Sue, les Mystères de Paris (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document
«
que vous vouliez.
« Ton argent et ta vie !… » et vous l’avez frappé d’un coup de poignard.
— Tel a été le récit de M.
Murph lorsque je lui ai donné les premiers secours, dit le docteur.
— C’est faux, il a menti.
— Murph ne ment jamais, dit froidement Rodolphe.
Vos crimes demandent une réparation éclatante.
Vous vous êtes introduit à main armée dans ce jardin, vous avez poignardé un homme pour le voler.
Vous avez commis un autre
meurtre… Vous allez mourir ici… Par pitié pour votre femme et pour votre fils, on vous sauvera la honte de l’échafaud… On dira que vous avez été tué dans une attaque à main armée… Préparez-vous… les armes sont chargées.
La physionomie de Rodolphe était implacable…
Le Maître d’école avait remarqué dans une pièce précédente deux hommes armés de carabines… Son nom était connu ; il pensa en effet qu’on allait se débarrasser de lui pour ensevelir dans l’ombre ses derniers crimes et sauver ce nouvel
opprobre à sa famille.
Comme ses pareils, cet homme était aussi lâche que féroce.
Croyant son heure arrivée, il tremblait convulsivement ; ses lèvres blanchirent ; d’une voix strangulée il cria :
— Grâce !
— Il n’y a pas de grâce pour vous, dit Rodolphe.
Si l’on ne vous brûle pas la cervelle ici, l’échafaud vous attend…
— J’aime mieux l’échafaud… Je vivrai au moins deux ou trois mois encore… Qu’est-ce que cela vous fait, puisque je serai puni ensuite !… Grâce !… grâce !…
— Mais votre femme… mais votre fils… ils portent votre nom…
— Mon nom est déjà déshonoré… Quand je ne devrais vivre que huit jours, grâce !…
— Pas même ce mépris de la vie qu’on trouve quelquefois chez les grands criminels ! dit Rodolphe avec dégoût.
— D’ailleurs, la loi défend de se faire justice soi-même, reprit le Maître d’école avec assurance.
— La loi ! s’écria Rodolphe, la loi !… Vous osez invoquer la loi, vous qui, depuis vingt ans, vivez en révolte ouverte et armée contre la société ?
Le brigand baissa la tête sans répondre, puis il dit d’un ton humble :
— Au moins, laissez-moi vivre, par pitié !
— Me direz-vous où est votre fils ?
— Oui, oui… Je vous dirai tout ce que j’en sais.
— Me direz-vous quels sont les parents de cette jeune fille dont l’enfance a été torturée par la Chouette ?
— Il y a là, dans mon portefeuille, des papiers qui vous mettront sur leur trace.
Il paraît que sa mère est une grande dame.
— Où est votre fils ?
— Vous me laisserez vivre ?
— Confessez tout d’abord…
— C’est que quand vous saurez… dit le Maître d’école avec hésitation.
— Tu l’as tué !
— Non, non, je l’ai confié à un de mes complices qui, lorsque j’ai été arrêté, a pu s’évader.
— Qu’en a-t-il fait ?
— Il l’a élevé ; il lui a donné les connaissances nécessaires pour rentrer dans le commerce, afin de nous servir, et… Mais je ne dirai pas le reste, à moins que vous me promettiez de ne pas me tuer.
— Des conditions, misérable !
— Eh bien ! non, non ; mais pitié ; faites-moi seulement arrêter comme coupable du crime d’aujourd’hui ; ne parlez pas de l’autre.
Laissez-moi une chance de sauver ma tête.
— Tu veux donc vivre ?
— Oh ! oui, oui ; qui sait ? On ne peut pas prévoir ce qui arrive, dit involontairement le brigand.
Il songeait déjà à la possibilité d’une nouvelle évasion.
— Tu veux vivre à tout prix… vivre.
— Mais vivre… quand ce serait à la chaîne ! pour un mois, pour huit jours… Oh ! que je ne meure pas à l’instant…
— Confesse tous tes crimes, tu vivras.
— Je vivrai ! oh ! bien vrai ? je vivrai ?
— Écoute, par pitié pour ta femme, pour ton fils, je veux te donner un sage conseil : meurs aujourd’hui, meurs…
— Oh ! non, non, ne revenez pas sur votre promesse, laissez-moi vivre, l’existence la plus affreuse, la plus épouvantable, n’est rien auprès de la mort.
— Tu le veux ?
— Oh ! oui, oui…
— Tu le veux ?
— Oh ! je ne m’en plaindrai jamais.
— Et ton fils, qu’en as-tu fait ?
— Cet ami dont je vous parle lui avait fait apprendre la tenue des livres pour le mettre dans une maison de banque, afin qu’il pût nous renseigner… à certains égards.
C’était convenu entre nous.
Quoiqu’à Rochefort, et en attendant mon
évasion, je dirigeais le plan de cette entreprise, nous correspondions par chiffres.
— Cet homme m’épouvante ! s’écria Rodolphe en frémissant ; il est des crimes que je ne soupçonnais pas.
Avoue… avoue… pourquoi voulais-tu faire entrer ton fils chez un banquier ?
— Pour… vous entendez bien… étant d’accord avec nous… sans le paraître… inspirer de la confiance au banquier… nous seconder… et…
— Oh ! mon Dieu ! son fils, son fils ! s’écria Rodolphe avec une douloureuse horreur, en cachant sa tête dans ses mains.
Source : Sue (Eugène), les Mystères de Paris, 1842-1843..
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