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Un faux marché commun

Publié le 22/02/2012

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9 janvier 1990 - Fondé en janvier 1949 pour faire contrepoids à l'Europe du plan Marshall, le Conseil d'assistance économique mutuelle ( CAEM, plus connu sous le sigle anglais de COMECON) reproduisait, à l'échelon du bloc de l'Est, le système de la planification centralisée soviétique. Il avait pour objectif d'abord la reconstruction, puis l'intégration économique de pays très différents : l'URSS de Staline dominait, par sa taille et par les " sociétés mixtes " qu'elle contrôlait entièrement, les pays industrialisés comme l'Allemagne de l'Est et la Tchécoslovaquie, et les pays agricoles comme la Bulgarie et la Roumanie. Le COMECON a été relativement efficace pendant ses deux premières décennies dans son oeuvre d'homogénéisation des mécanismes économiques ( planification centralisée et monopole d'Etat du commerce extérieur) et pour le développement de l'industrie lourde. Le projet-soviétique-d'instaurer une véritable " division internationale socialiste du travail " n'a pas abouti. Le COMECON n'a enfin jamais réussi à satisfaire les besoins en produits de consommation, ni quantitativement ni qualitativement, pas plus qu'à empêcher chaque pays de poursuivre des buts différents, de développer ses propres structures de prix et de salaires et d'avoir, en fin de compte, sa propre politique économique. On a souvent appelé le COMECON le " marché commun des pays de l'Est ", mais il n'a jamais été plus qu'une zone d'échanges administrés. Pour justifier le mot de marché, il a toujours manqué à cette organisation trois éléments fondamentaux : la demande, la monnaie et les prix. En guise de demande, le COMECON ne connaît que les besoins définis ex ante par les plans quinquennaux. La rigidité d'un tel système est aggravée par les goulots d'étranglement des appareils productifs, d'où les pénuries constatées un peu partout qui, bien souvent, ne peuvent être compensées que par des importations des pays tiers payés en devises fortes. C'est la première faille d'un système conçu à l'origine pour fonctionner en circuit fermé. La " monnaie " des échanges au sein du COMECON est le " rouble transférable ", appellation trompeuse, car ce rouble n'est justement pas convertible. Les échanges sont en général réalisés entre deux pays, en vertu d'un grand nombre de contrats annuels ou quinquennaux, et visent l'équilibre comptable. Quand il y a des excédents, ils ne peuvent être employés pour acheter des produits auprès d'un troisième pays ( avec lequel le commerce extérieur est aussi " ligoté " dans une autre série de contrats bilatéraux). Avoir des excédents en roubles transférables n'offre donc aucun intérêt, ce qui explique la colère des Hongrois qui accumulent depuis deux ans d'importants excédents vis-à-vis de l'URSS, cette dernière ne fournissant pas les quantités prévues par les contrats bilatéraux d'énergie et de matières premières. La valeur du rouble transférable est calculée en convertissant les prix mondiaux d'un produit en roubles au cours officiel, qui est toujours parfaitement arbitraire. L'autre facette de cette question est le problème des prix. Le COMECON a toujours artificiellement fabriqué ses prix en s'inspirant des prix mondiaux. Mais la planification à moyen terme obligeait à bloquer pendant cinq ans les prix d'une période antérieure, ce qui a conduit à des aberrations, par exemple dans le cas du pétrole. Dans les années 70, l'URSS n'a pu répercuter la hausse des cours mondiaux qu'avec retard : elle a alors fortement subventionné ses partenaires, à tel point qu'une révision du système des prix glissants a dû être adoptée au début des années 80. Mais quand les cours mondiaux du brut se sont orientés à la baisse, le pétrole soviétique est resté facturé plus haut, au détriment cette fois des autres pays membres. D'autres distorsions graves ont été introduites par ce système de prix. Les produits industriels sont en règle générale surévalués à l'intérieur du bloc, alors que les matières premières sont sous-évaluées ( par rapport aux cours mondiaux), d'où les risques de gaspillage d'énergie et la tendance à vendre des matières premières peu ou pas transformées sur les marchés occidentaux ( près du tiers des exportations de la RDA-pays industriel-vers l'Ouest sont des réexportations d'hydrocarbures). Le COMECON (1)a largement failli à sa mission de développement du commerce entre pays de l'Est. Surtout depuis une dizaine d'années, la stagnation des échanges à l'Est contraste cruellement avec le dynamisme du commerce mondial. En outre, les échanges de chaque pays membre avec l'Occident croissent davantage que les échanges avec ses partenaires. SOPHIE GHERARDI Le Monde du 9 janvier 1990

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