Réalité ou fiction
Publié le 13/11/2014
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Peut-on déduire l'existence de Dieu de son essence ?La preuve ontologique de Saint AnselmeSaint Anselme (1033?-1109) est l'inventeur de ce que l'on appelle depuis Kant la preuve ontologique de l'existence de Dieu. Il affirmait que l'on pouvait déduire l'existence de Dieu à partir même de l'idée de Dieu. En réfléchissant à ce qu'est Dieu, nous pouvons conclure qu'il doit exister avec le raisonnement suivant:1. On se représente quelque chose de telle façon à ce que rien ne puisse être pensé de plus grand et plus parfait.2. Si cet être n'existait pas, alors quelque chose pourrait être pensé de plus parfait (car un être qui existe est supérieur à un être qui n'est que pensé).3. Donc Dieu existe.D'après Saint-Anselme, « Dieu n'existe pas » est une contradiction et « Dieu existe » est une tautologie.Contemporain de Saint-Anselme, le moine Gaunilon, considérant que l'existence de Dieu est indémontrable, essaya de réfuter la « preuve » d'Anselme: par exemple, je peux imaginer l'île parfaite, telle qu'aucune île plus grande ne peut être imaginée; elle doit donc exister, car elle serait moins parfaite si elle n'existait pas. Or, une telle île n'existe évidemment pas. D'après Gaunilon, on ne peut déduire l'existence de Dieu d'après sa perfection.Prenant conscience de ce problème, Saint-Anselme repensa sa preuve ontologique. Il considéra que cette preuve ne s'appliquait qu'à Dieu, car le lien entre Dieu et la perfection est unique. Les îles ne sont pas parfaites par définition. La perfection est une propriété « accidentelle » et non essentielle d'une île. Une propriété essentielle est une propriété nécessaire à la définition d'un objet. Au contraire, la perfection de Dieu est une propriété essentielle de Dieu. Mais pour être l'Être le plus grand qu'il soit possible d'imaginer, Dieu doit forcément exister.Le lien entre existence et perfectionSaint Thomas d'Aquin (1225-1274) n'était guère convaincu par l'argument d'Anselme. Selon lui, l'existence n'est pas une perfection. Un être qui existe n'est pas logiquement supérieur à un être qui n'est que pensé. Ainsi, l'argument ne prouve pas l'existence de Dieu.L'argument ontologique pose aussi un problème: imaginons que je définisse un « objet 1 » ovale, bleu et qui pèse une tonne. Puis que je définisse un « objet 2 » ovale, bleu, qui pèse une tonne et qui existe. La seule différence entre l'objet 1 et l'objet 2 est que l'un existe, l'autre pas. Quand j'essaie de penser à l'objet 2, je ne fais que concevoir l'objet 1. L'objet 1 auquel je pense (car je ne peux pas penser à l'objet 2) n'existe que dans mon imagination et n'est donc pas l'objet 2. Le même problème se pose par rapport à la preuve ontologique. L'être que j'imagine, tel qu'aucun être plus grand ne puisse être pensé, est-il Dieu ? Seulement si Dieu existe ! L'argument ontologique pose donc en postulat l'existence de Dieu, ce qui le rend invalide.La réfutation de KantEmmanuel Kant (1724-1804) est considéré comme le philosophe qui a récusé une fois pour toute l'argument ontologique. Si l'on a un triangle, on ne peut pas nier que la somme de ses angles fasse 180° (c'est l'une de ses propriétés essentielles). Dire que la somme des angles d'un triangle n'est pas égale à 180° est une contradiction. En revanche, si on supprime ensemble le prédicat (la somme des angles...) et le sujet (le triangle), la contradiction est résolue. Et l'on ne peut pas déduire l'existence du triangle de son essence: s'il est impossible que la somme des angles d'un triangle ne soit pas égale à 180°, il n'est pas nécessaire que quelque chose comme un triangle existe, l'existence n'étant pas une propriété. Le triangle et Dieu sont ici comparables. L'erreur ainsi dénoncée par Kant est de considérer l'existence comme un prédicat de la même nature que les autres. Les choses ne possèdent pas l'existence comme elles possèdent d'autres propriétés.Pour Kant, l'existence n'est prouvable que par l'expérience (empiriquement) et non par le raisonnement.Cela ne signifie pas que Dieu n'existe pas, mais seulement que nous ne pouvons déduire l'existence de Dieu de sa simple essence.Connaître Dieu par l'expérience religieuseLes expériences mystiquesDans certaines expériences, les mystiques ressentent une conscience immédiate de Dieu. Cette conscience est si forte qu'elle fait obstruction à tout le reste au point même que le mystique ne fait plus la différence entre ce qu'il est et ce dont il a conscience (« union mystique »). Cette conscience est parfois inexprimable avec des mots et peut dépasser les facultés de penser.Il faut noter que de nombreuses expériences religieuses comportent des visions comme un ange:« Je voyais [un] Ange qui tenait dans la main un long dard en or, dont l'extrémité en fer portait, je crois, un peu de feu. Il me semblait qu'il le plongeait au travers de mon coeur et l'enfonçait jusqu'aux entrailles. En le retirant, on aurait dit que le fer les emportait avec lui et me laissait tout entière embrassée d'un immense amour de Dieu. La douleur était si vive qu'elle me faisait pousser des gémissements [...]. Mais la suavité causée par ce tourment incomparable est si excessive que l'âme ne peut en désirer la fin, ni se contenter de rien en dehors de Dieu. Ce n'est pas une souffrance corporelle, elle est spirituelle. [...] C'est un échange d'amour si suave entre Dieu et l'âme, que je supplie le Seigneur de daigner dans sa bonté en favoriser ceux qui n'ajouteraient pas foi en ma parole. » (Thérèse d'Avila).Les expériences religieuses sont-elles véridiques ? Très rares sont les personnes qui vivent de telles expériences. Doit-on pour autant en conclure qu'elles sont fausses ? Si quelques personnes seulement sont capables d'identifier un tableau, cela ne signifie pas que l'on ne doit pas leur faire confiance. On ne peut déduire la vérité d'une chose de sa fréquence.La variabilité des expériencesUn élément doit fortement inciter à la prudence. Tandis que des mystiques chrétiens voient la Vierge Marie ou des Anges, les Romains de l'Antiquité voyaient Jupiter et les Nordiques Odin. Ces variations montrent que ce qui est vécu est en grande partie conditionné par les désirs du mystique. Et admettre que ces expériences sont en partie dues au sujet soulève la possibilité qu'elles soient entièrement sa création.L'interprétation de FreudSigmund Freud (1856-1939), le père de la psychanalyse, pensait que les rêves sont les manifestations des désirs inconscients, et que les expériences religieuses sont des hallucinations durant notre état de veille qui sont les produits d'un profond désir de sécurité et de sens. Avec la force du désir sous-jacent, elles suscitent des émotions intenses. Comme le désir est abstrait, elles n'affectent aucun organe sensoriel particulier. « Les idées religieuses réalisent les souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l'humanité » écrit Freud.L'argument cosmologiqueLa contingence de l'universLa question essentielle que pose l'argument cosmologique est: pourquoi y-a t'il quelque chose plutôt que rien ? L'univers est composé de milliers de milliard d'étoiles, réparties dans des milliards de galaxies perdues dans une immensité silencieuse. Pourquoi cet Univers existe t'il ? Pourquoi existons-nous à travers lui ? Quelle est la signification de l'univers ?La réponse donnée par les croyants consiste à dire que si Dieu n'existe pas, il est impossible de répondre à ces questions.Une autre version consiste à s'interroger sur les causes. En remontant la série des causes (la cause de la cause de la cause, etc.) on arrive à une cause première, qui est cause de tout ce qui existe. Si l'on en croit les cosmologistes, on en arrive au Big-Bang qui remonte à environ 13 milliards d'années. Cette cause première qui n'a elle-même pas de cause ne peut être que Dieu. En effet, le néant n'accouche de rien, et Dieu, omnipotent, omniscient, hors de l'espace et du temps, est la seule cause qui n'en nécessite aucune.Y-a t'il eu un commencement ?Quelques cosmologistes ont avancé la théorie qu'il n'y a pas eu de commencement, que notre univers serait simplement né d'un autre. Notre univers aurait été causé par un autre qui lui-même a été causé par un autre, etc., à l'infini. Quelque chose a donc toujours existé et il n'y a pas eu de cause première. Ce concept de régression à l'infini implique en effet l'impossibilité de remonter à un point de départ. Cependant une question se pose: est-il censé de penser que quelque chose d'infini existe ? Il y a aussi un autre problème: les cosmologistes affirment que le temps (tout comme l'espace) est né avec le Big-Bang, il est donc inexact de dire qu'un autre univers a existé avant le nôtre. « - 5 milliards d'années » ne correspond à rien.Enfin, l'argument central de la « preuve » cosmologique est « pourquoi y-a t'il quelque chose plutôt que rien ? ». Poser que quelque chose existe parce qu'il a toujours existé ne répond pas à cette question. Si la théorie de l'infinité des univers est véridique et qu'il y a effectivement une série infinie de causes, on peut se poser la question du « pourquoi » il existe toute cette série infinie de causes.Cependant, l'existence de Dieu, si elle est plus plausible à la lumière de l'argument cosmologique, n'est toujours pas prouvée logiquement. Le philosophe Richard Swinburne (né en 1934) affirme néanmoins que l'argument cosmologique devrait être compris comme la déduction que Dieu est la meilleure explication possible de l'univers, de même que la meilleure explication de l'existence d'un tableau est la présence d'un peintre.Le principe anthropiqueLa cosmologie a récemment prouvé l'improbabilité d'un univers qui accoucherait de la vie.Nous savons maintenant que l'univers ne pouvait pas être plus petit sans quoi nous n'existerions pas. La physique du XXème siècle nous apprend que le temps et l'espace sont liés. Tous les milliard d'années, le rayon de l'Univers observable grandit d'un milliard d'années-lumière. Ainsi, l'univers dans lequel habitent des observateurs conscients ne peut être que gigantesque, tout simplement car avant que l'évolution accouche d'un être conscient à partir de rien, il faut des milliards d'années.Le grand cri d'angoisse de Pascal au XVIIème siècle: "Le silence éternel des espaces infinis m'effraie" est donc tout à fait absurde.Pour aller plus loin, l'Univers est élaboré à partir d'une quinzaine de constantes physiques. Modifions un tant soit peu une de ces constantes (masse du proton, charge de l'électron, constante de gravitation, force nucléaire forte ou faible,...) et nous retrouvons avec un univers tout à fait stérile de vie. Donnons un exemple: rien que le réglage de la densité par rapport à la vitesse d'expansion de l'univers a dû être extrêmement précis à l'origine de l'Univers. On peut le calculer: il est de 1 divisé par 10 puissance 60.L'astrophysicien Brandon Carter fut le tout premier a ériger le "principe anthropique". Ce terme signifie tout simplement que l'univers est parfaitement compatible avec notre présence: "Ce que nous pouvons nous attendre à observer doit être compatible avec les conditions nécessaires à notre présence en tant qu'observateurs.".Cet Univers si bien "pensé" pose inévitablement la question de la création. On pourrait postuler l'existence d'une infinité d'univers ayant chacun des caractéristiques différentes. Obligatoirement, il y en a plusieurs qui possèdent les conditions requises pour faire naître la vie (jouons une infinité de fois au loto, on finira par gagner). Notre Univers ne serait donc qu'un Univers perdu parmi une infinité d'autres qui aurait eu par hasard les bonnes constantes ! Swinburne considère que l'existence d'un seul univers parfaitement conçu par un Grand Architecte est une explication bien meilleure.Ce dont nous pouvons conclure, c'est qu'aucune preuve n'a été apportée de l'existence de Dieu, tout au plus peut-on parler d'arguments. La croyance en Dieu reste une affaire personnelle. Terminons en ajoutant que l'existence de Dieu ne signifie pas la véracité des religions. Le Dieu tel qu'il est, s'il est, n'a peut-être rien à voir avec le Dieu décrit par les grandes religions. David Hume est même allé jusqu'à dire que Dieu était plus un apprenti qu'un Être parfait, comme les défauts de facture de l'Univers le témoignent, par exemple les catastrophes naturelles,...
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