Scène d'exposition de Phèdre de Jean RACINE
Publié le 23/11/2010
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INTRO
Ce commentaire composé concerne la scène d’exposition de Phèdre, une œuvre très connue de Jean RACINE (1639-1699). Orphelin, il est recueillit par sa grand-mère, où il reçoit une solide formation intellectuelle avant de rentrer en classe de philosophie au collège d’Harcourt. Quelques années plus tard, il rentre à l’Académie française. Il a écrit de nombreuses œuvres telles que La Thébaïde (1665), Andromaque (1667), Les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), et d’autres encore, cependant Phèdre s’affirme comme son chef d’œuvre, elle est sa dernière tragédie avant un long silence de douze ans au cours duquel il se consacrera au service du roi et à la religion. Cette pièce fut écrite en 1677 et représentée pour la première fois le 1er janvier 1677 à l’Hôtel de Bourgogne. Cet ouvrage est une tragédie classique composée de 5 actes rédigés en vers et comportant 1 654 alexandrins. Le cadre et les personnages sont inspirés de la mythologie grecque. En tant que tragédie classique, cette œuvre se doit de respecter la règle des 3 unités : unité de temps, (allusion au temps rare) unité d’action (concentrée sur la passion de Phèdre, dont les tragiques conséquences touchent tous les personnages), et l’unité de lieu (le port de Trézène lié au désir d’évasion tout en restant dans un lieu clos). N’oublions pas qu’une scène d’exposition est en général la première scène d’une pièce qui a pour but de fournir les éléments nécessaires à la compréhension de la situation initiale : elle doit présenter l'intrigue (c'est-à-dire la situation de l'histoire), le contexte (spatio-temporel...) les décors de la pièce, les costumes des personnages et les liens qu’ils entretiennent. Elle est efficace si elle intrigue le lecteur, ce qui le poussera à poursuivre la lecture de la pièce. Dans cette scène d’exposition, uniquement masculine, les personnages que l’on rencontre sont Hippolyte et son confident Théramène, pourtant Phèdre est très présente dans la suite de l’acte. C’est Hippolyte qui débute la pièce alors que le titre nous laisserait pensé que Phèdre en serait la première oratrice provocant un effet d’attente. Cela s’explique par l’ancien titre du livre qui était : Phèdre et Hippolyte. L’action commence in medias res en effet on est plongé d’emblé au milieu de l’action. La scène d’exposition a donc d’autant plus un rôle important de situer le public sur les évènements qui se sont préalablement déroulés. Cette scène d’exposition concerne Hippolyte qui nous révèle différents aveux au sujet de son amour pour Aricie, celui que lui porte sa belle-mère, la quête de son père… cependant l’intrigue reste inavouée, plusieurs pistes semblent s’offrir a nous. Dans un premier temps nous aborderons ces pistes mises en avant, et celle qui semblerait être la vraie, et pourquoi Hippolyte ne nous la révèle pas concrètement. Dans un deuxième temps on parlera de l’opposition entre l’ombre et la lumière, en effet les personnages semblent partagés entre deux décisions : dire ou ne pas dire. Et nous finirons par la fatalité, en quoi est elle irrémédiable, et ce qu’elle provoque. Tout cela pour tenter de répondre à notre problématique : « Comment cette scène d’expo° qui ne présente pas l’intrigue, révèle t’elle les enjeux profonds de la pièce ? «
I) Trois fausses pistes
1) Une structure tripartite
a) La première intrigue : Une télémachie
La première réplique d’Hippolyte laisse à penser que l’intrigue de la pièce va reposé sur la cause de son départ (« je pars cher Théramène « vers.1).
Dans un premier temps, on sait qu’il se trouve à Trézène grâce a l’indication de lieu (« […] de l’aimable Trézène « vers.2 - didascalie interne). Trézène étant le lieu de l’enfance heureuse, considérée comme une sphère intime, comme le cadre idéal de l’amour répondant au nom de Pastorale (lieu d’harmonie entre l’homme et la nature) il en paraîtrait anormal de vouloir le quitter.
Dans un deuxième temps, il évoque la présence d’un « doute mortel dont [il est] agité « qui semblerait être le problème grave (« mortel «) que le héros doit résoudre. Ce trouble important le ferait « rougir de [son] oisiveté «. Le fait de rougir fait ressortir a l’extérieur ce qu’il se passe à l’intérieur portant l’idée de honte. Il « ignore « (vers. 6-7) l’endroit où son père se trouve. Il réclame l’éclaircissement de cette situation qu’il pense trouver par la quête de son père : télémachie (un fils à la recherche de son père).
Dans la fin de la tirade, le mythe de Thésée est évoqué. Cependant on remarque une allusion aux aventures amoureuses de Thésée (vers 20-21) qui s’oppose à ses exploits héroïques. Hippolyte est donc tout aussi fier que honteux de son père. On parle donc d’une opposition entre l’honneur du guerrier et la honte de l’amant. Hippolyte est en quête d’une figure paternelle dont il serait fier et qu’il pourrait respecter.
Cependant la question rhétorique (=oratoire, qui n’attend pas de réponse) de Théramène désamorce totalement la première fausse piste, cette quête est inutile. On comprend alors que cette télémachie n’aura pas lieu. C’est pourtant toute la Grèce que Théramène avait évoquée. (L’Epire, L’élide, Le Ténare, la mer Icarienne, l'Achéron du vers 10 à 14).
Si cette intrigue reste fausse. Pourquoi veut-il quitter ces lieux ?
b) La seconde intrigue : L’amoureux incestueux de Phèdre
Hippolyte fuit Phèdre, sa belle-mère, qui éprouve un amour monstrueux pour Hippolyte, son beau fils, on parle d’un amour interdit, contre-nature. Il a pourtant bien raison de vouloir la fuir car elle sera la cause de sa perte. L’inimitié de Phèdre à l’égard d’Hippolyte semblerait alors être la réelle intrigue. Le vers 38 : « et blesse votre vue « renvoie a la notion de voir. Phèdre mise en lumière, crée une souffrance, il faut donc se cacher d’elle. On retrouve ce jeu au vers 39-40 « elle vous vit « lié à « votre exil «. Du moins c’est ce qu’il nous laisse penser car il nie cela. Afin de nier il se cache derrière son amour pour Aricie et l’affirme comme coupable de sa fuite.
c) La troisième intrigue : Aricie
« Et je fuirai ces lieux que je n’ose plus voir « annonce la présence d’une troisième intrique potentielle. Hippolyte est amoureux, il fuit cet amour qu’il éprouve pour Aricie. « Ces lieux « est une métonymie (figure de style consistant a désigner une réalité par un mot qui ne la désigne pas directement mais qui entretient avec elle un rapport de proximité) pour Aricie qu’ils contiennent. Cette métonymie est placée ici pour montrer les réserves qu’Hippolyte éprouve à avouer son amour. Il fuit car il n’ose plus voir Aricie (notion d’oser voir/ ne pas oser voir qui est un paradigme amoureux central chez Racine), il tente de ne pas tomber amoureux, il veut suivre son devoir (héroïque). Montrant alors l’opposition suivre « mon devoir « (vers.27) et fuir Trézène et donc Aricie.
2) Fonction de Théramène
On débute la pièce par les paroles d’Hippolyte, en effet celui-ci nous place dans le contexte (« cher Théramène « vers.1) : il nous renseigne donc qu’il s’adresse a Théramène, jouant le rôle de gouverneur, de confident. Hippolyte va par la suite lui révéler de nombreuses informations telles que son départ précipité « et quitte le séjour de l’aimable Trézène «, ou encore la raison de ce départ « depuis plus de six mois éloigné de mon père «. Ce qui va permettre au lecteur de se situé dans cette pièce qui parait déjà bien avancée (« depuis plus de six mois « vers.5 - notion de passé), l’action est prise in medias res (au milieu des choses) permettant alors de respecter la règle des 3 unités : Phèdre étant une tragédie classique elle se doit de conserver l’unité de lieu, de temps mais aussi d’action.
C’est Théramène qui pose les questions, et Hippolyte celui qui y répond. Petit à petit les questions vont permettrent à Hippolyte de faire surgir son trouble secret.
Théramène joue un rôle important : il permet au personnage principal de la scène de se libérer de ses révélations sans établir un monologue long et ennuyeux. On parle alors de double énonciation : l’émetteur soit Hippolyte s’adresse a son récepteur, ici Théramène qui lui répond etc. entraînant une communication entre les 2 personnages écoutée du public.
On se retrouve dans une configuration classique de la scène d’exposition : un personnage central (Hippolyte) et son confident (Théramène) discute dans le but de révéler l’intrigue et les personnages.
Théramène a donc le rôle de confident et de révélateur. Cette idée de révélation est basée sur l’intrigue que la scène d’exposition est sensée révélée. Le public s’attend donc à être mis au courant de l’intrigue dès les premières répliques. Où se cache t’elle ?
3) L’intrigue est cachée dans la deuxième fausse piste
L’intrigue se cache dans la deuxième fausse piste : La fuite pour échapper à sa belle mère Phèdre, amoureuse de lui. Ce qui lui causera sa perte. En effet Hippolyte pense Phèdre inoffensive, il a tort mais ses mots disent vrai (« sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains «). Ce n’est pas l’inimitié de Phèdre qu’il doit craindre mais son amour. Racine s’amuse a multiplié les scénarios potentiels.
BILAN : Une scène d’exposition a pour but de renseigner le public, de le mettre en condition, de lui révéler les personnages, les lieux, et l’intrigue de la pièce. Cependant la scène d’exposition de Phèdre ne remplit pas ce rôle. On peut en conclure que ce n’est pas une vraie scène d’exposition ; elle s’y prend différemment. Racine décide de ne pas révéler l’intrigue tout de suite ce qui permet au public de l’imaginer lui-même et de faire ses propres suppositions sur la suite de la pièce (horizon d’attente). En effet l’intrigue reste plutôt cachée, et celui qui est sensé nous la révélé ici, soit Hippolyte ne donne pas l’air d’en avoir envie malgré les nombreuses interrogations de Théramène qui cherche a le pousser a l’aveu. Va-t-il nous révéler concrètement au grand jour le problème qui le ronge ou s’enfermera t’il dans l’ombre ?
II) Ombre et lumière
1) « La fille de Minos et de Pasiphaé «
La périphrase (figure de style qui consiste à remplacer un mot par sa définition ou une expression plus longue, mais équivalente) au vers 36 « La fille de Minos et de Pasiphaé « exprime tout au sujet des antécédents proches de Phèdre, et de l’intrigue qui va naître : Phèdre n’est évoquée par Hippolyte qu’à travers son ascendance : son père Minos incarne la loi, il est le fils de Zeus et d’Europe. Il est une sorte de double de Thésée, héros et séducteur. Après sa mort, il devint un des trois juges des Enfers et sa mère Pasiphaé est fille du soleil, elle apparaît plus monstrueuse encore que le Minotaure avec qui elle s’est accouplée, union contre-nature inspirée par Poséidon.
Pour un personnage de Proust (Bloch Roland Barthes écrit Sur Racine), ce vers a « le mérite suprême de ne signifier absolument rien «. En réalité ce vers témoigne de la destinée fatale de Phèdre avec l’opposition entre la lumière (fille du soleil) et les ténèbres (juge des enfers). De plus l’amour que Phèdre porte a son beau fils Hippolyte reste monstrueux et incestueux : elle répète les amours improbables de sa mère. Par ailleurs, elle craint la réaction et donc le jugement que son père Minos lui porterait à l’annonce de cet amour qu’elle porte à Hippolyte. Tout ceci situe Phèdre dans une descendance contrastée. Cette opposition entre ombre et lumière est associée à celle entre secret et aveux, la parole laissée dans l’ombre ou celle révélée à la lumière. Elle hérite donc d’une parenté fatale. Phèdre doit elle parler ?
2) Dire/ ne pas dire
D’après Barthes garder le secret c’est demeurer dans la stérilité, se précipiter vers la mort. (Absence de pièce car le théâtre classique repose sur la seule action possible : la parole). Si Phèdre ne dit rien, il n’y a alors plus d’action. Par ailleurs son silence la ronge et est en train de la tuer progressivement. Ce qui montre encore la fatalité qui accable Phèdre ; elle est partagée entre deux.
De plus on a constaté avant, qu’il y a 3 fausses pistes concernant les intrigues ce qui témoigne de l’hésitation d’Hippolyte, censé nous la révélée. Il semble hésitant au fait de le dire ou de ne pas le dire.
La litote du vers 57 « Si je la haïssais je ne la fuirais pas « représente un sous entendu, en effet il le dit sans vraiment le dire. Le verbe haïr est l’inverse du verbe aimer. On utilise les contraires pour susciter chez le public un sens beaucoup plus fort que n’aurait fait la même idée exprimée en toute simplicité.
3) Voir/ ne pas voir
On part du principe que voir c’est aimer. On comprend alors la décision de Phèdre qui veut mourir, et celle d’Hippolyte qui veut partir et donc fuir. Ils cherchent à ne pas être confronté à leur amour. Ils ne veulent pas voir Aricie pour Hippolyte et Hippolyte pour Phèdre car ils tomberaient d’autant plus amoureux et failliraient à leur devoir héroïque. Pour affirmer cela on s’appuie sur la rime des vers 27-28 entre devoir/voir.
BILAN : Ces deux actions : voir et dire démontrent la présence d’une potentielle révélation que le personnage concerné hésite à nous faire. Il fait alors des sous entendus par le biais de périphrase par exemple. On déduit alors ce qu’il souhaite nous faire entendre car il ne peut en termes clairs l’affirmer au grand jour car il est impossible d’avouer l’inavouable (Phèdre aime son beau-fils, Hippolyte fuit Trézène pour Aricie, sa bien-aimée), ils éprouvent des amours interdits. Ces deux personnages se voient partagés entre deux décisions. Seulement l’aveu est inscrit dans la fatalité et un moment ou l’autre la vérité sort de l’ombre. La fatalité reste inévitable.
III) Fatalité
1) le poids du sang
Chaque personnage est déterminé par ses parents. Hippolyte fuit l’amour pour effacer la part négative du mythe paternel. Aricie ne peut épouser un grec à cause du crime de ses frères quand à Phèdre elle subit un amour monstrueux comme sa mère tout cela à cause de son aïeul le soleil.
2) Phèdre
Par l’hémistiche « les dieux ont envoyés «. Racine révèle que l’arrivée de Phèdre à Trézène n’est pas un hasard, mais une décision divine. Cette arrivée s’inscrit donc dans la notion de destin. Ainsi le vers 34 « tout a changé de face « est peut être à prendre au sens littéral. L’univers a basculé de sa face lumineuse à celle obscure depuis que Phèdre, ce soleil noir, est apparue.
Phèdre doit faire face à la fatalité. Le péril de cette femme qui cherche à mourir est bien réel. (« Une femme mourante, et qui cherche a mourir « vers.44). Phèdre est suicidaire. Elle souhaite disparaître et donc échapper à son destin. Phèdre refuse le rôle qu’elle doit jouer mais devra tout de même le faire, on parle de tragédie.
« Phèdre atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire « correspond à son amour impossible pour Hippolyte. Cette dialectique entre parler ou se taire se double d’une dialectique entre montrer ou cacher (ombre/lumière). Le vers suivant mentionne que Phèdre veut se taire, elle renonce à parler pour ne pas faillir à son devoir, elle renonce donc à la lumière. Il n’est pas étonnant que le vers mentionne pour le rejeter «le jour qui l’éclaire «.
Dans tous les cas si Phèdre parle elle assume sa monstruosité et son amour incestueux, elle devient une créature infernale mais solaire. Si Phèdre se tait, elle se condamne à l’obscurité infernale et à la mort. Racine brouille les repères symboliques, ici la lumière n’est pas plus positive que l’ombre.
Les deux faces sont inscrites dans la fatalité.
3) inconscients du langage : litotes involontaires
BILAN
LES PERSONNAGES SONT CONTRAITS POSE LA QUESTION DE LA RESPONSABILITE
De plus Hippolyte affirme que Trézène est un paradis perdu (« Cet heureux temps n’est plus « vers.34). Ce lieu décrété d’utopique et idyllique « à changer de face «.
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