Roussel, Impressions d'Afrique (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document


«
La descente continua ainsi, lente et régulière.
À chaque marche, le maître, consciencieusement, remuait la gerbe en tous sens avant d'y chercher, du bout des doigts, la désignation de tel son inattendu aussitôt gravé en caractères
suffisamment lisibles.
Les invités suivaient leur hôte pas à pas, vérifiant facilement la rectitude du travail par l'examen des faveurs diversement nuancées.
Parfois, Corfield prenait la plume et la trempait dans l'encre avant de la rendre à l'aveugle.
Au bout de dix minutes, Haendel écrivit la vingt-troisième note et dévala sa dernière marche, qui le conduisit au niveau du rez-de-chaussée.
Gagnant une banquette, il s'assit un moment et se reposa de son labeur en donnant à ses amis la
raison déterminante qui l'avait amené à choisir un mode d'inscription aussi étrange.
Sentant sa fin prochaine, Haendel avait légué à la ville de Londres sa maison tout entière, destinée à être érigée en musée.
Une grande quantité de manuscrits de curiosités et de souvenirs de toute espèce promettait déjà de rendre fort
captivante la visite du home illustre.
Pourtant le maître restait hanté par le désir d'augmenter sans cesse l'attrait du pèlerinage futur.
C'est pourquoi, saisissant une occasion propice, il avait ce soir-là fait de la main courante en question un
monument impérissable, en autographiant sur elle le thème incohérent et bizarre dont le nombre de marches primitivement ignoré venait de fixer à lui seul la longueur, ajoutant de la sorte une particularité supplémentaire au côté
mécanique et voulu de la composition.
Remis par quelques instants d'immobilité, Haendel.
Escorté de ses amis, regagna la salle du premier, où la soirée se termina gaiement.
Corfield se chargea de transcrire musicalement la phrase élaborée par le caprice du hasard, et le maître
promit de suivre strictement les indications du canevas, en se réservant seulement deux libertés, d'abord celle des valeurs, puis celle du diapason, qui évoluerait sans contrainte d'une octave à l'autre.
Dès le lendemain Haendel se mit à la besogne avec l'aide d'un secrétaire habitué à écrire sous sa dictée.
La cécité n’avait nullement affaibli l'activité intellectuelle du célèbre musicien.
Traité par lui, le thème au contour fantastique prit une allure intéressante et belle, due à d'ingénieuses combinaisons de rythme et d'harmonie.
La même phrase de vingt-trois notes se reproduisant sans cesse, présentée chaque fois sous un aspect nouveau, vint constituer à elle seule le fameux oratorio Vesper, œuvre puissante et sereine dont le succès dure encore.
Source : Roussel (Raymond), Impressions d’Afrique, 1910.
Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.
Tous droits réservés..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Impressions d'Afrique de Raymond Roussel (analyse détaillée)
- Impressions d'Afrique de Raymond Roussel
- NOUVELLES IMPRESSIONS D’AFRIQUE Raymond Roussel (résumé)
- Impressions d'Afrique [Raymond Roussel] - Fiche de lecture.
- IMPRESSIONS D’AFRIQUE de Raymond Roussel (vie et oeuvre)