URSS (fin de l')
Publié le 22/02/2012
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Le 11 mars 1985, lorsque le Bureau politique choisit Mikhaïl Gorbatchev pour diriger le Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), il sait qu'il doit rajeunir la direction du pays qui, depuis le milieu des années 1970, est gouverné par des secrétaires généraux âgés et malades : les décès de Leonid Brejnev (1906-1982), Iouri Andropov (1914-1984) et Konstantin Tchernenko (1911-1985) se succèdent en trente mois. Mais une partie des membres du Bureau politique est aussi consciente qu'une crise économique, sociale et morale se développe : la croissance perd de la vitesse, l'inflation devient endémique et le budget militaire ponctionne une part exorbitante du PNB. En 1984, un rapport confidentiel avertit le Gosplan que l'URSS risque de ne plus être, en l'an 2000, qu'une puissance de second ordre, voire de rejoindre le tiers monde.
Aussi l'ambition du noyau réformateur qui soutient le nouveau secrétaire général est-elle d'enrayer ce déclin en impulsant, dès avril 1985, une dynamique de relance, la perestroïka (restructuration), s'articulant autour d'un triple objectif : réduire les dépenses militaires par une politique dynamique de détente ; accroître la production par une mobilisation intensive des ressources matérielles et technologiques ; revivifier la société en lui tenant un langage de vérité (glasnost, « transparence ») sur la « stagnation » du pays (formulation désignant la situation léguée par L. Brejnev) ; l'accident nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) en mai 1986 est l'occasion d'inaugurer cette politique de transparence. Enfin, en rappelant le physicien dissident Andreï Sakharov d'exil (décembre 1986), M. Gorbatchev entend nouer une alliance avec l'intelligentsia qui investit les médias pour y dénoncer le stalinisme avec de plus en plus de virulence.
Réformer le Parti sans perdre le pouvoir.
C'est cependant au PCUS, parti dirigeant et seule force politique organisée comptant quelque dix-neuf millions de membres, que le secrétaire général réserve la conduite de la modernisation du régime soviétique. Comme le « parti-monolithe » est hétérogène, deux stratégies sont envisagées : l'une, qui consiste à tirer les conséquences de la division idéologique, présenterait l'avantage de mettre à la disposition du pouvoir une formation acquise aux réformes, mais ouvrirait la voie au multipartisme ; l'autre - celle qui va prévaloir - tend à revivifier le PCUS en modifiant progressivement le rapport de forces interne.
On constate, au début de 1987, que la politique économique menée, loin d'avoir produit le redressement escompté, a précipité la dégradation de l'économie. La direction du Parti s'engage, en juin 1987, dans une réforme de l'entreprise qui, sans remettre fondamentalement en question le système de l'économie administrée ni les relations de pouvoir, accorde davantage de place au « facteur humain » ; puis elle adopte, en juin 1988, une loi sur les coopératives. Et, pour vaincre les résistances des cadres intermédiaires du Parti, M. Gorbatchev met en mouvement la base du Parti, plus réformiste que l'appareil.
La XIXe conférence du PCUS (28 juin-1er juillet 1988), dont les délégués sont élus au scrutin secret, lui permet d'engager une réforme politique qui entend donner davantage de poids à la société civile et au pouvoir représentatif et s'attache à fixer des limites à celui du Parti. M. Gorbatchev compte aussi lui donner une véritable légitimité. Paradoxalement, les élections constitutives du Congrès des députés du peuple de l'URSS (26 mars 1989) - les premières à candidatures multiples - ont l'effet contraire. Si elles permettent au secrétaire général d'éliminer du Comité central une centaine de caciques désavoués par la population en avril 1989, cette « épuration » incite surtout l'opposition interne à passer à la contre-offensive dans la perspective des futures échéances électorales. Elle fera définitivement basculer « à droite » le PCUS, contraignant le secrétaire général-président du Soviet suprême à recevoir sa légitimité directement du peuple (élu président du Soviet suprême par le Ier congrès des députés, le 25 mai 1989, M. Gorbatchev fera adopter une réforme constitutionnelle instituant un poste de président de l'URSS élu au suffrage universel ; toutefois, il fera pour lui une exception en se faisant élire par le IIIe congrès, le 15 mars 1990) et à accepter, en mars 1990, le multipartisme qu'il avait jusqu'alors refusé. Mais la dérive réactionnaire du Parti accélère l'hémorragie de ses forces vives et, la situation économique empirant, amplifie la réaction de rejet exprimée par la population, qui se rallie au mouvement démocratique.
Démocratie et nationalisme.
Dans les républiques fédérées, la consultation du 26 mars 1989 en vue de constituer le Congrès des députés du peuple [de l'URSS] a catalysé les aspirations démocratiques, mais surtout les aspirations nationales. En accédant au pouvoir dans les républiques baltes, les « fronts populaires » en sont les vecteurs. Le passage des revendications en matière de décolonisation et de reconnaissance des violences historiques à l'affirmation de sa volonté d'indépendance est rapide en raison des résistances des structures impériales de l'Union et du déphasage permanent des solutions proposées par le pouvoir central. La rupture advient avec les élections du printemps 1990 : en mars, la Lituanie proclame son indépendance et partout ailleurs les nationalismes progressent. En RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), elles portent à la tête du Soviet suprême, malgré l'obstruction de M. Gorbatchev, un leader sorti de l'appareil du PCUS : Boris Eltsine. Dès lors, mouvement national et mouvement démocratique convergent vers le même objectif : éliminer le « Centre ».
Au début de 1990, alors que le pouvoir central semble enfin décidé à s'engager dans l'économie de marché, l'accession d'équipes nouvelles à la tête de la plupart des républiques va modifier les données de sa démarche. S'appuyant sur leur légitimité nouvellement acquise, les dirigeants décident de conduire eux-mêmes la réforme économique, proclamant la primauté des lois des républiques sur celles de l'URSS et la propriété nationale sur les richesses locales. Telles sont les exigences fondamentales exprimées dans les déclarations de souveraineté qui se succèdent après que la Russie a ouvert la voie, le 11 juin 1990. En acceptant, en août, le plan des « cinq cents jours » avancé par B. Eltsine, M. Gorbatchev paraît d'abord soutenir une telle évolution.
À l'automne, l'examen au Parlement fédéral du programme de passage à l'économie de marché montre qu'il n'en était rien. L'obstruction du gouvernement central, soutenu par une bureaucratie hostile à cette évolution qui menace de se réaliser au bénéfice des républiques, la forte pression exercée par le complexe militaro-industriel conduisent le président à abandonner le plan des « cinq cents jours » et à céder toujours plus de terrain aux forces impériales qui lui reprochent en outre de sacrifier la sécurité du pays (traité de Washington sur les FNI - forces nucléaires intermédiaires - du 8 décembre 1987 et abandon du glacis est-européen) à l'entente avec l'Occident.
« L'URSS a cessé d'exister ».
L'intervention des forces de l'ordre soviétiques à Vilnius, en janvier 1991 (13 morts), illustre la situation dans laquelle le « Centre » s'est enlisé : faute d'avoir su imposer son pouvoir aux républiques, il recourt à la violence. Seules la montée d'un fort mouvement social exigeant, en mars 1991, la démission du gouvernement - quand ce n'est pas celle de M. Gorbatchev -, et la popularité grandissante de B. Eltsine (il sera élu triomphalement président de la Russie au suffrage universel le 12 juin 1991) parviennent à modifier suffisamment le rapport des forces pour que le président de l'URSS change d'alliés et passe, le 23 avril à Novo-Ogarevo, avec les dirigeants de neuf des quinze républiques, un compromis préludant à l'élaboration d'un traité de l'Union.
Le 19 août, à la veille de sa signature, une junte, dirigée par les responsables des institutions clés (KGB, Défense, Intérieur) et bénéficiant de l'assentiment tacite du Parti, tente de déposer M. Gorbatchev et d'empêcher le nouveau partage du pouvoir. Trois jours plus tard, les divisions internes au sein de l'armée, du KGB et de la milice, la détermination du président de la Russie B. Eltsine et des forces démocratiques, l'opposition de la plupart des représentants légitimes des autres républiques précipitent la déroute des factieux et, avec elle, la dislocation de l'empire qu'ils voulaient maintenir à tout prix : le pouvoir central moribond accepte la sécession des pays baltes tandis que, les unes après les autres, les républiques proclament leur indépendance. Ni la mise en place d'institutions provisoires, ni la relance du projet de traité fédéral ne parviendront à préserver l'Union puisque, le 8 décembre, les trois républiques slaves (Russie, Ukraine et Biélorussie) proclament que l'« URSS a cessé d'exister », entraînant, le 25 décembre, la démission du premier et dernier président de l'URSS.
Conçue par ses instigateurs comme une modernisation du régime, la perestroïka a partiellement atteint son objectif puisqu'une partie des élites s'est reconvertie, mais cette modernisation a eu pour prix la disparition du régime. En mettant en mouvement des forces qui se sont toutes retournées contre elle, elle a cependant conduit à l'effondrement de ce qu'il lui importait avant tout de préserver : l'URSS.
Roberte BERTON-HOGGE
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