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Richard FEYNMANN (1918-1988) La démarche scientifique

Publié le 19/10/2016

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scientifique

Richard FEYNMANN (1918-1988)

La démarche scientifique

En général, on utilise le processus suivant. On commence par deviner. Puis on calcule les conséquences de notre conjecture, pour voir ce qu'impliquerait cette loi si nous avions deviné juste. Puis on compare le résultat des calculs avec la nature, grâce à l'expérience, on compare directement avec l'observation, pour voir si ça marche. Si ça ne s'accorde pas avec l'expérience, c'est faux. Dans ce simple énoncé repose la clé de la science. La beauté de la conjecture n'y change rien - l'intelligence ou la personnalité de celui qui a deviné n'y change rien -, si ça ne s'accorde pas avec l'expérience, c'est faux. Tout est là. Il est vrai qu'il faut faire plusieurs vérifications pour s'assurer que c'est faux, car l'expérimentateur peut avoir fait un rapport incorrect, ou un aspect de l'expérience peut lui avoir aussi échappé, une saleté ou quelque chose de ce genre ; ou celui qui a calculé les conséquences, même si c'est lui qui a fait la conjecture, peut avoir commis une erreur d'analyse. Ce sont là constatations d'évidence, et quand je dis : « Si ça ne s'accorde pas avec l'expérience, c'est faux », je sous-entends après vérification de l'expérience, des calculs, après que le résultat a été frotté dans tous les sens un certain nombre de fois pour être sûr que les conséquences sont les conséquences logiques de la conjecture et qu'en fait le résultat ne s'accorde pas avec une expérience très soigneusement vérifiée. Cela va vous donner une impression plutôt fausse de la science, en suggérant que nous passons notre temps à deviner des possibilités et à les comparer à l'expérience, ce qui affaiblit considérablement la place de l'expérience. En fait les expérimentateurs font preuve d'un certain individualisme. Ils aiment réaliser des expériences, même si personne n'a encore essayé d'en deviner le résultat, et ils le font souvent dans des domaines où tout le monde sait que le théoricien n'a fait aucune conjecture. Par exemple, nous connaissons peut-être beaucoup de lois, mais nous ne savons pas si elles marchent vraiment à haute énergie, ce n'est qu'une bonne hypothèse. Les expérimentateurs ont essayé des expériences à plus haute énergie et, en fait, une fois de temps en temps, l'expérience crée un problème, c'est-à-dire permet de découvrir qu'une des choses que nous croyions juste est fausse. Par là l'expérience peut donner des résultats inattendus, et nous incite à deviner à nouveau. Un exemple de résultat inattendu est le méson mu et son neutrino, qui n'ont pas été devinés par qui que ce soit avant d'être découverts, et même aujourd'hui personne n'a encore trouvé d'hypothèse grâce à laquelle ce résultat serait naturel. Vous vous rendez bien compte qu'avec cette méthode, on peut essayer de réfuter n'importe quelle théorie déterminée. Si on a une théorie déterminée, une véritable conjecture, à partir de laquelle on puisse aisément calculer les conséquences et les comparer à l'expérience, alors on peut en principe se débarrasser de toute théorie. On a toujours la possibilité de prouver qu'une théorie déterminée est fausse ; mais remarquez qu'on ne peut jamais prouver son exactitude. Imaginons que vous inventiez une bonne hypothèse, que vous calculiez les conséquences et découvriez chaque fois que les conséquences calculées s'accordent avec l'expérience. La théorie est donc juste ? Non, simplement on n'a pas prouvé qu'elle était fausse. Plus tard vous pourriez calculer un plus grand éventail de conséquences, il pourrait y avoir un plus grand éventail d'expériences, vous pourriez même découvrir que le résultat est faux. Voilà pourquoi des lois comme celles de Newton sur le mouvement des planètes durent aussi longtemps. Il devina la loi de gravitation, calcula toutes sortes de conséquences pour le système, etc., les compara à l'expérience - et il fallut quelques centaines d'années avant que la légère erreur du mouvement de Mercure fût observée. Pendant tout ce temps, la théorie n'avait pas été prouvée fausse, et pouvait passer provisoirement pour juste. Mais ou ne put jamais prouver qu'elle était juste, parce que l'expérience suivante pouvait toujours réussir à prouver faux ce qu'on croyait juste. On n'est jamais sûr d'avoir raison, on ne peut qu'être sûr de se tromper.

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