----- Si à l'heure actuelle le théâtre à des moins en moins de succès, si le public le boude, c'est que le grand public, le seul qui compte, est indifférent dans son goût du spectacle […], à toutes les questions dont on s'obstine à entretenir. Au théâtre, il vient se faire des songes, non retrouver, sous sa forme prosaïque, la morne réalité. -----
Publié le 18/09/2010
Extrait du document
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Marcel Pagnol, avant tout connu pour ses films, débuta sa carrière littéraire comme poète puis dramaturge. Certaines de ses pièces, telles Marius eurent même un franc succès . C'est toutefois grâce au cinéma qu'il obtint sa célébrité et c'est en cinéaste qu'il est aujourd'hui avant tout considéré (la pièce Marius fut d'ailleurs adaptée au cinéma et c'est grâce au film que Pagnol entra dans le cinéma français). Ainsi, la citation qui précède est non seulement l'œuvre d'un dramaturge mais aussi celle d'un cinéaste de renom, maitrisant à la perfection le goût du spectacle du public. C'est en parfait connaisseur que M.Pagnol analyse les motivations du public se rendant au théâtre. Néanmoins, on peut s'interroger quand au but même du théâtre. En effet, les raisons qui poussent à assister à une représentation sont nombreuses: Le public vas-t-il au théâtre pour se faire des songes ou pour retrouver la réalité ?
Dans une première partie nous verrons en quoi le théâtre s'inspire de la réalité et, dans une seconde, en quoi cette inspiration permet de créer le songe. Enfin, dans une dernière partie, nous déterminerons les limites du théâtre avec le réel.
Une des questions récurrentes relatives aux caractéristiques du théâtre est de savoir si, oui ou non, l'art dramatique copie la réalité. Si cette question est propre à discussion, il est raisonnable de penser voir même d'affirmer que le théâtre s'inspire de la réalité.
Tout d'abord, on observe que le théâtre s'inspire du réel par, entre autres, les costumes et les décors. A de rares exceptions près, ces artifices sont destinés à copier savamment la réalité. Un gage de qualité pour un costume est de ressembler au personnage destiné à le porter, de traduire son caractère... Par exemple, dans la pièce Richard III mise en scène par Sylvain Maurice, on attribue au personnage de Richard III des habits plutôt chics mais sales, ce qui correspond bien au caractère négligé du personnage mais aussi à la réalité ( l'acteur porte un costume sobre, très courant). De plus, un bon décors doit s'inspirer de la réalité s'il veut contribuer à envouter le public, à lui faire croire inconsciemment que ce qui se déroule sous ses yeux est vrai. Il n'est pas dit que le décors doit obligatoirement ressembler le plus possible à un environnement donné, mais plutôt transcrire les mêmes impression que cet environnement. Ainsi, un metteur en scène ne reproduira pas une usine lugubre mais se contentera de créer une grande toile noire qui produira le même effet sinistre sur le public (c'est tout le principe de l'impressionnisme, qui occupe une place importante dans la littérature comme dans la peinture).
De même, le théâtre tire sa substance de la réalité via les acteurs et le langage. Le langage doit correspondre le plus possible aux acteurs, en particulier dans les pièces classiques. Ce caractère est notamment accentué dans la pièce les femmes savantes de Molière. Il est parfois d'une complexité extrême afin de correspondre au rang royal ou divin des protagonistes d'une pièce. C'est le cas dans les grandes tragédies Grecques ou les personnages parlent exclusivement en alexandrins, voir même dans certaines comédies. Les acteurs, quand à eux, sont réalité. Contrairement à la sculpture, la peinture, ou d'autres arts considérés comme limités par certains, le théâtre se déroule sous nos yeux, et dans l'espace. L'acteur se doit d'incarner la réalité, le plus parfaitement possible. Cette perpétuelle recherche d'affiner la ressemblance avec le personnage joué donne lieu, dans un premier temps, à des expressions telles que « se mettre dans la peau du personnage «, mais aussi, dans un contexte lourd de conséquence, à un profond mépris des comédiens qui duras longtemps: En effet, pour la société moyenâgeuse, la comédie était méprisée l'acteur considéré comme un menteur, tout comme Eugène Ionesco, paradoxalement, reprochait cette copie aux acteurs.
{text:soft-page-break} Enfin, le théâtre se révèle proche du réel par ses intrigues et ses personnages, notamment dans les grandes comédies. En effet, ces intrigues correspondent à des situations plausibles, contrairement aux grandes épopées qui font exception à la règle. Par exemple, dans des comédies comme le bourgeois gentilhomme ou encore l'école des femmes, les intrigues se révèlent sinon banales, du moins dénuées du caractère légendaire qui incombe aux œuvres d'Homère ou de Virgile.
En parallèle, les personnages, qu'ils soient bourgeois, valets ou de sang royal, sont issus de la réalité bien que souvent parodiés (mais nous reviendrons sur ce point par la suite).
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Toutefois, si le théâtre aujourd'hui comme hier s'inspire de la réalité, c'est dans un but bien précis: celui (comme le fait remarquer Marcel pagnol), de mieux créer des songes, de transporter le spectateur dans cet univers qui se joue sur la scène, de l'émouvoir, le faire rire, ou, parfois, le faire réfléchir.
Dans un premier temps, cette immersion dans un nouveau monde fut -est toujours- utilisée dans lu but de faire rire. Nombreuses sont les comédies au théâtre, les plus célèbres étant les comédies en prose de Molière qui caricaturais sans cesse le monde dans lequel il évoluait. On peut aussi noter Alfred de Musset avec Les caprices de Marianne ou Georges Courteline avec Les gaietés de l'escadron. Cet aspect du théâtre est encore aujourd'hui très présent dans d'autres arts tels que le cinéma ou dans « one man show «. Ce côté comique qui s'apparente à de nombreuses pièces peut prendre bien des apparences: le comique de situation ainsi que le comique de gestes sont fréquemment utilisés. On peut aussi relever l'humour noir qui s'accompagne souvent d'une synergie comique/tragique ou encore le comique de langage, sans toutefois exclure le burlesque typique des farces (ou dans un contexte légèrement différent de la comedia dell'arte).
A l'opposé, certains auteurs de théâtre cherchent à émouvoir grâce à leurs œuvres, de faire ressentir, parfois avec violence, des sentiments au spectateur tels que la haine ou la compassion. C'est dans ce but qu'on été crées les tragédies. Ce genre particulier utilise la dimension de la scène, dans lequel un bon auteur doublé d'un excellent metteur en scène parviennent à entrainer le public, afin de le vider de ses émotions, de la violence de ses sentiments. Cet objectif aujourd'hui contesté (on pourrais effectivement penser que le spectateur se contente de rechercher les sentiments) était bel et bien le but premier de la tragédie il y a de cela 500 ans. Le public utilisait la grande tragédie pour se vider du chaos qui pouvait l'habiter et ainsi retrouver une grande sérénité intérieur (il était d'ailleurs très mal vu de ne pas savoir contrôler ses émotions). A propos du comique et du tragique, Stendhal disait « La comédie a un grand avantage sur la tragédie: c'est de peindre les caractères; la tragédie ne peint que les passions «. C'est bel et bien en peignant les passions qu'un bon auteur parviendra à émouvoir, à l'aide de la bien nomméé compassion (qui signifie souffrir avec).
Pour finir sur les les songes qui se font au théâtre, on peut conclure sur une dernière fonctionnalité du théâtre et pas la moindre: le théâtre fait réfléchir. Si les célebrissimes pièces telles que L'Avare de Molière ont a priori une fonction comique, on dénote un aspect satyrique conséquent qui émane de la pièce et qui conduit le spectateur à réfléchir sur le monde qui l'entoure. Dans ce cas, Harpagon est la critique de tous les bourgeois avares et près de leurs économies. On pourrais comparer la fonction de ce type de théâtre aux fables de Jean de la Fontaine, une littérature légère et drôle qui conduis à une morale. Il est important de noter que dans le cas des comédies de Molière, en plus de s'inspirer de la réalité l'auteur l'exagère et la déforme dans le but d'accentuer certains caractères (caractères typiques des comédie, voir la citation de Stendhal ci-dessus). Dans un cadre plus sérieux, certains auteurs utilisent la scène pour critiquer de manière plus violente certains aspects de la société, néanmoins cette tâche fut bien plus souvent exploitée par des romancier comme Emile Zola ou Victor Hugo ( le poète français à par ailleurs donné sa propre définition du théâtre : « Le théâtre a charge de représenter les mouvements de l'âme, de l'esprit, du monde, de l'histoire « ). Un bel exemple de dramaturge mêlant le comique à l'art de faire réfléchir est Marivaux, bien connu pour traiter des sujets graves sur un ton léger.
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{text:soft-page-break} Pour terminer, il convient de faire une synthèse des limites que rencontre le théâtre en vue de représenter la réalité. Qu'elles soient purement matérielles ou imposées par d'autres éléments comme les mœurs et les coutumes, ces limites différencient une pièce de théâtre d'une seconde réalité.
Certaines de ces limites sont donc dues à différents facteurs d'ordre matériel et indépendant de la volonté d'une société, de l'auteur ou d'un tiers. Ces limites sont la différence majeure entre une pièce de théâtre et le monde qui nous entoure. Ainsi, bien que la pièce Richard III soit censée durer trois longues années, une représentation théâtrale se verra dans l'obligation de condenser cette période en un grand maximum d'une demi-douzaine d'heures, sans quoi le public ne pourrais maintenir un esprit lucide pendant une aussi longue période (et il est évident qu'une pièce durant au delà de plusieurs jours nuirait gravement à la santé du public). Une pièce est donc limitée dans le temps, mais aussi dans l'espace: le plus gigantesque des décors n'arrivera jamais à la cheville de notre planète. En dehors du cadre spatio-temporel, la présence du public, innérante à la représentation, est un facteur qui limite la ressemblance avec le réel. Comment s'immerger dans un drame shakespearien quand une dame obèse se mouche régulièrement sur votre gauche ? Ce genre de détail peut faire sourire mais il s'agit d'un élément capital. En plus de ces quelques limites, on peut aussi citer le jeu des acteurs (leurs performances varient), les actions typiques du théâtre qu'on ne retrouve pas dans la réalité (monologues, a parte, etc) ou encore les contraintes physiques (on ne peut pas véritablement tuer un acteur).
En plus de ces limites naturelles s'ajoutent un carcan de conventions qui longtemps étouffa les auteurs dramatiques (bien que certains furent d'autant plus à l'aise que ces règles leur permettait de se concentrer sur l'essentiel, ce fut le cas de Corneille). Les conventions, décrites comme nécessaires par Boileau (qui répondait à ceux qui rétorquait l'existence de scènes censurées par les conventions par la phrase suivante: « Ce qui est vrai peut n'être point vraisemblable « ), réduisaient le cadre spatio-temporel ainsi que l'action _ via _la règle des trois unités et imposaient un voile pudique (depuis longtemps) retiré matérialisé par les bienséances. On constate ici que l'Homme se fixe ses propre limites, il est s'auto-censure pour s'interdire des dérives.
Enfin, il est indispensable d'évoquer le théâtre de l'absurde, dont les figures de proue, Jarry, Beckett et Ionesco, ont véritablement détruit les règles pesant sur le théâtre en même temps qu'ils ont brisé les artifices du langage et de la comédie. On assiste alors à une rupture totale et définitive avec le réel. Beckett rappel fréquement au public que les évènements qui se déroulent sous ses yeux ne sont qu'une mascarade « Hamm: A me donner la réplique «. Ionesco parodie les us et coutumes avec des monologues sans sens comme la première tirade de La Cantatrice Chauve. Avec Alfred Jarry qui commence Ubu roi avec le célèbre « Merdre «, les deux auteurs brisent le langage et remettent en question jusqu'à l'existence de l'Homme. On peut conclure avec cette citation de Philippe Minyana: « Le code du théâtre est beaucoup moins riche que la variété des simulacres de la Vie «.
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Ainsi, il apparaît que le public vas au théâtre dans le but de faire des songes, songes qui s'appuient sur une copie de la réalité, copie elle même chargée de défauts liés à la condition du théâtre. Exception faite du théâtre de l'absurde qui lui est destiné à choquer et qui, de plus, ne tente en aucun cas de copier le réel, un spectateur vas au théâtre dans le but de ressentir une émotion ou de réfléchir. Que ce soit le rire ou les larmes, ces émotions nécessitent de toucher le spectateur, et le seul moyen efficace d'y parvenir est de copier au mieux la réalité dans le but d'immerger ledit spectateur dans un nouvel univers de haine, d'amour, de violence ou de tendresse. Nous devons à Victor Hugo la citation suivante qui résume bien la situation: « contentons nous de dire que le théâtre, comme la Vie, est un songe, sans trop nous soucier du mensonge «.
Les dramaturges s'inspirent donc de la réalité dans le but de créer le songe... Sur ce point là, ne peuvent-ils pas être comparés aux poètes qui, à partir de notre environnement travaillent et façonnent les objets de tout les jours pour les « dévoiler dans toute leur splendeur « afin de faire rêver ?
Liens utiles
- Va-t-on au théâtre pour « se faire des songes » ou pour « retrouver, sous sa forme prosaïque, la morne réalité » ?
- Giraudoux écrit dans son Discours sur le théâtre : « Le spectacle est la seule forme d'éducation morale ou artistique d'une nation. Il est le seul cours du soir valable pour adultes et vieillards, et le seul moyen par lequel le public le plus humble et le moins lettré peut être mis en contact personnel avec les plus hauts conflits, et se créer une religion laïque, une liturgie et ses saints, des sentiments et des passions. »
- « Nous n'allons pas au théâtre en inspecteur, en contrôleur. Nous allons au théâtre pour penser, une heure ou deux, à autre chose. Pour nous distraire, nous émouvoir. Pour entendre et voir de belles choses, des choses justes aussi, et bien dites », écrit le critique Michel Cournot. Pour d'autres, le public vient au théâtre pour se « regarder lui-même », ou pour apprendre à mieux connaître la nature humaine.
- A propos de la notion de réalisme, un critique contemporain, Albert Béguin, nous livre cette réflexion : « Le liseur de romans applaudit : "C'est comme dans la vie. " Il prouve par là qu'il est étranger à toute forme d'art. Les personnages d'une œuvre ne ressemblent pas davantage à ceux de la réalité que les habitants des songes. La Clytemnestre d'Eschyle, don Quichotte, les frères Karamazov, Mme Bovary, le Grand Méaulnes sont "vrais" justement parce qu'ils ne sont pas comme nous autre
- A propos de la notion du réalisme, un critique contemporain, Albert Béguin, nous livre cette réflexion : «Le liseur de romans applaudit: «C'est comme dans la vie. » Il prouve par là qu'il est étranger à toute forme d'art. Les personnages d'une œuvre ne ressemblent pas davantage à ceux de la réalité que les habitants des songes. La Clytemnestre d'Eschyle, don Quichotte, les frères Karamazov, Mme Bovary, le Grand Meaulnes sont « vrais » justement parce qu'ils ne sont pas comme nous autre