Devoir de Philosophie

Suffit-il de se sentir libre pour etre libre

Publié le 14/12/2016

Extrait du document

La conscience me donne le sentiment d’être libre. Mais puis-je en déduire qu’elle me démontre que je suis réellement libre ? Non répond le déterminisme : se sentir libre n’est pas être libre. La croyance en notre liberté repose sur une ignorance des causes réelles qui nous font agir. A ce propos, Spinoza affirme dans l’Ethique que « ceux donc qui croient qu’ils parlent ou se taisent ou font quelque action que ce soi,  par un libre décret de l’âme, rêvent les yeux ouverts ». En effet, c’est concevoir l’homme un empire dans un empire », croire naïvement « que l’homme trouble l’ordre de la nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination ». Ne peut-on pas sauver la liberté contre ce déterminisme ? Comment penser la possibilité de la liberté humaine ? En un mot, La liberté n’est-elle pas une illusion ?   Le sentiment d’être libre est un fait de conscience qui paraît irréfutable. Spontanément, je me sens libre de faire ce que je veux comme je l’entends. C’est ce qu’on appelle le libre arbitre. Il consiste en l’idée de la présence dans la conscience d’un pouvoir indéterminé et absolu de vouloir. Mais n’y a-t-il pas une différence entre spontanément se sentir libre et effectivement être libre ? On comprend dès lors qu’on ne peut reposer l’enjeu de la liberté sur le simple sentiment, qu’on ne peut se contenter de se croire libre. Est-il possible de faire véritablement l’expérience du libre arbitre ? L’expérience du choix est le lieu privilégié où se forme et s’éprouve ce sentiment du libre arbitre. Même si j’ai dû me déterminer dans mon choix, il me semble toujours que j’aurais pu choisir autrement, contre toute raison, contre tout motif, si seulement je l’avais voulu. Pour cette raison, ce libre arbitre peut être appelé liberté d’indifférence. Mais est-il possible de démontrer ce qui vient d’être affirmé ? Par quoi pourrait-on mieux se prouver le libre arbitre sinon par la démonstration d’un acte sans motif décelable, sans aucune détermination ni intérieure ni extérieure qui puisse en expliquer la production ? Tel est le raisonnement tenu par Lafcadio, un des personnages des Caves du Vatican d’André Gide, qui possédé par l’incertitude de sa liberté, décide de commettre un acte totalement gratuit. Lafcadio se trouve être dans un train, la nuit, et un vieillard être face à lui, ne se doutant pas de l’expérimentation insensée dont il va faire l’objet : « Qui le verrait, pensait Lafcadio? Là, tout près de ma main, sous cette main, cette double fermeture que je peux faire jouer aisément ; cette porte, qui cédant tout à coup le laisserait crouler en avant ; une petite poussée suffirait … on n’entendrait même pas un cri … Un crime immotivé, quel embarras pour la police! Ce n’est pas tant des événements que j’ai curiosité, que de moi-même ». Et Lafcadio laisse la décision au hasard. « Si je puis compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu », l’homme est sauvé; Il je commence une; deux; trois; quatre; (lentement, lentement) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf … dix, un feu ! » Et le crime s’accomplit. Ainsi, il suffirait de le vouloir pour être libre ; la liberté serait l’essence même de la volonté et serait aussi simple que de vouloir vouloir. On peut en douter ! En effet, tout d’abord il est à remarquer que Lafcadio remet sa décision à des signes ce qui signifie que sa décision ne lui appartient pas intégralement, elle est ici déterminée par une extériorité. Lafcadio semble ici pressentir tout le problème d’une volonté qui serait libre arbitre absolu, pure contingence indéterminée : comment ce qui serait purement indéterminé pourrait-il se déterminer? D’où le besoin de signes.  Ensuite, l’absence de motifs qui est l’essentiel de l’expérience ne semble guère évidente. En effet, Lafcadio ne prend-il pas pour une absence de motifs ce qui n’est qu’une ignorance de ces motifs? Et le premier de ces motifs ne serait-il pas le désir même, si fort qu’il va jusqu’au meurtre, de se prouver sa liberté? L’expérience de l’absence de motifs est alors son motif même et, par là, s’annule elle-même. Tout n’est-il pas nécessairement déterminé, produit par une cause? Ne semble t-il pas que ce ne soit qu’illusoirement que je fais l’expérience de l’indéterminé, simplement par ignorance de la détermination en jeu. Tout ce que l’individu entreprend doit avoir une cause. Si rien dans la nature n’est sans raison pourquoi l’homme ferait-il exception? La notion du libre arbitre n’est pas rationnelle, rationnellement elle ne se justifie pas. Elle désobéit au principe de raison qui est ce par quoi le réel nous devient intelligible et pensable. Comme le dit Spinoza, l’homme se croit ainsi un « empire dans l’empire », il s’octroie un privilège de liberté absolue par lequel il s’excepte des lois universelles de la nature sous lesquelles tombent tous les autres êtres et se justifie ainsi de les dominer. C’est toujours la conscience immédiate qui me donne le sentiment que je suis libre. Mais la conscience réfléchie, celle qui recherche une connaissance vraie des choses et de leurs mécanismes, ruine progressivement cette prem1ere impression. La conscience réfléchie nous montre que nous sommes déterminés là où nous nous croyons libres : déterminismes, psychologiques, sociologiques, linguistiques etc. Elle m’apprend en effet que le fonctionnement de l’esprit humain est d’une extrême complexité, et que nous ignorons largement les causes externes et internes qui déterminent effectivement notre comportement. Et c’est parce que (et c’est là que réside l’illusion du libre arbitre) nous n’en avons pas conscience que nous nous croyons libres. Par exemple, je décide d’aller me promener : cette décision m’apparaît comme un acte libre. Pourtant, à y réfléchir, ma décision résulte du concours d’une foule de causes que l’analyse multiplie presque à l’infini : le temps qu’il fait, mes obligations sociales et professionnelles, mon état physiologique etc. ; mais aussi de nombreuses autres causes dont je n’ai nullement conscience. Je crois choisir, mais en réalité mon choix est la résultante nécessaire et inévitable de toutes ces causes. On le voit, le libre arbitre, loin d’établir la réalité et l’absoluité de notre liberté, se révèle au contraire à nous comme l’effet et l’instrument de notre aliénation. Non seulement, en effet, nous nous trouvons en fait déterminés, mais encore déterminés à ne pas savoir que nous sommes déterminés, et ainsi à l’être d’autant plus sûrement : il n’y a pas d’esclaves plus esclave que celui qui se croit libre. La conscience immédiate de la liberté n’est en fait qu’une conscience aliénée et aliénante de la liberté. Mais pouvoir penser cette aliénation n’atteste-t-il pas déjà la possibilité d’une certaine liberté? Tout d’abord, il ne suffit pas de dire et d’affirmer que tout est déterminé, il faut encore dire comment, l’intelligence, déterminée comme toute autre chose peut être déterminée à le dire. Ainsi se contredit le déterminisme : l’explication déterministe ne peut s’expliquer elle même de façon déterministe. Ensuite, poser le déterminisme pour l’esprit, c’est par là se mettre à distance de lui, s’en distinguer, s’attester comme libre. En ce sens, Lagneau affirme: « pour que la nécessité soit reconnue, il faut que nous considérions que nous sommes distincts de cette nécessité, c’est-à-dire que nous sommes libres ». Enfin, l’activité technique par laquelle l’homme utilise le déterminisme de la nature dégagé par les sciences est œuvre de liberté. Il convient ici de remarquer qu’il n’y a plus contradiction entre liberté et déterminisme. Comment l’expérience morale, et la morale elle-même serait-elle possible si le libre arbitre n’existait pas en nous? En effet, d’une part, si je suis intégralement déterminé, je ne me distingue pas d’une chose, il n’y a donc aucune raison pour que l’on me traite différemment, et que l’on me reconnaisse un statut particulier. Pourtant je n’admets pas que l’on me prenne pour une chose, je réclame qu’on me respecte, je me révolte si on ne le fait pas, je revendique une dignité. Et d’autre part, je réclame la propriété de mes actes dont je m’estime être la source libre : je me veux responsable. Il n’ y aurait rien à reconnaître ou à reprocher à un être auquel ses propres actes, étant totalement nécessaires, resteraient totalement extérieurs et non imputables, pas d’avantage qu’on ne pourrait reprocher à une pierre de tuer quelqu’un. Le déterminisme absolu semble ainsi nous livrer à l’amoralisme absolu et à l’indifférence envers toutes les injustices. Peut-on imaginer un robot qui demanderait, se préoccuperait de savoir s’il est libre ou non? La question de la liberté semble ainsi développer sa propre réponse. Il n’y aurait pas de liberté si on ne pouvait se poser une telle question, et le fait même de se la poser y répond. Mais si la question de la liberté se répondait si évidemment à elle-même, elle s’évanouirait immédiatement comme question. Cette question est un cercle. Tout le problème de la liberté demeure donc à travers sa question: Si la liberté existe, comment et sous quelle forme existe-t-elle? En tout cas, ce que l’on peut dire travers toutes expériences, si expérience de quelque chose en moi à présent, c’est qu’il y a à déterminées soient-elles, qui résiste à l’emprise du déterminisme: la liberté. La caractérisation du libre arbitre comme illusion reposant sur une méconnaissance n’équivaut pas, comme on le croit trop souvent, à un refus de la liberté ; elle en appelle bien plutôt à une autre définition. Dès lors que l’on veut solidariser liberté et puissance d’agir efficace, on pose la connaissance comme condition de la liberté. Or cette connaissance n’est jamais immédiate. En rupture avec la conscience spontanée, elle est une conquête sans cesse recommencée, un processus. Conditionnée par la connaissance, la liberté n’est peut-être elle-même qu’une conquête, un processus, c’est – à -dire une libération. Et nous entendons par là le processus complexe par lequel l’homme acquiert la maîtrise de son activité mentale, la maîtrise des choses et la maîtrise de la société. Prendre le contre pied de la problématique traditionnelle du libre arbitre, c’est inscrire le problème de la liberté non dans la vivacité d’une évidence psychologique qui se suffirait à elle-même, mais dans un cheminement nécessaire par lequel l’homme s’affranchit de tout ce qui entrave son action. La véritable liberté passe par la connaissance des causes qui nous font agir et on doit donc penser la liberté en termes de libération. La liberté comme état n’est qu’une illusion, elle est, en fait, un acte, une recherche et toujours à construire.

« libre arbitre sinon par la démonstration d'un acte sans motif décelable, sans aucune détermination ni intérieure ni extérieure qui puisse en expliquer la production ? Tel est le raisonnement tenu par Lafcadio, un des personnages des Caves du Vatican d'André Gide, qui possédé par l'incertitude de sa liberté, décide de commettre un acte totalement gratuit. Lafcadio se trouve être dans un train, la nuit, et un vieillard être face à lui, ne se doutant pas de l'expérimentation insensée dont il va faire l'objet : « Qui le verrait, pensait Lafcadio? Là, tout près de ma main, sous cette main, cette double fermeture que je peux faire jouer aisément ; cette porte, qui cédant tout à coup le laisserait crouler en avant ; une petite poussée suffirait … on n'entendrait même pas un cri … Un crime immotivé, quel embarras pour la police! Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même ».

Et Lafcadio laisse la décision au hasard.

« Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu », l'homme est sauvé; Il je commence une; deux; trois; quatre; (lentement, lentement) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf … dix, un feu ! » Et le crime s'accomplit. Ainsi, il suffirait de le vouloir pour être libre ; la liberté serait l'essence même de la volonté et serait aussi simple que de vouloir vouloir. On peut en douter ! En effet, tout d'abord il est à remarquer que Lafcadio remet sa décision à des signes ce qui signifie que sa décision ne lui appartient pas intégralement, elle est ici déterminée par une extériorité.

Lafcadio semble ici pressentir tout le problème d'une volonté qui serait libre arbitre absolu, pure contingence indéterminée : comment ce qui serait purement indéterminé pourrait-il se déterminer? D'où le besoin de signes.

 Ensuite, l'absence de motifs qui est l'essentiel de l'expérience ne semble guère évidente.

En effet, Lafcadio ne prend-il pas pour une absence de motifs ce qui n'est qu'une ignorance de ces motifs? Et le premier de ces motifs ne serait-il pas le désir même, si fort qu'il va jusqu'au meurtre, de se prouver sa liberté? L'expérience de l'absence de motifs est alors son motif même et, par là, s'annule elle-même. Tout n'est-il pas nécessairement déterminé, produit par une cause? Ne semble t-il pas que ce ne soit qu'illusoirement que je fais l'expérience de l'indéterminé, simplement par ignorance de la détermination. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles