Schubert, Mon rêve (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Schubert, Mon rêve (extrait). Écrit par Schubert le 3 juillet 1822, ce texte retrouvé par son frère Ferdinand demeure énigmatique. Est-il autobiographique (la famille évoquée n'est pas sans lien avec celle de Schubert) ? A-t-il été rédigé pour un jeu de société ? Malgré l'atmosphère singulière, ce n'est sans doute pas un rêve : le récit est très clairement structuré en un schéma binaire ; avant la réconciliation, le narrateur est deux fois chassé, et deux personnages féminins meurent. On trouve défini ici surtout le caractère même de l'univers schubertien, marqué par la nostalgie et le lien indissociable entre amour et douleur. Mon rêve de Franz Schubert J'avais beaucoup de frères et soeurs. Notre père et notre mère étaient bons. Je leur étais attaché à tous par un profond amour. Un jour, notre père nous conduisit à une fête. Mes frères s'amusaient, mais moi j'étais triste. Alors mon père s'approcha de moi et me dit de goûter aux friandises. Mais je ne pouvais pas, et mon père courroucé me chassa hors de sa vue. Je détournai mes pas, rempli d'un amour infini pour ceux qui m'éloignaient, et j'errai dans des contrées étrangères. Pendant des années, le plus grand chagrin et le plus grand amour se partagèrent mon coeur. Puis j'appris la nouvelle de la mort de ma mère. Je me hâtai pour la voir et mon père, adouci par la douleur, ne s'opposa pas à mon retour. Je vis alors son cadavre. Les larmes m'emplirent les yeux. Pareille au cher passé dans lequel nous pouvions chercher la pensée de la morte, pareille à elle-même autrefois, je la vis reposer. Et nous suivîmes son corps en deuil, et le cercueil disparut. À dater de ce jour, j'habitai de nouveau à la maison. Mon père me conduisit comme autrefois dans son jardin favori. Il me demanda s'il me plaisait. Mais ce jardin me faisait horreur et je n'osai rien dire. Alors il me demanda une seconde fois, courroucé, si le jardin me plaisait. Je répondis non en tremblant. Là-dessus, mon père me frappa et je m'enfuis. Et, pour la seconde fois, je détournai mes pas et, le coeur plein d'un amour infini pour ceux qui me chassaient, je recommençai à errer en pays étranger. Des années durant, je chantai mes chansons. Voulais-je chanter l'amour, il devenait chagrin. Voulais-je chanter mon chagrin, il devenait amour. Ainsi l'amour et le chagrin se partageaient mon être. Et je reçus un jour la nouvelle de la mort d'une pieuse jeune fille. Une foule s'était rassemblée autour de son tombeau, et dans cette foule les jeunes gens et les vieillards allaient et venaient comme des ombres bienheureuses. Ils parlaient bas pour ne pas la réveiller. De célestes pensées paraissaient constamment jaillir de la tombe de cette fille et se répandre parmi les jeunes gens comme de légères étincelles avec un doux murmure. J'éprouvai un grand désir de m'en approcher. Mais seul un miracle, disaient les gens, pouvait m'introduire dans ce petit cercle. Pourtant, je m'approchai à pas lents vers la tombe, plein de respect et de foi, les yeux baissés ; et avant même de m'en rendre compte, je me trouvai dans ce groupe d'où s'élevait un chant merveilleux, et je sentis la béatitude éternelle comme concentrée en un instant. Je vis aussi mon père, réconcilié et aimant. Il me serra dans ses bras et pleura. Et moi encore plus. Source : Schubert (Franz), Mon rêve, trad. par Hans Hildenbrand, in Schubert, Album de famille, Saugier (François), Paris, Lattès, 1992. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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