Victor Hugo – Le Rhin, Lettres à un Ami EXTRAIT DE LA LETTRE XXVIII, « LE CHATEAU D'HEIDELBERG »
Publié le 26/09/2010
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Le chemin qui mène à Heidelberg passe devant les ruines. Au moment où j'y arrivais, la lune, voilée par des nuages diffus et entourée d'un immense halo, jetait une clarté lugubre sur ce magnifique amas d'écroulements. Au delà du fossé, à trente pas de moi, au milieu d'une vaste broussaille, la tour fendue, dont je voyais l'intérieur, m'apparaissait comme une énorme tête de mort. Je distinguais les fosses nasales, la voûte du palais, la double arcade sourcilière, le creux profond et terrible des yeux éteints. Le gros pilier central avec son chapiteau était la racine du nez. Des cloisons déchirées faisaient les cartilages. En bas, sur la pente du ravin, les saillies du pan de mur tombé figuraient affreusement la mâchoire. Je n'ai de ma vie rien vu de plus mélancolique que cette grande tête de mort posée sur ce grand néant qui s'appelle le Château des Palatins. La ruine, toujours ouverte, est déserte à cette heure. L'idée m'a pris d'y entrer. Les deux géants de pierre qui gardent la tour carrée m'ont laissé passer. J'ai franchi le porche noir sous lequel pend encore la vieille herse de fer, et j'ai pénétré dans la cour. La lune avait presque disparu sous les nuées. Il ne venait du ciel qu'une clarté blême. Louis, rien n'est plus grand que ce qui est tombé. Cette ruine, éclairée de cette façon, vue à cette heure, avait une tristesse, une douceur et une majesté inexprimables. Je croyais sentir dans le frissonnement à peine distinct des arbres et des ronces je ne sais quoi de grave et de respectueux. Je n'entendais aucun pas, aucune voix, aucun souffle. Il n'y avait dans la cour ni ombres ni lumières ; une sorte de demi-jour rêveur modelait tout, éclairait tout et voilait tout. L'enchevêtrement des brèches et des crevasses laissait arriver jusqu'aux recoins les plus obscurs de faibles rayons de lune ; et dans des profondeurs noires, sous des voûtes et des corridors inaccessibles, je voyais des blancheurs se mouvoir lentement. C'est l'heure où les façades des vieux édifices abandonnés ne sont plus des façades, mais des visages. Victor Hugo, Le Rhin, Lettres à un Ami Ce texte est un extrait du Rhin, lettres à un ami, une fiction épistolaire de Victor Hugo, un romancier poète et dramaturge romantique du XVIIIe siècle. Cet ouvrage a été rédigé par Victor Hugo lors de son voyage en Allemagne autour des années 1840, ou il découvrira les joyaux de l'Allemagne, un pays pour lequel il avait une profonde admiration. Dans cet extrait il raconte son ami Louis Bouilhet la vision qu'il eut du château d'Heidelberg, une nuit d'automne 1840, durant son séjour sur les rives du Rhin. Nous pourrons nous intéresser dans notre étude à la description du château, et aux effets qu'entraîne la perception du château quand l'auteur. Le texte commence par une allusion à un chemin « qui mène «. Il y a une idée de mouvement, reprise par le verbe « arriver « qui suit juste après. La description n'est pas figée. Puis Hugo nous parle de ruines, et évoque le temps passé. Hugo décrit ensuite l'atmosphère qui y règne, notamment la luminosité. La lune est très importante et donne un aspect très particulier au château, qui est entouré d'un immense halo. Ainsi, alors que nous sommes en pleine le château paraît presque lumineux aux yeux du lecteur. Cette luminosité particulière est soulignée par l'oxymore « charte lugubre «. Le décor est immense, et il le qualifie alors de « magnifique amas d'écroulements «, un autre oxymore. On apprécie également la puissance des adjectifs que il utilise : vaste, immense, magnifique, lugubre, qui donnent une dimension épique au château, et le magnifie encore plus. Puis soudain, au milieu du décor surgit la tour fendue. Partir de ce moment-là, Hugo décrit le château à travers un point de vue interne, et les verbes de perception la véritable métamorphose qui lui apparaît : le château prend la forme d'un visage, une tête de mort. Il sépare chacun des éléments du château et le met en relation avec une partie de la tête. Malgré la mort prend une grande place dans cette métamorphose, il y a également des allusions à la vie, avec notamment les fosses nasales. Tout au long de cette longue métaphore filée, on part de l'explicite vers implicite interprétations personnel du narrateur. Alors que la métaphore des deux géants nous amène de plus en plus vers le fantastique, Victor Hugo rappelle brusquement son lecteur à la réalité en invoquant le nom de Louis. Revenu dans le réel, Hugo peut alors d'intéresser aux propres sentiments qui l'animent La description du château rend mélancolique Hugo, mais il se décide quand même à rentrer à l'intérieur de l'enceinte. Il éprouve tout d'abord une grande solitude à l'idée d'être tout seul dans cet immense château, qu'il exprime au début du paragraphe, mais aussi dans un rythme ternaire « aucun cas aucune voix aucun souffle «. Puis vient un premier rythme ternaire, qui sonne comme trois coups de théâtre : le décor qui suit s'anime comme une pièce. On connaît alors le profond sentiment d'Hugo, il est submergé par la majesté du château, même en ruine et dévasté par le temps et les guerres. À travers un rythme ternaire, avec une allitération en S, il nous fait glisser vers l'inexprimable : il n'y a donc plus de mot possible. C'est impression est confirmé dans la phrase suivante, où il croit sentir en je ne sais quoi de graver de respectueux. On sent que Victor Hugo n'ose plus bouger devant le spectacle qui lui apparait. Puis, un sentiment d'une peur diffuse, d'angoisse, s'empare d'Hugo : il n'arrive plus à discerner quoi que ce soit : il n'y a plus donc plus de lumière, de recoins obscurs apparaissent et dans des corridors inaccessibles, il voit des blancheurs se mouvoir lentement. Cette apparition ne paraît presque peu fantastique au lecteur au point où il en est. Ce texte peut donc être comparé à un véritable portrait du château d'Heidelberg, qui apparait splendide et majestueux, malgré les ravages du temps. Le château est tellement expressif qu'il bouleverse le narrateur qui est rempli de sentiments. Ce texte aborde la description d'une manière très particulière, et on pourrait se demander quelle description Hugo ferait-il de ce même château en plein jour, sous une ambiance et une luminosité totalement différente.
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