Simone de Beauvoir, le Deuxième Sexe (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Simone de Beauvoir, le Deuxième Sexe (extrait). Le Deuxième Sexe dénonce l'aliénation à laquelle la femme est « ataviquement « condamnée et milite pour la réciprocité égalitaire des sexes. Cet essai sera élevé au rang de manifeste par les mouvements féministes des années soixante-dix, qui applaudiront son appel à l'émancipation et à la parole. En retraçant l'histoire de la condition féminine, dont elle analyse les mythes et les valeurs, l'auteur fait état des rôles et des conduites dans lesquels chaque femme s'enferme si elle ne cultive pas sa liberté intérieure. Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (« Mythes «) [...] « La femme se perd. Où sont les femmes ? les femmes d'aujourd'hui ne sont pas des femmes « ; on a vu quel était le sens de ces mystérieux slogans. Aux yeux des hommes -- et de la légion de femmes qui voient par ces yeux -- il ne suffit pas d'avoir un corps de femme ni d'assumer comme amante, comme mère, la fonction de femelle pour être une « vraie femme « ; à travers la sexualité et la maternité, le sujet peut revendiquer son autonomie ; la « vraie femme « est celle qui s'accepte comme Autre. Il y a dans l'attitude des hommes d'aujourd'hui une duplicité qui crée chez la femme un déchirement douloureux ; ils acceptent dans une assez grande mesure que la femme soit une semblable, une égale ; et cependant ils continuent à exiger qu'elle demeure l'inessentiel ; pour elle, ces deux destins ne sont pas conciliables ; elle hésite entre l'un et l'autre sans être exactement adaptée à aucun et c'est de là que vient son manque d'équilibre. Chez l'homme il n'y a entre vie publique et vie privée aucun hiatus : plus il affirme dans l'action et le travail sa prise sur le monde, plus il apparaît comme viril ; en lui valeurs humaines et valeurs vitales sont confondues ; au lieu que les réussites autonomes de la femme sont en contradiction avec sa féminité puisqu'on demande à la « vraie femme « de se faire objet, d'être l'Autre. Il est très possible que sur ce point la sensibilité, la sexualité même des hommes se modifie. Une nouvelle esthétique est déjà née. Si la mode des poitrines plates et des hanches maigres -- de la femme-éphèbe -- n'a eu qu'un temps, on n'en est cependant pas revenu à l'opulent idéal des siècles passés. On demande au corps féminin d'être chair, mais discrètement ; il doit être mince et non alourdi de graisse ; musclé, souple, robuste, il faut qu'il indique la transcendance ; on le préfère non pas blanc comme une plante de serre mais ayant affronté le soleil universel, hâlé comme un torse de travailleur. En devenant pratique, le costume de la femme ne l'a pas fait apparaître comme asexuée : au contraire, les jupes courtes ont mis en valeur beaucoup plus que naguère jambes et cuisses. On ne voit pas pourquoi le travail la priverait de son attrait érotique. Saisir à la fois la femme comme un personnage social et comme une proie charnelle peut être troublant : dans une série de dessins de Peynet parus récemment, on voyait un jeune fiancé délaisser sa promise parce qu'il était séduit par la jolie mairesse qui se disposait à célébrer le mariage ; qu'une femme exerce un « office viril « et soit en même temps désirable, ç'a été longtemps un thème de plaisanteries plus ou moins graveleuses ; peu à peu le scandale et l'ironie se sont émoussés et il semble qu'une nouvelle forme d'érotisme soit en train de naître : peut-être engendrera-t-elle de nouveaux mythes. Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui il est très difficile aux femmes d'assumer à la fois leur condition d'individu autonome et leur destin féminin ; c'est là la source de ces maladresses, de ces malaises qui les font parfois considérer comme « un sexe perdu «. Et sans doute il est plus confortable de subir un aveugle esclavage que de travailler à s'affranchir : les morts aussi sont mieux adaptés à la terre que les vivants. De toute façon un retour au passé n'est pas plus possible qu'il n'est souhaitable. Ce qu'il faut espérer, c'est que de leur côté les hommes assument sans réserve la situation qui est en train de se créer ; alors seulement la femme pourra la vivre sans déchirement. Alors pourra être exaucé le voeu de Laforgue : « Ô jeunes filles, quand serez-vous nos frères, nos frères intimes sans arrière-pensée d'exploitation ? quand nous donnerons-nous la vraie poignée de main ? « Alors « Mélusine non plus sous le poids de la fatalité déchaînée sur elle par l'homme seul, Mélusine délivrée... « retrouvera « son assiette humaine «. Alors elle sera pleinement un être humain, « quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme -- jusqu'ici abominable -- lui ayant donné son renvoi «. [...] Source : Beauvoir (Simone de), le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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