Sarajevo : les bombes, la vie, les bombes
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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appellent des " petites bombes ", plusieurs pétards qu'ils enroulent et enflamment dans des boules en papier.
Les pigeons sedéhanchent en piquant du bec dans des détritus recouvrant certains trottoirs.
D'autres enfants, des femmes, des adolescentsmarchent d'un pas lent avec l'automatisme de l'habitude, des bidons vides à la main, à la recherche d'un point d'eau.
Desmanteaux, de belles fourrures, des poignées de main, des sourires délicats : les habitants de Sarajevo renouent avec le furtif plaisird'urbanité, une routine qu'ils savent éphémère.
Deux restaurants sont fermés faute d'avoir été approvisionnés dans la matinée un troisième sert encore des chiches-kebabs, dumouton haché et grillé acheté au marché noir.
A l'intérieur, des tables basses, des tabourets et des coussinets une fresque naïvesuperposant des femmes brunes en costume folklorique, des montagnes enneigées et les anneaux olympiques.
Les serveusesoffrent de grands verres d'eau.
Une dame distinguée explique qu'elle n'a jamais autant mangé d'oignons depuis le début de laguerre.
" Avant, c'était vulgaire, gênant pour l'haleine maintenant, cela donne du goût à tout : au pain, aux pommes de terre ".Deux hommes, visiblement aisés, peut-être des nouveaux riches, fument et discutent vivement d'un marché : le prix d'une heured'utilisation d'une voiture dans le centre-ville.
Le litre d'essence est évalué entre 35 et 38 deutschemarks (environ 140 francs).
Atravers les fenêtres, on voit défiler les passants : un jeune homme boitant, d'autres se promenant avec des pansements, sur unbras, sur un oeil, ou sur le front.
Un homme mal rasé parle tout seul en dodelinant de la tête.
Souvent les passants ont destremblements de mains, des tics d'expression.
Un deutschemark et demi par mois
La ville bruisse d'histoires, d'anecdotes : un camion de ravitaillement d'eau, un jour, a été touché alors que les secouristesn'avaient pas encore dégagé le corps du conducteur déchiqueté, les habitants du quartier s'étaient déjà précipités pour separtager la cargaison.
C'est la septième fois que le magasin de bijoux a été bombardé le vieux marché couvert a reçu trois coupsde mortier d'autres ont explosé à Tito's Street et sur la grande mosquée.
Chacun recompose son itinéraire et l'on réalise qu'à unedemi-journée près ou à quelques minutes...
" Sarajevo, c'est comme le chemin de fer : tu traverses la voie alors que tu entends déjà le bruit du train il te tue ou il ne te tuepas ", dit Minka.
Le premier violon de l'Orchestre de Sarajevo, Eranovic Bogolip, a dû, pour se chauffer, brûler les livres de sabibliothèque.
Une dame très riche a cassé ses meubles de style pour alimenter son poêle d'autres ont décollé les lames de leursparquets.
Nedja et Dina, deux jeunes fiancés, ont chacun perdu une jambe dans une explosion alors qu'ils roulaient en voiture :" On essaie de déconner avec eux, d'être même un peu durs, de ne pas tomber dans la pitié ni dans les plaintes ".
J'ai réussi àfaire faire du vélo à Nedja quand il a eu sa nouvelle prothèse, explique Samir, trente et un ans, un de leurs amis, ancien guidetouristique.
Deux enfants se sont égarés un soir le long d'un cimetière, se retrouvant de l'autre côté, détenus par les Serbes.
Cesderniers ont poussé un coup de gueule sur leur CB, du genre : " vous ne pouvez pas surveiller vos enfants ? Et qu'est-ce qu'on enfait maintenant ? " Finalement, il les ont renvoyés tout cela a été discret, officieux, assure Samir, qui connaît aussi deuxcombattants, l'un dans les rangs serbes, l'autre dans l'armée bosniaque, " des amis d'enfance qui ont vécu et se connaissent depuistoujours.
Aujourd'hui, ils se tirent dessus mais ils ne peuvent pas s'empêcher de se téléphoner ".
Agée de quatre-vingt-trois ans, Lepa Mijukovic, elle, est bosniaque d'origine serbe.
Sa soeur habite, elle aussi, dans la vieilleville mais de l'autre côté de la rivière, sous contrôle serbe.
" Je n'ai pas de nouvelles j'ai seulement appris qu'elle était en vie parun chauffeur de taxi ".
Veuve d'un comptable des chemins de fer, Lepa touche l'équivalent d'un mark et demi par mois (environ 5francs) " Avec ça, je ne peux m'acheter que des allumettes " disait-elle mercredi en riant.
Lepa n'a pas mangé de viande " depuisun an et demi ".
Matin et soir, elle se rendait dans une des cuisines populaires que la Croix-Rouge internationale a installées pourles plus démunis.
" C'est chaud, on mange une soupe, des pâtes, du riz ".
Et puis elle revenait chez elle entre deux repas,s'emmaillotant dans un manteau et se couchant dans un lit qu'elle avait fait installer dans son salon.
L'été dernier, un obus est entrédans sa chambre sans exploser " mais ça avait fait trop de dégâts ".
Et, depuis, Lepa n'avait jamais voulu y remettre les pieds.Souvent, elle disait à sa voisine Minka : " Frappez à ma porte, simplement frappez pour voir si je suis encore en vie ".
Lepa avaitpris l'habitude de voir les heures défiler ainsi dans son lit, près de son canapé en moleskine rouge et ses bibelots dépareillés.
Jeudi 31 décembre à 15 heures, un obus a pénétré dans le salon et, cette fois-ci, il a explosé.
Lepa était là mais n'a été quelégèrement blessée.
Ses amis ont réussi à déblayer les décombres et à l'extraire de la poussière et des morceaux de canapé.
Le 1janvier, Lepa cherchait un nouveau foyer.
Dimanche, personne ne savait si elle avait été hébergée.
DOMINIQUE LE GUILLEDOUXLe Monde du 5 janvier 1994.
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