consommation concerne « le renouvellement, mais aussi l'accroissement «. Au final, l'équilibre des deux sections repose encore une fois sur les mêmes conditions. Il s'agit des « conditions d'équilibre des flux intersectoriels «. Celles-ci décrivent l'état stationnaire (reproduction simple) ou la croissance régulière et équilibrée de la production. Ces schémas servent à Marx à démontrer le caractère instable de la dynamique capitaliste. Il n'y a en effet aucune raison que ces conditions soient satisfaites. « L'anarchie du marché « ainsi que la « captivité « du capital impliquent ainsi des risques de surproduction, risques cumulatifs car on comprend bien la notion d'interdépendance sectorielle. Le déséquilibre sur un marché est un vecteur de propagation aux autres secteurs considérable. Marx insiste ici sur le rôle joué par les consommations intermédiaires dans la logique productive du MDP capitaliste. Le commerce international rend ces conditions d'équilibre encore plus opaques. On comprend donc que la dynamique capitaliste est intrinsèquement porteuse de ses troubles futurs. La critique de la loi de Say par Marx : La logique de la loi des débouchés s'applique finalement à une économie de troc, les produits s'échangeant contre des produits. Les schémas M-A-M' et A-M-A' nous montrent bien l'opposition entre les deux thèses. Surtout, le réel problème provient de la nature « neutre « (voile) accordée à la 15 monnaie dans la pensée de Say. Marx explique et insiste sur le fait que sa simple existence entraîne nécessairement une séparation entre les actes de production et de vente. La thésaurisation est au centre de l'incohérence de la loi des débouchés. Par ailleurs, Marx ajoute à la baisse tendancielle du taux de profit deux causes logiques des crises internes du MDP capitaliste : la surproduction et la sous-consommation (interdépendance entre les deux phénomènes). Etant rémunérés à un niveau de subsistance, les travailleurs ne peuvent consommer le produit de leur travail (concepts d'exploitation et d'aliénation). Ce mouvement est amplifié par la prolétarisation croissante des sociétés industrielles ce qui ne manquera pas d'alimenter les envies révolutionnaires de la classe prolétarienne. Ensuite, Marx reprend l'idée « d'anarchie des marchés « introduite par Sismondi. « Produire sans se rendre compte des limites du marché est dans la nature de la production capitaliste «. Les produits réalisés par le travail socialement nécessaire ne collent donc pas avec les besoins de la société. Cette tendance est amplifiée par la non mobilité et la captivité du capital. Au final, Marx pointe du doigt comme principal problème la propriété privée des moyens de production. Celle-ci entraîne sousconsommation et surproduction en déconnectant la logique capitaliste des besoins réels du marché. Le MDP porte ainsi en son sein des incohérences qui forceront la classe prolétarienne à mener la révolution et à dépasser ce MDP historiquement daté. 16 Dossier 2 Crise et répartition : de la baisse du taux de profit selon Marx au modèle de Goodwin 1. Crise du mode de production capitaliste et baisse tendancielle du taux de profit selon Marx 1.1. Le mode de production chez Marx Un mode de production se définit à l'aide de deux composantes : o Les rapports sociaux de production : rapports qu'entretiennent les hommes entre eux (distinctions de classes) o Les forces productives : rapports des hommes à la Nature (technicité, productivité). Il existe un rapport dialectique entre les rapports sociaux de production et le développement des forces productives. En se développant, les forces productives entrent de plus en plus en contradiction. A partir d'un certain seuil, les rapports se bloquent, les forces productives entre en conflit et s'ouvrent des périodes de révolution sociale. Cette révolution permet de faire disparaître les rapports de productions anciens (voir ci-dessus). 1.2. Les différents types de plus-values La plus-value est la valeur du surtravail, c'est-à-dire du travail non payé accompli par le travailleur pour le capitaliste, ce qui est la base de l'accumulation du capital. Cette valeur est égale à la quantité de travail moyen incorporé dans le surproduit, le surproduit étant la composante du produit résultant de la période de surtravail. Si w est la valeur d'un produit, on a : w = c + L = c + v + pl où v est la valeur du travail nécessaire qui revient au travailleur. pl est la plus-value. L est la quantité totale de valeur ajoutée à l'objet du travail pendant la production. La valeur c, qui correspond à la consommation de capital constant pendant l'unité de temps considérée, n'est 17 que transférée pendant le processus. Elle contient la dépréciation des moyens de production (machines, bâtiments, etc.) ainsi que la valeur des produits de base consommés (matières premières, combustible, composants, etc.), soit l'addition du capital fixe et du capital circulant. Une partie de la plus-value est consommée ou thésaurisée par la bourgeoisie. Une autre est réinvestie dans le processus de valorisation, ce qui constitue l'accumulation du capital. On distingue différents types de plus-values : Maximisation de la plus-value absolue: toutes les méthodes qui cherchent à étendre la grandeur absolue de la plus-value. L'objectif est de faire en sorte que la durée de travail nécessaire reste la même mais que celle du surtravail augmente par l'intensification de l'exploitation du travail (allongement des journées de travail, hausse des cadences, diminution des pauses, extension de l'exploitation à d'autres catégories d'individus comme les enfants, etc.). Maximisation de la plus-value relative: toutes les méthodes qui tentent d'augmenter le surtravail relativement au travail nécessaire. Si la durée de travail est fixée, on cherche à diminuer la valeur du travail nécessaire en augmentant la productivité du travail. Cela peut se faire par amélioration de la division ou travail ou par la mécanisation. La plus-value extra : forme de plus-value non associé à la force de travail mais au capital constant. Elle consiste en une diminution du prix du capital constant due à une innovation technologique qui donne un pouvoir de monopole temporaire (car se diffusant ensuite à l'ensemble de la sphère productive). 1.3. La composition organique du capital Pour mémoire, on a chez Marx : w = c + v + pl Le profit du capitaliste est donc la plus-value qu'il tire de la production. Son taux de profit est donc égal au rapport entre cette plus-value et le capital investit (capital constant + capital variable) : 18 ? = pl / (c + v) Le taux de profit doit être distingué du taux de plus-value. Ce dernier se calcule comme le rapport entre la plus-value réalisée et le montant avancé pour bénéficier de sa valeur : pl'= pl / v Ainsi, en divisant par v le numérateur et le dénominateur du rapport exprimant le taux de profit, cela revient à exprimer le taux de profit en fonction du taux de plus-value, soit : ? = [ pl / v] / [(c / v) + 1] soit ? = pl' / [(c / v) + 1] [1] Le rapport (c / v) est appelé par Marx composition organique du capital. Il exprime une donnée technique à savoir la part relative du capital constant par rapport au capital variable. Ce concept, associé à ceux de plus-value développés précédemment, est essentiel pour comprendre la baisse tendancielle du taux de profit chez Marx. 1.4. La baisse tendancielle du taux de profit Les capitalistes sont tous capables d'extraire de la plus-value absolue et relative. En somme il n'existe pas de secteurs qui exploitent plus ou mieux la main d'oeuvre. Pour ne pas rompre la dynamique de l'accumulation du capital, les capitalistes vont également chercher à dégager de la plus-value extra. C'est-à-dire qu'ils vont chercher à diminuer le coût du capital constant par des innovations qui leur accordent un monopole temporaire. Toutefois, ces innovations conduisent à substituer du capital constant (machines) à du capital variable (travailleurs). La conséquence immédiate est l'augmentation de l'intensité capitalistique de la composition organique du capital et donc une diminution du taux de profit. Conformément à l'équation [1], si c augmente et que v diminue, (c / v) augmente et donc p diminue. Le lien entre baisse tendancielle du taux de profit et crise du MDP capitaliste peut se synthétiser comme suit : 1. La production est réalisée par du capital variable (v) et du capital constant (c). L'évolution économique veut que les capitalistes aient de plus en plus besoin de capital constant pour produire. 19 3. Il faut donc de plus en plus de capital pour produire mais la valeur de la production repose sur le travail (c'est à partir du travail qu'on extrait la plus-value, la plus-value extra n'étant que par nature « temporaire «). 4. Comme les capitalistes ont de plus en plus besoin de capital constant pour produire, le taux de profit baisse sans cesse : c'est la baisse tendancielle du taux de profit. Les bénéfices des capitalistes sont donc amenés à baisser sans cesse (a). 5. L'un des moyens de faire remonter le profit sera donc de baisser les salaires, ce qui conduit à la paupérisation de la classe ouvrière (b). 6. Dans un ultime effort pour soutenir leurs bénéfices, les capitalistes vont augmenter leur production, alors que dans le même temps les salaires baissent, la surproduction est donc inévitable (c). (a) + (b) + (c) À long terme le capitalisme est voué à l'échec. 1.5. Les contre-tendances Remarque :. Par ailleurs, la baisse du taux de profit ne signifie pas nécessairement que le volume des profits baisse également. En effet, p = K * taux de p. Si (c / v) augmente, K augmente et donc p augmente aussi. Toutefois, Marx parle de baisse tendancielle du taux de profit. Le mécanisme décrit ci-dessus est « tendanciel «. Il ne saurait être instantané et s'analyse sur le long terme. On rejoint là les débats sur la validité ou non des prédictions de Marx (quel horizon ? Quand commence l'après capitalisme ?) Marx relève en effet des contre-tendances à cette loi. Ces contre-tendances expliquent pourquoi le MDP capitaliste n'est pas voué à disparaître instantanément et repose avant tout sur les comportements stratégiques des capitalistes : - L'intensification de l'exploitation du travail, hausse des cadences et allongement des journées de travail non payées (=hausse de la plus-value absolue) - Baisse des salaires due à « l'armée industrielle de réserve « et à la concurrence accrue au sein de la classe ouvrière (liens avec la plus-value relative= baisse du coût d'une des composantes des CI, ce qui permet aux capitalistes de rémunérer les travailleurs à un niveau moindre car le prix du panier de subsistance baisse) 20 - Diminution du prix du capital constant dû à une innovation technologique qui donne un pouvoir de monopole temporaire (car se diffusant ensuite à l'ensemble de la sphère productive) (=plus-value extra) - Le commerce international permet de faire baisser le niveau des salaires de subsistance en important des biens élémentaires à un prix moindre, cela augmente aussi la demande et permet d'écouler la surproduction par la découverte de nouveaux débouchés. Cette stratégie permet donc d'augmenter la plus-value (via la plus-value relative) et a notamment donné naissance aux théories de l'impérialisme (Luxembourg, Lénine) Exploitation et plus-value chez Marx : fil à la patte ou fil d'Ariane ? Article paru dans la revue Mouvements, n°26, mars 2003 Christophe RAMAUX Tendance à faire du capitalisme le devenir nécessaire du marché, et, ce faisant, incapacité à penser ce que pourrait être un socialisme avec marché ; tendance à réduire l'Etat au rang de simple béquille du capital, et plus largement incapacité à penser l'autonomie irréductible du politique, y compris dans les sociétés capitalistes ; propension à ramener les rapports d'oppression au seuls rapports d'exploitation salariale et difficulté, en conséquence, à penser les dynamiques d'accumulation et/ou de pouvoir qui ne s'y réduisent pas et les rapports d'oppression qui en découlent5, non prise en compte de l'importance des questions écologiques... La liste est longue des insuffisances de Marx et, au-delà, du marxisme. Des insuffisances salutaires si on accepte de considérer qu'il n'y a décidément pas à chercher de « théorie globale « qui aurait vocation à expliquer à peu près tout et n'importe quoi. Ces limites étant posées, le point de vue qui sera défendu ici est que l'analyse de Marx demeure féconde en particulier pour rendre compte de ce qui a toujours été son principal objet d'étude : le capitalisme. Féconde notamment pour ne pas en rester à une sorte de « christianisme social « qui se contenterait - ce n'est certes déjà pas si mal en ces temps de déni des classes populaires - de dénoncer les inégalités voire l'existence maintenue de « classes «, sans s'employer à en livrer une explication (I). Féconde aussi dans ce que donne à voir la « plus-value extra « (ou « différentielle «) (II). I. L'exploitation capitaliste n'est pas du vol Si on accepte de définir l'exploitation comme du travail non payé, force est de constater qu'elle n'est pas propre au capitalisme. Le servage, l'esclavage, mais aussi les ex-sociétés bureaucratiques dites « communistes « sont bien des formes d'exploitation. Qu'est-ce qui distingue donc l'exploitation capitaliste ? Le fait qu'elle repose sur des relations marchandes. Le salarié, à sa façon, est un marchand : il vend « librement « sa force de travail (ses capacités physiques et intellectuelles) à un capitaliste. Il est certes contraint socialement de travailler pour vivre, mais n'est pas contraint juridiquement de travailler pour untel. C'est ce qui le distingue de l'esclave ou du serf. Et c'est ce qui contribue à faire la force, la légitimité, du capitalisme. 5 Nous rejoignons donc certaines préoccupations de C. Delphy dans sa contribution à ce numéro. Pour le reste, le lecteur pourra constater à quel point nous nous en éloignons....