Rimbaud, Le Dormeur du Val – Poésies.
Publié le 28/09/2010
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Le Dormeur du Val est un poème qui figure dans les Cahiers de Douai dans le recueil Poésies. Rimbaud (1854-1891) l’écrivit en octobre 1870 : le contexte d’écriture s’inscrit au lendemain de la capitulation française face à la Prusse avec la capture de Napoléon III, neveu de Napoléon Ier et empereur de France de 1852 à 1870, qui entraîne la chute du Second Empire. Le 4 septembre 1870 est proclamée la République. Rimbaud profita de ce trouble pour effectuer une fugue qui le mènera à Paris voir les républicains. Il sera vite emprisonné à Mazas et libéré, il revient d’abord à Douai où l’accueillent les tantes de son prof Izambard. Ce recueil, Rimbaud l’adressera à P. Demeny : il est constitué de poèmes qui offrent un témoignage ironique voire satirique sur la société qui l’entoure. Dans Le Dormeur du Val, Rimbaud s’emploie à dénoncer l’absurdité de la guerre.
Ce poème est donc un sonnet (2 quatrains, 1 sizain) en alexandrins, tout à fait régulier en regard de la tradition du sonnet de la Renaissance. Il faut dire que c’est un des premiers poèmes du poète : il a alors 16 ans. On distingue deux mvts dans ce poème : 1/ la description d’une nature lumineuse, fertile au milieu de laquelle dort paisiblement un jeune soldat (2 quatrains) 2/ moment où le faux dormeur se révèle être un vrai mort. Ce poème appartient au mouvement symbolique (rappelons la tentative de Rimbaud de se faire publier dans le Parnasse contemporain). C’est un poème satirique dénonçant l’absurdité de la guerre laisse peu à peu suggérer la mort du jeune soldat à travers tout un jeu de symboles.
Projet de lecture : Comment Rimbaud renforce-t-il l’efficacité de ce poème satirique en le faisant reposer sur un jeu de symboles ?
I/ Un soldat endormi dans une nature idyllique.
1. Une nature lumineuse, fertile et vivante.
Paysage vert donc fertile → idée de vie ; personnification de la rivière qui « chante « donc idée de bonheur, d’inquiétude. Chant = bruit doux de l’eau de la rivière, « accroche follement « renforce l’idée d’un mouvement joyeux, d’ivresse, exaltation, bonheur. Haillons : petit bout de vêtement → on ne perçoit pas encore le sens (peut désigner un fragment de vêtement qu’aurait perdu le soldat au combat). L’eau de la rivière reflète au soleil :
→ nature lumineuse : d’argent en rejet mis en valeur : reflet de l’eau au soleil évoqué immédiatement après ; personnification de la montagne qui est « fière « (hauteur→ majesté du paysage) ; luit en rejet : on insiste une nouvelle fois sur la luminosité du décor. Petit val : idée d’abri, auquel renvoie d’ailleurs la périphrase « trou de verdure «→ il apparaît comme un refuge. « mousse de rayons « : métaphore (comme du champagne qui mousse, idée d’ivresse, de folie qui renvoie à « follement «.
Donc véritable cadre idyllique, presqu’une image du paradis.
2. Un jeune soldat endormi.
« soldat jeune « et non « jeune soldat « comme on s’y attendrait, mise en évidence de la jeunesse du soldat plutôt que son activité ? Il a la bouche ouverte : pour respirer le grand air de la nature ? Tête nue : pas de casque, donc soldat désarmé, pas au combat : rythme ternaire, impression de saccadé mais pas d’interprétation possible pour le moment. Sa nuque baigne dans l’eau calme.
Dort en rejet donc mise en valeur du sommeil. Surtout cela permet de faire le lien avec le titre : jusqu’ici le décor était le lieu de l’indéfini (« un «, « une « on avait un soldat). Maintenant, un soldat →→ le dormeur et un petit val → du val. Ils deviennent exemplaires : le titre place le soldat et le val en situation définie.
Il est étendu : donc pas sur la défensive ni en posture d’attaque, il est allongé, endormi, paisible → quiétude. De nouveau herbe → fertilité.
Mais il est pâle, lit vert = périphrase pour l’herbe, lit= lieu de sûreté, de l’intimité → donne une idée de sa relation avec la nature. Mais qqch se passe, il y a comme un renversement de perspective : jusqu’ici on percevait le soldat au milieu de la nature, on voyait d’abord la nature puis le soldat mais désormais la nature n’est plus que le lit du soldat, c’est donc le soldat qu’on voit d’abord et la nature qu’on devine sous lui. « lumière pleut « peut être assimilé à une antithèse : certes la « lumière pleut « peut renvoyer à l’abondance de la lumière mais la pluie provient aussi des nuages, lorsqu’il pleut le ciel s’assombrit et cache les rayons du soleil.
Quatrains s’achèvent sur l’image d’une nature idyllique dans laquelle repose paisiblement un jeune soldat désarmé. Progressivement le regard s’attache au jeune soldat, d’abord nature, puis on aperçoit le soldat qui dort, les deux tercets vont se faire plus précis, il a une sorte de mimétisme, l’impression que l’image du soldat devient plus précise au fur et à mesure que le poète se rapproche de lui.
II/ Du faux dormeur au vrai mort.
1. Sommeil, froid, maladie / nature chaude et éveillé.
Répétition de « il dort « mis en valeur à la césure. Insistance sur son sommeil. Son sourire (le regard se rapproche) est ambigu : il sourit comme un enfant malade : déjà l’assimilation du soldat à l’enfant procède à un transfert de la jeunesse et de l’innocence de l’enfant mais aussi la vie, l’avenir que la maladie compromet. De nouveau « somme « : insistance sur son sommeil → inaction, inertie du corps. « Nature « en apostrophe et « berce-le « : personnification de la nature (seuls les éléments naturels apparaissent sujets de l’action). Relation mère / enfant entre la nature et le soldat, idée de douceur, d’apaisement. Antithèse chaudement / froid : chaleur côté nature et froid côté homme.
2. La mort du jeune soldat.
« Les parfums ne font plus frissonner ses narines « : allitération en f, souligne l’insensibilité du soldat à la nature, à la vie, ne sent ni sa chaleur, ni ses parfums. Narine qui frissonne = réaction minimale du corps humain à ce qui l’entoure → pas le moindre mouvement, pas de signe de vie.
v. 13 : répétition de « il dort « mais dans le soleil : antithèse puisqu’on dort la nuit et le soleil symbolise le jour. Nuit = mort et soleil = vie (Egyptiens, râ, etc.). Main sur sa poitrine : position solennelle, disposition du mort dans le cercueil. Car Tranquille en rejet après poitrine : mise en relief signifiant que la poitrine est immobile, elle ne suit plus le mvt de la respiration, être inanimé, cœur endormi.
Deux trous rouges du côté droit : le regard s’approche encore et aperçoit la blessure : elle est similaire à la blessure du Christ sur la croix (sang qui coule de sa poitrine côté droit) → soldat-Christ, le martyr de la guerre, d’où la dimension satirique du poème, la pointe invite à une relecture pour mieux comprendre comment progressivement et au moyen de symboles, on arrive à l’idée de la mort du soldat jamais explicitée, seulement suggérée à travers l’image des 2 trous rouges ou rouge = sang. Dès lors, ces 2 trous renvoient au trou de verdure qui est en fait son tombeau. Le petit val = vallée du Cédron, le lieu du Jugement Dernier (vallée avec un cours d’eau). Le soldat s’est transformé peu à peu en Ophélie (personnage de Shakespeare à qui il dédie un poème qu’il avait envoyé pour le Parnasse contemporain) qui s’est sacrifié par amour pour la patrie lors de la guerre franco-prussienne.
Conclusion
A travers ce poème, Rimbaud se livre à une critique acerbe de la guerre et de son absurdité puisqu’elle ôte la vie à de jeunes soldats, à ces « enfants « de la patrie (le soldat est assimilé à un enfant dans le poème). La seule vie qui existe dans ce poème provient de la nature qui tente en vain de réchauffer le corps froid et inerte du jeune soldat désarmé. Progressivement, Rimbaud sème des touches funèbres qui annoncent la mort du soldat sans jamais l’expliciter : la chute n’en est que plus efficace et le choc de la mort aussi brutal qu’une balle (ou 2) en pleine poitrine. On avance peu à peu avec le regard du poète sur le corps intriguant de ce jeune soldat avant d’apercevoir sa blessure fatale. Là Rimbaud montre sa maîtrise du jeu des symboles, c’est en les exploitant qu’il renforce l’efficacité de son poème satirique. C’est peut-être un des rares poèmes engagés du jeune poète, la découverte en 2008 d’un manuscrit inédit de Rimbaud signé Jean Baudry (pamphlet paru dans un journal de novembre 1870 intitulé Le rêve de Bismarck où il s’en prend au chancelier prussien) amène à porter un intérêt nouveau à la dimension satirique de certaines de ses œuvres, comme Le Dormeur du Val.
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