Swift, les Voyages de Gulliver (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Swift, les Voyages de Gulliver (extrait). Naufragé au pays de Lilliput, Gulliver y découvre un royaume étrange dont les habitants ne mesurent pas plus de six pouces. Le récit qu'il fait de leurs moeurs et de leur gouvernement est pour Swift le prétexte à une virulente critique des bassesses de ses contemporains. Le jeu auquel Gulliver assiste, dans lequel les dignitaires dansent sur une corde raide, se veut la métaphore des contorsions morales des puissants prêts à toutes les acrobaties pour parvenir à leurs fins. Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (première partie, chapitre 3) Ma douceur et ma patience m'avaient gagné si bien la faveur du Prince et de la Cour, et même, à dire vrai, la faveur de l'armée et du pays tout entier, que j'avais bon espoir de recouvrer bientôt ma liberté. Je ne négligeais rien qui pût contribuer à cette bonne impression, et petit à petit les Lilliputiens cessèrent de me craindre. Il m'arrivait de m'étendre par terre et d'en laisser danser cinq ou six sur ma main, et même, au bout de quelque temps, les garçons et les filles s'enhardissaient jusqu'à jouer à cache-cache dans mes cheveux. Je parlais et comprenais de mieux en mieux leur langue. L'Empereur eut l'idée de me présenter certains divertissements où son peuple excelle, déployant une adresse et une magnificence que je n'ai jamais vues dans aucune nation. Rien ne me charma tant que les danses sur la corde raide. Elles s'exécutaient sur un mince fil blanc de plus de deux pieds de long, tendu à dix pouces du sol. Ce spectacle mérite, si le lecteur m'y autorise, une description plus détaillée. Ne viennent danser que les candidats aux charges importantes, et au seul gré du monarque. On s'entraîne donc dès l'enfance, qu'on soit ou non de naissance noble et d'éducation libérale. Lorsqu'un décès, ou plus souvent une disgrâce, laisse vacant quelque poste élevé, cinq ou six prétendants prient par écrit l'Empereur de leur laisser offrir à Sa Majesté et à sa Cour un numéro de corde raide, car c'est celui qui sautera le mieux sans tomber qui obtiendra la charge. Bien souvent, les ministres en place sont invités à montrer leur habilité et à prouver au Prince qu'ils n'ont rien perdu de leur talent. Flimnap, le Grand Trésorier du Royaume, est un éblouissant danseur de corde raide, il saute au moins un pouce plus haut qu'aucun autre grand seigneur de l'Empire. Je l'ai vu danser plusieurs fois le pas estival sur une planchette fixée à la corde ; et celle-ci est à peine plus grosse que ce que nous appelons « petite ficelle «. Si mon jugement est bien impartial, c'est mon ami Reldresal, Premier Secrétaire du Conseil privé, qui mérite la deuxième place ; puis vient le reste des grands officiers, qui m'ont paru à peu près d'égale force. Ces divertissements sont souvent marqués d'accidents funestes, dont on cite encore un très grand nombre. Pour ma part, j'ai vu deux ou trois candidats se casser un membre. Mais le danger est beaucoup plus grand quand il s'agit de Ministres sommés de donner des preuves de leur adresse, car ils font de tels efforts pour se surpasser eux-mêmes, pour faire mieux que leurs rivaux, qu'il est bien rare de ne pas en voir tomber un ou même plusieurs. On m'a raconté qu'un an ou deux avant mon arrivée, Flimnap se fût infailliblement rompu le col, si l'un des coussins du roi, qui se trouvait là par hasard, n'eût alors amorti sa chute. [...] Source : Swift (Jonathan), OEuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade «, 1965. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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