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Synge, le Baladin du monde occidental (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Synge, le Baladin du monde occidental (extrait). Dans le Baladin du monde occidental, aujourd'hui considéré comme son chef-d'oeuvre, Synge reproduit les rythmes colorés et poétiques de la langue des habitants de l'ouest de l'Irlande. L'utilisation d'un parler paysan comme langue de théâtre fut l'une des raisons de la franche hostilité rencontrée par la pièce lors de ses premières représentations. Dans cet extrait, Christy Mahon, après s'être enfui de son village, persuadé d'avoir tué son père, a trouvé refuge chez Pegeen Mike, une jeune femme déjà promise en mariage. Christy va devenir le héros du village et le prétendant de Pegeen. Le Baladin du monde occidental de John Millington Synge (acte III). PEGEEN, rayonnante, lui essuyant le visage avec son châle. Eh bien, tu es un garçon extraordinaire, et tu connaîtras de grands moments désormais maintenant que tu as pu gagner tout ce trésor de prix, toi qui as sué dans la chaleur de midi ! CHRISTY, le regardant avec ravissement. Je connaîtrai de grands moments si je gagne le prix suprême que je veux à présent, ta promesse de m'épouser dans une quinzaine de jours dès que nos bans seront publiés. PEGEEN, s'écartant de lui. Tu es rudement hardi d'aller me demander cela, quand tous savent que tu vas retourner vers une fille de ton pays, lorsque ton père sera pourri dans quatre mois, ou cinq. CHRISTY, indigné. Moi, me détourner de toi ? Il la suit. Je ne veux pas, et quand l'air sera chaud, dans quatre mois ou cinq, c'est alors que toi et moi, nous irons arpenter le Neifin dans les rosées de la nuit, aux temps où montent de douces odeurs et où l'on voit une petite, brillante, nouvelle lune sombrer peut-être dans les collines. PEGEEN, le regardant d'un air enjoué. Et c'est cette espèce d'amour de braconnier que tu me proposes, Christy Mahon, sur les flancs du Neifin, à la nuit tombée ? CHRISTY, Tu ne te demanderas guère si mon amour est celui d'un braconnier, ou même d'un comte, quand tu sentiras mes deux mains étirées autour de toi, et que j'écraserai des baisers sur tes lèvres froncées, jusqu'à en éprouver une espèce de pitié pour le Seigneur Dieu depuis des siècles assis solitaire sur son trône d'or. PEGEEN, Ce sera une vraie fête, Christy Mahon, et toute jeune fille marcherait à en perdre le souffle avant de rencontrer un jeune homme qui soit ton pareil pour l'éloquence, ou simplement la parole. CHRISTY, encouragé. Attends, pour m'entendre parler, que nous nous soyons égarés dans l'Erris, au moment du Vendredi Saint, buvant de l'eau d'un puits, et pressant de puissants baisers sur nos bouches mouillées, ou nous ébrouant dans une trouée de soleil, et toi, toi étendue jusqu'au cou, dans les fleurs de la terre. PEGEEN, tout bas, émue par le ton de sa voix. Je serais jolie comme ça, tu crois ? CHRISTY, transporté d'enthousiasme. Si les évêques qui portent la mitre te voyaient alors, ils seraient pareils aux saints prophètes, je pense, qui forcent les grilles du Paradis pour poser les yeux sur Dame Hélène de Troie, quand, dehors, elle va, elle vient avec un bouquet dans son châle doré. PEGEEN, avec une réelle tendresse. Et qu'est-ce que j'ai, Christy Mahon, qui fasse de moi le juste enjouement d'un pareil que toi, qui a de tels mots de poète et une telle bravoure de coeur. CHRISTY, à voix basse. N'y a-t-il pas la lumière de sept ciels dans ton seul coeur, si bien que tu seras pour moi désormais la lampe d'un ange quand je serai dehors dans le noir à harponner les saumons dans l'Owen ou le Carrowmore ? PEGEEN, Si j'étais ta femme, je serais avec toi ces nuits-là, Christy Mahon, si bien que tu verrais comme je m'y entends pour amadouer les garde-pêche, ou pour forger des surnoms amusants pour les étoiles de la nuit. CHRISTY, Toi, vraiment ? Pour attraper la mort sous les grêlons ou dans les brouillards de l'aube ! PEGEEN, Toi et moi nous irions vite nous abriter dans un étroit buisson (le coeur serré de frayeur) ; mais nous ne faisons que parler, peut-être, car ici ce serait une bien pauvre chaumière pour retenir un beau garçon comme toi. CHRISTY, lui passant un bras autour de la taille. Si je n'étais pas un bon chrétien, c'est à même mes genoux que je dirais mes prières et mes pater à chaque brin de paille qui t'abrite la tête, et à chaque galet pierreux qui pave le chemin menant jusqu'à ta porte. PEGEEN, rayonnante de joie. Si c'est la vérité, je ferai brûler des cierges désormais pour les miracles de Dieu qui t'ont amené du sud aujourd'hui, et voilà mes robes achetées, elles sont prêtes, si bien que je peux t'épouser sans attendre du tout. CHRISTY, Ce sont des miracles, et c'est la vérité. Moi qui ai passé tant de temps à trimer, tant de temps à marcher, sans savoir du tout que je m'approchais sans cesse de ce jour sacré ! PEGEEN, Et moi, jeune fille, souvent tentée de faire voile sur les mers jusqu'à ce que j'épouse un juif, avec dix barriques d'or, sans savoir du tout qu'il y avait un pareil que toi qui s'approchait, comme les étoiles de Dieu ! CHRISTY, Et penser que cela fait de longues années que j'entends des femmes dire ces mots à tous les foutus imbéciles, et que c'est la première fois que j'entends une voix pareille à la tienne parler avec douceur pour mon ravissement. PEGEEN, Et penser que c'est moi qui parle avec douceur, Christy Mahon, moi la terreur des sept cantons pour ma langue acérée. Eh bien, le coeur est un prodige ; et, je pense, il n'y aura pas nos pareils dans Mayo comme fougueux amants à partir de cette heure aujourd'hui. (On entend chanter au dehors une chanson d'ivrogne.) Voilà mon père qui rentre de la veillée, et quand il aura dormi, nous lui parlerons, car à ce moment-là il est calme. Ils se séparent. Source : Synge (John Millington), le Baladin du monde occidental, trad. par Jean-Michel Dépratz, Paris, l'Avant-scène, n° 859, 1989. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« PEGEEN , Et penser que c’est moi qui parle avec douceur, Christy Mahon, moi la terreur des sept cantons pour ma langue acérée.

Eh bien, le cœur est un prodige ; et, je pense, il n’y aura pas nos pareils dans Mayo comme fougueux amants à partir de cette heure aujourd’hui.

(On entend chanter au dehors une chanson d’ivrogne.) Voilà mon père qui rentre de la veillée, et quand il aura dormi, nous lui parlerons, car à ce moment-là il est calme. Ils se séparent. Source : Synge (John Millington), le Baladin du monde occidental, trad.

par Jean-Michel Dépratz, Paris, l'Avant-scène, n° 859, 1989. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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