Voltaire, Zadig, chapitre 12, le souper
Publié le 22/02/2012
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Voltaire, Zadig, chapitre 12, le souper Vous êtes de grands ignorants tous tant que vous êtes! s'écria le Grec; est-ce que vous ne savez pas que le chaos est le père de tout, et que la forme et la matière ont mis le monde dans l'état où il est?" Ce Grec parla longtemps; mais il fut enfin interrompu par le Celte, qui, ayant beaucoup bu pendant qu'on disputait, se crut alors plus savant que tous les autres, et dit en jurant qu'il n'y avait que Teutath et le gui de chêne qui valussent la peine qu'on en parlât; que, pour lui, il avait toujours du gui dans sa poche; que les Scythes, ses ancêtres, étaient les seules gens de bien qui eussent jamais été au monde; qu'ils avaient, à la vérité, quelquefois mangé des hommes, mais que cela n'empêchait pas qu'on ne dût avoir beaucoup de respect pour sa nation; et qu'enfin, si quelqu'un parlait mal de Teutath, il lui apprendrait à vivre. La querelle s'échauffa pour lors, et Sétoc vit le moment où la table allait être ensanglantée. Zadig, qui avait gardé le silence pendant toute la dispute, se leva enfin: il s'adressa, d'abord au Celte, comme au plus furieux; il lui dit qu'il avait raison, et lui demanda du gui; il loua le Grec sur son éloquence, et adoucit tous les esprits échauffés. Il ne dit que très peu de chose à l'homme du Cathay, parce qu'il avait été le plus raisonnable de tous. Ensuite il leur dit: "Mes amis, vous alliez vous quereller pour rien, car vous êtes tous du même avis." A ce mot, ils se récrièrent tous. "N'est-il pas vrai, dit-il au Celte, que vous n'adorez pas ce gui, mais celui qui a fait le gui et le chêne? - Assurément, répondit le Celte. - Et vous, monsieur l'Egyptien, vous révérez apparemment dans un certain boeuf celui qui vous a donné les boeufs? - Oui, dit l'Egyptien. - Le poisson Oannès, continua-t-il, doit céder à celui qui a fait la mer et les poissons. - D'accord, dit le Chaldéen. - L'Indien, ajouta-t-il, et le Cathayen, reconnaissent comme vous un premier principe; je n'ai pas trop bien compris les choses admirables que le Grec a dites, mais je suis sûr qu'il admet aussi un Etre supérieur, de qui la forme et la matière dépendent." Le Grec, qu'on admirait, dit que Zadig avait très bien pris sa pensée. "Vous êtes donc tous de même avis, répliqua Zadig, et il n'y a pas là de quoi se quereller." Tout le monde l'embrassa. Sétoc, après avoir vendu fort cher ses denrées, reconduisit son ami Zadig dans sa tribu. Zadig apprit en arrivant qu'on lui avait fait son procès en son absence, et qu'il allait être brûlé à petit feu.
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