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Rapport de la CIA sur l'invasion de la baie des Cochons.

Publié le 14/04/2013

Extrait du document

Rapport de la CIA sur l'invasion de la baie des Cochons. Le 17 avril 1961, la CIA (Agence centrale de renseignement américaine) soutient une tentative de débarquement à Cuba visant à inciter les Cubains à renverser le gouvernement de Fidel Castro. C'est un échec. Cette opération ratée se déroule sur fond de tension internationale. Après avoir renversé le régime précédent de l'île en 1959, Castro et son gouvernement ont orienté leur politique à l'extrême gauche et les relations avec les États-Unis se sont dégradées. Le document qui suit, un document interne à la CIA, s'intitule « Enquête de l'Inspecteur général sur l'opération cubaine «. Il analyse l'action de la CIA et conclut que l'Agence a commis de « graves erreurs « de planification et de jugement. Ce rapport a été rédigé en octobre 1961 et publié en 1998, à la suite d'une demande présentée au gouvernement en vertu de la loi sur le libre accès à l'information (Freedom of Information Act). Il a, toutefois, été expurgé de certains passages par la CIA. Rapport de la CIA sur l'invasion de la baie des Cochons Introduction Ce document constitue le rapport de l'Inspecteur général sur la tentative malheureuse de la CIA de mettre en application la politique nationale en renversant le régime de Fidel Castro à Cuba par le biais d'une opération paramilitaire secrète. L'objectif de ce rapport est d'évaluer certains aspects de la manière dont l'Agence a rempli cette tâche, de décrire les faiblesses et les échecs mis au jour par l'étude des faits et de préconiser des moyens pour les corriger et les éviter à l'avenir. Le rapport s'attache à l'organisation et à la planification du projet, ainsi qu'au choix des hommes et à la conduite de la phase paramilitaire secrète de l'opération. Il commente le support des services de renseignements, l'entraînement et la sécurité. Il ne décrit ni n'analyse en détail la phase purement militaire de l'action engagée. [...] En menant à bien leur enquête, l'Inspecteur général et son équipe ont interrogé environ 125 employés de l'Agence de tous grades et étudié une quantité importante de documents. Historique du projet L'histoire du projet cubain commence en 1959 et, en ce qui concerne l'enquête, se termine avec l'invasion de Cuba par la brigade cubaine anticastriste soutenue par l'Agence le 17 avril 1961 et avec sa défaite et sa capture par les forces de Castro au cours des deux journées qui suivirent. C'est le 17 mars 1960 que le gouvernement américain adopte formellement le projet, lorsqu'après une phase de préparatifs préliminaires menés par l'Agence, le président Eisenhower approuve un rapport de l'Agence intitulé « Programme d'action secrète contre le régime castriste « et autorise ainsi l'Agence à le mener à bien. Le programme est divisé en quatre points principaux : a. formation d'une organisation d'exilés cubains pour attirer les anticastristes, pour diriger les activités d'opposition et pour servir de couverture aux opérations de l'Agence ; b. offensive de propagande menée au nom de l'opposition ; c. création à Cuba même d'un appareil de collecte de renseignements et d'action sous la responsabilité de la direction de l'organisation d'exilés ; d. formation hors du territoire cubain d'une petite force paramilitaire destinée à être infiltrée à Cuba pour organiser, entraîner et diriger des groupes de résistance. Le budget nécessaire est estimé à 4 millions 400 000 dollars, ventilés de la façon suivante : 950 000 dollars pour l'action politique, 1 million 700 000 dollars pour la propagande, 1 million 500 000 dollars pour le paramilitaire, 250 000 dollars pour la collecte d'informations. Ce document, qui prévoit la mise en place d'un puissant programme de soutien à la résistance interne par le biais d'une assistance externe clandestine, a été le document politique de base du gouvernement américain et de fait le seul établi au cours de la durée du projet. Le concept mis en oeuvre n'était pas nouveau. Le conseil des exilés cubains servirait de couverture pour toute action venant à la connaissance du public. Le personnel de l'Agence en contact avec les exilés cubains passerait pour un groupe d'hommes d'affaires. Le rôle du gouvernement américain serait invisible. [...] La mise sur pied de Branch Le 18 janvier 1960, la division chargée de l'Occident (Western Hemisphere Division) mit sur pied Branch 4 (WH/4), équipe spéciale chargée d'organiser l'opération prévue sur Cuba et susceptible d'être agrandie selon les besoins. [...] Au même moment, le quartier général de la CIA et sa station de La Havane menaient à bien une enquête sur les chefs de l'opposition cubaine pour préparer la formation d'un front politique unifié devant servir de couverture aux opérations clandestines et de point de ralliement pour les Cubains anticastristes. Ils effectuaient aussi une reconnaissance cartographique de la Caraïbe pour trouver un site où implanter une station radio capable d'émettre en puissance sur ondes moyennes et sur ondes courtes. Premières avancées À la suite de l'activité intensive déployée sur une période assez brève, l'Agence fut en mesure mi-mars 1960 de rapporter des progrès préliminaires importants et de prédire des résultats rapides à bien des égards au moment où elle présentait sa demande d'approbation du projet au Président [Eisenhower]. Parmi les faits exposés, il fut déclaré : que l'Agence était en contact étroit avec les dirigeants de trois groupes importants et sûrs de Cubains anticastristes, dont les délégués, peut-être même rejoints par d'autres, formeraient un conseil d'opposition unifié dans les 30 jours ; que l'Agence soutenait déjà des émissions radio d'opposants à partir de Miami, qu'elle avait pris des dispositions pour d'autres émissions à partir du Massachusetts et à partir [coupé] et [coupé], et qu'une puissante station « floue « [une station dont ni le propriétaire ni la source ne sont identifiés], probablement située sur l'île Swan, pourrait être opérationnelle dans un délai de deux mois ; que le nécessaire avait été fait pour que soit publiée une édition « exilée « d'un journal cubain confisqué ; qu'un groupe d'action sous contrôle s'occupait de la propagande hors Cuba et que des anticastristes étaient envoyés en tournées de conférence en Amérique latine. On informa en outre le Président qu'on pourrait probablement créer sur le territoire cubain dans un délai de deux mois une organisation efficace de renseignements et d'intervention dirigée par l'opposition en exil, et que les préparatifs nécessaires à la mise sur pied d'une force paramilitaire adaptée nécessiteraient « un minimum de six mois et probablement plus près de huit «. Discussions de politique [...] Le projet destiné à renverser Castro était donc devenu une activité essentielle de l'Agence avec la caution politique la plus élevée, activité qui nécessitait l'engagement à temps complet des membres d'un département opérationnel dont l'effectif croissait rapidement, réclamait une attention quotidienne soutenue de la part des échelons supérieurs de l'Agence et impliquait des contacts fréquents avec d'autres agences gouvernementales et d'autres ministères. [...] Préparatifs financiers [...] Au cours des premiers mois du projet, des efforts intensifs furent déployés pour organiser un front des exilés, pour lancer un programme de propagande important et diversifié, pour démarrer un programme paramilitaire et pour acheter en Floride et ailleurs des sites destinés à des activités d'entraînement et de recrutement et à l'établissement de bureaux. Le soi-disant « Groupe Bender «, composé d'officiers du projet spécialistes de l'action politique, fut mis en place sous la forme d'une organisation nationale d'hommes d'affaires américains pour servir de couverture aux transactions avec les Cubains. Après une série de rencontres à New York et à Miami, on se mit d'accord le 11 mai 1960 sur la création d'un Front révolutionnaire démocratique (FRD) constitué de plusieurs factions d'opposants cubains. [...] Un front boiteux Bien que les dirigeants de l'opposition cubains aient formé un « front « à l'instigation de l'Agence, ce dernier était bancal. Les différents chefs de l'opposition étaient loin d'être d'accord, que ce soit entre eux ou avec les officiers de l'Agence en charge, sur la politique à adopter et sur les opérations à mettre en oeuvre. [...] Dès juin, la presse américaine commençait à se douter de quelque chose, en particulier au sujet de Radio Swan, dont certains articles suggéraient qu'il ne s'agissait pas d'une opération commerciale parfaitement ordinaire. La déclaration d'un attaché naval cubain transfuge, selon laquelle le soutien apporté par l'Agence à un certain leader cubain était un secret de polichinelle dans le milieu des exilés cubains de Miami et qu'« il y avait vraiment trop d'Américains circulant dans le coin les poches pleines de dollars «, indiquait également que le secret de l'opération était loin d'être parfait. Le 22 juin, le directeur adjoint de la CIA détaillait le projet au Conseil national de sécurité (NSA). D'après le document préparé pour cet exposé, l'objectif final du programme d'entraînement était de former une force d'intervention de 500 hommes au minimum, qui seraient répartis en environ 25 équipes capables d'organiser, d'entraîner et de diriger des groupes dissidents indigènes, un opérateur radio étant attribué à chaque équipe. En outre, des préparatifs étaient en cours pour créer une force aérienne cubaine en exil et on tentait de développer une structure maritime de soutien des groupes paramilitaires. Cet exposé exprimait des doutes sur le fait qu'un effort purement clandestin puisse être suffisant pour faire face aux capacités militaires croissantes de Castro et signalait que la mise en place de la phase paramilitaire des opérations dépendrait de l'existence de forces dissidentes prêtes à y résister et que de telles forces suffisamment puissantes n'existaient pas encore. [...] L'accent mis sur la résistance En août, Branch WH/4 rédigea deux rapports destinés à tenir au courant respectivement le Président et les Chefs d'état-major interarmes. Ces exposés prévoyaient qu'au 1er novembre 500 membres des troupes paramilitaires et 37 opérateurs radio seraient prêts à l'action. Il était précisé que ce groupe serait susceptible d'être utilisé sous forme d'équipes d'infiltration ou en tant que force d'invasion. Le rapport destiné aux Chefs d'état-major interarmes précisait qu'« à l'évidence la réussite de toute opération paramilitaire d'envergure dépend[ait] d'une résistance intérieure bien implantée dans l'ensemble de la zone. « [...] Les termes « invasion «, « attaque « et « assaut « étaient employés dans ces documents bien qu'il semble que le concept de force d'attaque n'ait pas reçu d'aval politique sous quelque forme que ce soit avant la rencontre du Groupe Spécial qui devait avoir lieu vers la fin de l'année. Le plan des opérations Le rapport soumis au Président en août 1960 présentait le plan des opérations comme suit : « La phase initiale des opérations militaires prévoit le développement, le soutien et la direction de groupes dissidents dans trois zones du territoire cubain : la région de Pinar del Río, l'Escambray et la sierra Maestra. Ces groupes seront organisés pour pouvoir mener des actions de guérilla concertées contre le régime. « La deuxième phase débutera par un assaut combiné des forces du FRD sur l'île des Pins [actuelle île de la Jeunesse] par air et par mer coordonné avec une action d'ensemble de la guérilla sur l'île de Cuba elle-même. Cela permettra l'établissement d'une base opérationnelle rapprochée pour les actions suivantes. « La phase finale sera constituée par un assaut aérien sur la région de La Havane en parallèle avec l'avance terrestre des forces de la guérilla sur La Havane à partir des théâtres d'opération de la deuxième phase. « [...] C'est fin septembre 1960 qu'eurent lieu presque simultanément la première opération navale et le premier parachutage sur Cuba. L'opération navale fut un succès. Le parachutage, premier d'une série d'échecs, eut pour épilogue la capture et l'exécution d'un agent paramilitaire sur lequel les organisateurs du projet avaient fondé de grands espoirs. [...] Changement de plan Le 4 novembre 1960 WE/4 prit des mesures formelles pour modifier le cours du projet en augmentant considérablement la taille de l'unité paramilitaire cubaine et en réorientant son entraînement selon des principes militaires plus conventionnels. Des ordres furent transmis en ce sens à la base du Guatemala, qui, au 10 novembre, avait un effectif de 475 recrues (fantassins et pilotes) en formation, et à Miami, où les efforts de recrutement connurent un nouvel essor. [...] [...] Le président Eisenhower avait donné son feu vert le 29 novembre et l'avait confirmé le 3 janvier 1961, mais l'imminence de changements au sein du gouvernement ralentissait le processus. [...] Le 19 janvier, lors de la dernière réunion du groupe spécial avant l'entrée en fonction du nouveau président, il fut convenu que se tiendrait le plus tôt possible une réunion au plus niveau, à laquelle participeraient le nouveau Secrétaire d'État et le nouveau Secrétaire à la Défense, afin de réaffirmer les concepts de base du projet. Préparatifs avalisés Cette réunion eut lieu le 22 janvier, et le projet et les préparatifs en cours y furent avalisés pour l'essentiel. Lors d'une réunion avec le nouveau Président [John F. Kennedy] le 28 janvier, l'Agence fut autorisée à poursuivre les activités en cours. [...] Dès le 6 février, les Chefs d'état-major interarmes avaient retourné une évaluation favorable du plan d'attaque, accompagnée d'un certain nombre de suggestions. Le 17 février, l'Agence remit au Président un rapport présentant trois lignes de conduite possible à l'encontre de Castro. Mentionnant un plan visant à la formation rapide d'un gouvernement en exil, le rapport décrivait la puissance croissante du régime castriste grâce au soutien du bloc [soviétique] et observait : « Donc, d'ici probablement 6 mois au plus, il deviendra militairement impossible de renverser le régime castriste sauf à engager une force militaire organisée importante. L'option consistant à agir à travers l'opposition cubaine ne sera plus envisageable. « Le rapport déconseillait l'emploi de petits groupes de guérilla et se prononçait pour le débarquement surprise d'une force militaire, concluant que la brigade avait de bonnes chances de renverser Castro ou « à tout le moins de provoquer une guerre civile fortement dommageable au régime sans qu'il soit nécessaire que les ÉtatsUnis se compromettent dans une action ouverte contre Cuba. « Après la remise de ce rapport au Président, on fit comprendre aux chefs du projet qu'aucune décision ne serait prise quant à l'utilisation de la force d'invasion avant au moins deux semaines. Suite à quoi ces derniers gelèrent provisoirement toutes les mesures destinées à faire passer cette force à 1 000 hommes. [...] [...] Les changements successifs apportés au plan opérationnel et les reports successifs de la date de l'attaque sont évoqués plus loin dans ce rapport. [...] Pour certaines actions spécifiques, le détail des autorisations données par le pouvoir n'a jamais été complètement clarifié ou ne l'a été qu'à la dernière minute, et la décision essentielle concernant l'envoi de la force d'attaque elle-même est restée entachée de doute jusqu'au moment de son embarquement. [...] La suspension des survols de Cuba Le 28 mars, les survols de Cuba furent interrompus. [...] Pour la réunion tenue le 29 mars à la Maison Blanche, deux rapports avaient été préparés, qui concernaient : (a) l'état du plan « défection « ; (b) le soutien à l'opération de débarquement attendu sur place à Cuba. Le 5 avril, on mit au point le plan « défection « impliquant des B-26 avec pour objectif la mise hors service d'une partie des forces aériennes de Cuba avant le jour J. Ce plan prenait en compte les objections du Département d'État. Les responsables du projet convinrent qu'en cas de décision politique annulant l'invasion, ils feraient s'embarquer les troupes pour leur dire ensuite une fois en mer que de nouveaux renseignements déconseillaient l'invasion et les dérouter sur l'île Vieques [au large de Porto Rico], où elles seraient démobilisées. Le 12 avril, lors d'une réunion avec le Président, il fut décidé [...] de prévenir Miro Cardona [le président du Conseil révolutionnaire] que les États-Unis ne soutiendraient pas officiellement l'invasion. Le Président annonça publiquement qu'il n'y aurait pas de soutien américain. [...] Le 15 avril, huit B-26 effectuèrent des raids sur trois aérodromes cubains et de bonnes photos prises après l'attaque permirent d'estimer que la moitié de l'aviation castriste avait ainsi été détruite. Après quoi, comme cela avait été prévu, l'un des pilotes qui s'étaient posé en Floride déclara que les raids avaient été menés à bien par des transfuges de l'armée de l'air de Castro. La force chargée de faire diversion, qui avait été entraînée à La Nouvelle-Orléans, avait échoué dans ses tentatives de débarquement les deux nuits précédant l'attaque aérienne. [...] Tard le 16 avril, veille du jour J, les attaques aériennes destinées à anéantir le reste des forces aériennes castristes le matin suivant furent annulées. Le message parvint au terrain trop tard pour arrêter l'opération de débarquement, car la décision d'annuler l'attaque aérienne avait été prise après le départ de la force de débarquement. La flotte de débarquement rassemblée au large de la côte sud de Cuba pendant la nuit du 16 au 17 avril était composée de deux LCI (barges de débarquement pour l'infanterie) appartenant à l'Agence, d'un LSD (bateau de débarquement pouvant servir d'appontement) transportant trois LCU (barges de débarquement pour le matériel) et quatre LCVP (barges de débarquement pour les véhicules), tous préchargés avec du matériel, ainsi que de sept cargos affrétés pour l'occasion. Tous ces bateaux participèrent à la phase d'assaut, sauf trois cargos chargés de réserves destinées aux forces terrestres et aériennes. Ces navires étaient armés de mitrailleuses de 50. En outre, chacun des LCI était équipé de canons de 75 sans recul. [...] La brigade d'invasion comportait 1 511 hommes, tous sur les bateaux de débarquement à l'exception d'une compagnie d'infanterie aéroportée de 177 hommes. La brigade était constituée de cinq compagnies d'infanterie, d'une compagnie équipée d'armes lourdes, d'une compagnie destinée à la reconnaissance et au renseignement et d'un peloton de tankistes. [...] [...] En tout, il y avait suffisamment d'armes et de fournitures pour équiper les 30 000 dissidents qui étaient censés rallier la force d'invasion. Le débarquement devait avoir lieu sur trois plages de la péninsule Zapata séparées les unes des autres d'une trentaine de kilomètres. Le flanc est de la tête de pont se trouverait sur Red Beach à l'entrée de la baie des Cochons, le flanc ouest sur Green Beach et le milieu sur Blue Beach. Il faudrait donc s'emparer d'une bande côtière d'environ 65 km de large, séparée de l'intérieur du pays par un marais d'une étendue non négligeable que pénétraient seulement trois routes venues du Nord et que longeait une route côtière d'est en ouest. Dans les premières heures du 17 avril, des équipes de sapeurs sous-marins cubaines, dirigées chacune par un Américain sous contrat, se rendirent à terre pour baliser Red Beach et Blue Beach. Chacune de ces équipes dut échanger des coups de feux avec des forces ennemies en petit nombre mais parvint malgré tout à accomplir sa tâche et les troupes commencèrent à rejoindre la côte dans de petits bateaux en aluminium et des LCU. Avant l'aube, les forces d'invasion rencontrèrent de petites forces de milice. Ces dernières offrirent peu de résistance et [...] les miliciens furent rapidement faits prisonniers. Peu après le lever du jour, la compagnie d'infanterie aéroportée fut parachutée avec succès par des avions C-46 sur quatre des cinq zones de parachutage prévues. Là, ses hommes reçurent l'ordre de verrouiller les routes menant à la côte. À l'aube commencèrent les attaques ennemies, que les responsables du projet avaient cherché à éviter avec les attaques aériennes contre les aérodromes castristes que devaient effectuer les avions basés au Nicaragua. Les actions menées par les B-26, les Sea Furies et les T-33 à réaction de Castro provoquèrent le naufrage d'un bateau de ravitaillement, l'échouage d'un transport de troupes et des dommages à un LCI. Suite à quoi le plan de débarquement sur Green Beach fut abandonné, et les troupes concernées, ainsi que leurs tanks et leurs véhicules, furent déviées sur Blue Beach. Les bateaux en mer firent retraite vers le Sud sous le feu d'attaques aériennes continues. Les attaques aériennes se poursuivirent toute la journée. Les onze B-26 de la force cubaine exilée, disponibles pour le soutien rapproché et le barrage, ne faisaient pas le poids face aux T-33 à réaction. Toutefois, au moins quatre des autres avions castristes furent envoyés au tapis par les mitrailleuses de la force maritime, assistée par les avions anticastristes. Les premières attaques terrestres des forces castristes eurent lieu à Red Beach, qui fut touchée par des vagues successives de miliciens au cours de la matinée, de l'après-midi et de la soirée du 17 avril. Tant que les munitions durèrent, ces attaques furent repoussées et provoquèrent de lourdes pertes pour l'ennemi. Plusieurs des tanks castristes furent également stoppés ou détruits par les forces terrestres et aériennes des anticastristes. Au matin du 18 avril, les forces de débarquement de Red Beach, pratiquement à cours de munitions, se retirèrent en bon ordre vers Blue Beach sans être poursuivies par l'ennemi. Outre les actions de soutien des forces terrestres et de protection de la force maritime qu'ils menèrent le 17 avril, les B-26 anticastristes coulèrent un patrouilleur cubain et attaquèrent le terrain d'aviation de Cienfuegos. Quatre des B-26 anticastristes furent descendus, trois retournèrent sains et saufs au Nicaragua et quatre atterrirent sur d'autres bases amies. On tenta de réapprovisionner la brigade en munitions par des parachutages. Au cours de la nuit du 17 au 18 avril, un C-54 effectua un parachutage sur Red Beach et trois sur Blue Beach, et la nuit suivante Blue Beach reçut deux parachutages. Les préparatifs de réapprovisionnement par mer durent être abandonnés à cause des attaques aériennes ennemies. L'après-midi du 18 avril, l'ennemi, venu de trois directions différentes, attaqua Blue Beach avec le soutien de son aviation. Six B-26 anticastristes, dont deux étaient pilotés par des Américains, infligèrent de lourdes pertes à la colonne castriste arrivant de l'ouest. Ils utilisèrent du napalm, des bombes, des roquettes et des tirs de mitrailleuses pour détruire plusieurs tanks et environ vingt camions chargés de troupes. Le soutien aérien aux troupes de Blue Beach se poursuivit le matin du 19 avril. Ce matin-là trois B-26 anticastristes, dont deux pilotés par des Américains, furent envoyés au tapis par les T-33 de Castro. On attendait la couverture des chasseurs à réaction du porte-avions Essex de la marine américaine pour protéger les sorties des B-26 le 19 avril, mais une mauvaise compréhension sur le timing de l'opération limita son efficacité. Cependant, malgré cet appui aérien et malgré la perte de 1 800 hommes côté castriste, la capacité de la brigade à résister dépendait en dernière analyse de son réapprovisionnement en munitions, devenu désormais impossible. La nuit du 18 avril, alors que l'opération apparaissait vouée à l'échec, le commandant cubain de la brigade refusa une offre d'évacuation de ses troupes. Et le matin du 19 avril, malgré l'épuisement rapide de son stock de munitions, la brigade parvint à lancer une contre-attaque désespérée contre les forces castristes arrivant sans relâche de l'ouest. Au cours des dernières heures de résistance, le commandant de la brigade lança une série de messages laconiques et désespérés au bateau commandant le corps expéditionnaire pour réclamer de l'aide. « Nous n'avons plus de munitions et devons nous battre sur la plage. S'il vous plaît envoyez-nous des renforts ! Nous ne pouvons plus tenir. « « Dans l'eau. Plus de munitions. L'ennemi se rapproche. Il nous faut de l'aide dans l'heure qui vient. « « Quand votre aide sera-t-elle là ? Sous quelle forme ? « « Pourquoi n'avons-nous pas reçu de renfort ? « Le dernier message était ainsi libellé : « Détruis tous les équipements et les appareils de communications. Tanks en vue. Je n'ai plus rien pour combattre. Prenons le maquis. Je ne peux plus, répète ne peux plus, vous attendre. « Un convoi d'évacuation fut dépêché vers la plage l'après-midi du 19 avril. Lorsqu'il devint évident que la tête de pont s'était effondrée, le convoi rebroussa chemin. Au cours des quelques jours qui suivirent deux Américains et une équipe d'hommes grenouilles anticastristes parvint à sauver 26 survivants sur la plage et les îles proches. Résumé de l'évaluation Lorsqu'on tente d'évaluer l'action de l'Agence, il est primordial de ne pas conclure immédiatement, comme l'ont fait beaucoup de gens, que la principale cause de l'échec de l'opération est l'ordre présidentiel annulant les attaques aériennes du jour J. Ne débattre que de cette décision ne mènerait qu'à soulever cette question sous-jacente : si le projet avait été mieux conçu, mieux organisé, doté d'un personnel plus compétent et mieux géré, aurait-il été vraiment nécessaire de soumettre ce problème précis à la décision du Président ? Et si oui l'aurait-il été avec un tel manque de préparation et si mal ? En outre, il est essentiel de garder à l'esprit que l'invasion était peut-être vouée à l'échec, que même si le débarquement de 1 500 hommes avait réussi, ils auraient finalement été anéantis par les forces militaires combinées de Castro renforcées par le matériel militaire fourni par le bloc soviétique. La raison fondamentale du désastre fut l'incapacité de l'Agence à accorder au projet, en dépit de son importance et du dommage pouvant en résulter pour les ÉtatsUnis, le traitement soigné qu'il réclamait : une bonne organisation, un personnel trié sur le volet pour ses compétences à tous les niveaux et une direction et un contrôle permanents au niveau le plus élevé. Les insuffisances constatées dans tous ces domaines vitaux eurent pour conséquence des tensions et une mauvaise circulation de l'information, qui à leur tour furent à l'origine de nombreuses erreurs et omissions sérieuses sur le terrain, d'une prise en compte des dangers potentiels insuffisante, d'une incapacité à prendre les mesures nécessaires pour les contrer et de graves erreurs de jugement. Les échelons les plus élevés de la hiérarchie furent également incapables d'exercer un contrôle informé et sans relâche sur le projet et d'exercer sur les situations menaçantes qui se faisaient jour un regard sans préjugés et basé sur l'expérience. Évaluation de l'organisation et des structures de commandement Le projet fut organisé au niveau d'un service opérationnel, quatrième échelon dans la hiérarchie de l'Agence, au sein de la Division Occident. Son chef, un GS-15, ne jouissait pas de l'indépendance et des pouvoirs étendus d'un commandant de corps expéditionnaire. Au contraire, il lui fallait constamment, pour tout ce qui concernait les décisions à prendre sur les questions politiques et les problèmes opérationnels importants, en référer au Directeur adjoint au Plan (DD/P), qui se trouvait ainsi de fait le véritable responsable du projet, alors que celui-ci ne constituait que l'une de ses nombreuses responsabilités. Le DD/P déléguait une partie importante de ses responsabilités à son adjoint chargé de l'action secrète, en particulier pour tout ce qui concernait la politique des contacts avec des officiels n'appartenant pas à l'Agence. Le bureau du DD/P et les bureaux du projet se trouvaient dans des bâtiments distincts. Fin 1960, le DD/P envisagea de décharger la division Occident de la responsabilité du projet et de placer celui-ci directement sous celle de son adjoint pour l'action secrète, mais cela ne fut pas fait. [...] Une autorité morcelée Ainsi, il manquait au projet un chef de haut niveau unique qui s'y serait consacré à plein temps et aurait disposé de par son statut des pouvoirs élargis et des capacités nécessaires pour mener à bien cette vaste mission malgré les difficultés considérables qu'elle comportait. [...] Échec de l'effort d'intégration [...] Le résultat de cette situation organisationnelle complexe et bizarre fut que l'Agence, confrontée à cette tâche extrêmement difficile, ne parvint pas à canaliser correctement ses forces et à les faire travailler efficacement. Évaluation du personnel [...] L'erreur de base fut de garnir les postes clés très tôt, sans se rendre compte à quel point le projet allait prendre de l'importance et que le personnel devait être à la mesure de l'effort qu'il allait falloir fournir. Dans certains cas, des officiers choisis au départ pour superviser cinq personnes se retrouvèrent à en diriger quinze à vingt fois plus. Des trois officiers G-16 assignés au projet, aucun ne reçut de responsabilités directoriales de haut niveau. Le résultat de tout ceci fut qu'aucun des officiers opérationnels supérieurs de l'Agence les plus expérimentés ne participa à temps plein au projet. Une indication de la qualité [...] Il ressort des notes [de qualité] que les autres unités [de la CIA] n'avaient pas détaché leurs meilleurs éléments auprès de WH/4 mais que dans certains cas ils s'étaient contentés de mettre à la disposition du projet leur personnel sans affectation. [...] En fait, au cours des dernières phases du projet, il n'y avait pas assez de personnel pour remplir toutes les tâches. Les gens travaillaient tellement d'heures d'affilée et si intensivement que leur efficacité en était affectée. Le manque de personnel fut l'une des raisons pour lesquelles une grande partie des tâches du projet furent accomplies dans l'urgence. Un manque de linguistes Très peu nombreux étaient les membres du personnel du projet qui parlaient l'espagnol ou disposaient des connaissances nécessaires sur l'Amérique latine. Dans de nombreux cas, les officiers opérationnels supérieurs des stations qui parlaient effectivement l'espagnol devaient s'interrompre dans leurs propres tâches simplement pour servir d'interprètes. [...] En dépit de tout cela, précisons qu'il y eut beaucoup de gens très bien affectés au projet, et qu'ils fournirent un travail efficace et développèrent de nombreux talents au fur et à mesure de l'avancement du projet. Il faut aussi insister sur le fait que, presque sans exception, les membres du personnel firent de très longues journées pendant des mois sans se plaindre et manifestèrent un niveau élevé de motivation, ainsi qu'une grande persévérance et des trésors d'ingéniosité dans la résolution des problèmes complexes que le projet soulevait constamment. Il faut dire également qu'en général le personnel de soutien affecté au projet par le service de soutien était très qualifié et très efficace. [...] Évaluation de la planification [...] Entre le plan approuvé par le président Eisenhower le 17 mars 1960 [...] et le plan d'invasion effectivement mis en oeuvre le 17 avril 1961 [...] il y eut un changement de conception radical. À l'origine l'élément central du plan était une lente mise sur pied, effectuée en secret, de forces de guérilla qui devaient être entraînées et renforcées sur le territoire cubain par un cadre de Cubains recruté, entraîné et infiltré sur l'île par l'Agence. Mais treize mois plus tard, l'Agence soutint un débarquement amphibie de 1 500 soldats puissamment armés et entraînés de type attaque directe. La plupart d'entre eux étaient peu versés dans les techniques de guérilla. On attendait d'eux qu'ils tiennent le coup pendant un laps de temps (certains parlaient d'une semaine) suffisant pour provoquer un « choc « et ainsi, espérait-on, pour déclencher un soulèvement. [...] Le rôle de la guérilla Une lecture attentive des trois rapports [préparés par la CIA en mars et avril 1961 avant l'opération] révèle également que l'invasion n'était plus alors considérée comme une tentative d'assister les forces de guérilla cubaines au cours d'une attaque coordonnée. Les rapports ne prétendaient en aucune façon qu'il existait des forces de guérilla avec lesquelles -- suite à des rapports d'évaluation de nos propres agents compétents qui auraient confirmé une force suffisamment importante, armée et approvisionnée en munition, et prête à en découdre -- nous aurions mis au point des plans pour une insurrection et une attaque coordonnée et combinée contre Castro. Comme le mentionne explicitement le rapport du 12 avril 1961, l'idée était que l'opération devrait avoir l'apparence d'un acte de résistance interne. En ce qui concerne l'importance de la résistance dans l'île, le rapport du 11 mars 1961 se réfère à une estimation de 1 200 guérilleros et de 1 000 autres personnes engagées dans des actions de conspiration et de sabotage, mais ne mentionne aucun contrôle de l'Agence ni même de plans de coordination ou de communications radio fermement établies. Le rapport du 12 avril 1961 donne une estimation de « presque 7 000 insurgés « (sans spécifier le nombre de guérilleros inclus dans ce chiffre), et « un certain niveau de contrôle [de l'Agence] par l'intermédiaire d'agents avec lesquels des communications sont actuellement actives «. Il les situe dans trois régions de l'île très éloignées les unes des autres et précise que les groupes individuels sont petits et très mal armés et qu'il est prévu de les approvisionner par parachutages après le jour J, avec pour but l'instauration d'une situation révolutionnaire. Cette façon de présenter les choses suggère l'existence de 7 000 insurgés, sans pour autant prétendre à la possibilité d'une aide immédiate de réelles forces de guérilla. Le terme « insurgés « semble avoir été utilisé dans le sens d'« insurgés potentiels « ou de simples opposants civils à Castro. Un passage concernant des transfuges de l'armée et de la police était tout aussi vague ; l'Agence aurait été en contact avec 31 militaires et policiers qu'elle espérait pousser à la défection après le jour J. L'arrestation d'agents Ces reconnaissances tacites de la non-existence d'une résistance effective et contrôlée à Cuba sont en accord avec les rapports du renseignement, qui exposaient clairement la situation défavorable résultant des échecs de nos opérations d'approvisionnement par air et des arrestations de nos agents réussies par les forces de sécurité castristes, qui avaient désorganisé les rares réseaux existants et réduit à peu de chose l'efficacité des groupes de guérilla. Il est clair que l'opération d'invasion était basée sur l'espoir que la brigade serait capable de se maintenir suffisamment longtemps sur le territoire cubain pour parvenir à attirer des insurgés et des transfuges des forces armées castristes, sans pour autant disposer à l'avance de la moindre certitude d'une assistance quelconque de la part de guérilleros identifiés, connus, contrôlés, entraînés et organisés. L'Agence espérait que l'invasion, tel un deus ex machina, provoquerait un « choc « qui entraînerait ces défections. En d'autres termes, selon le plan final, l'invasion devait remplir le rôle d'une résistance organisée qui n'existait pas et devait générer une résistance organisée en agissant comme un catalyseur. L'Agence mettait face à face une brigade de 1 500 hommes, après son débarquement amphibie, et l'ensemble des forces militaires de Castro, dont les plus hautes instances du renseignement américain [...] donnaient l'estimation suivante : Armée révolutionnaire : 32 000 hommes ; milice : 200 000 hommes ; armement : 30 000 à 40 000 tonnes d'armes et de matériel lourd d'une valeur de 30 millions de dollars fournies par le bloc soviétique. Il est difficile de comprendre comment la décision de mener l'opération à son terme, l'invasion, a pu être justifiée au cours des dernières étapes de l'opération. [...] L'absence de tout plan visant à assurer la survie ou la récupération de la brigade en cas d'imprévu n'a jamais été expliqué de façon satisfaisante. Certaines personnes ont avancé que la théorie de l'Agence selon laquelle le succès de l'invasion et le maintien du bataillon sur place pendant une semaine environ provoqueraient un soulèvement sur l'île n'a jamais été réfutée par les faits. D'après elles, cette théorie n'a jamais été mise à l'épreuve parce que les attaques aériennes annulées le jour J étaient essentielles au succès de l'invasion. Mais une telle argumentation ne tient pas face au fait que Castro a été en mesure d'arrêter des dizaines de milliers de personnes suspectes dès après les attaques aériennes qui ont eu lieu deux jours avant le jour J et à l'efficacité des forces de sécurité castristes pour arrêter des agents, dont font foi les renseignements parfaitement fiables reçus. [...] [...] L'Agence a commis au moins quatre erreurs de planification extrêmement graves. a. L'Agence a failli en ne soumettant pas le projet, en particulier au cours des dernières étapes, qui se sont déroulées dans une atmosphère proche de la panique, à l'appréciation froide et objective des personnes les plus compétentes, en particulier de celles qui n'étaient pas impliquées dans l'opération comme le Chef des Opérations et les chefs de l'équipe dirigeante de l'Agence. Si cela avait été fait, les deux erreurs suivantes (b et c, ci-après) auraient peut-être été évitées. b. L'Agence a failli en ne prévenant pas le Président, quand il aurait fallu le faire, que l'issue de l'opération était devenue douteuse et en ne recommandant pas son annulation et une nouvelle étude des moyens de renverser Castro. c. L'Agence a failli en ne reconnaissant pas que le projet était devenu public et que l'effort militaire à fournir était devenu trop important pour être assuré par elle seule. d. L'Agence a failli en n'établissant pas de rapports formels sur les plans successifs établis pour le projet, rapports qu'elle aurait dû transmettre au Président et à ses conseillers, et en n'exigeant pas d'approbations et de confirmations écrites sur la base de tels rapports. Un examen opportun et objectif de l'opération au cours des mois précédant l'invasion, y compris l'étude de tous les renseignements disponibles, aurait permis aux officiels de l'Agence de se rendre compte que les opérations paramilitaires secrètes avaient presque totalement échoué, qu'il n'existait pas de mouvement clandestin contrôlé et dynamique prêt à rallier la force d'invasion et qu'il fallait largement réévaluer la capacité de Castro à réagir à une attaque et à paralyser l'opposition interne. Un tel examen aurait également soulevé la question de savoir pourquoi les États-Unis étaient prêts à opposer 1 900 soldats, quel qu'ait pu être leur niveau d'entraînement et d'armement, à un ennemi considérablement supérieur en nombre et en armement sur un terrain qui n'avait à offrir que de maigres espoirs d'un soutien local significatif. Il aurait pu aussi permettre de s'apercevoir que les responsabilités de l'Agence dans l'opération devaient être sérieusement révisées et aurait certainement révélé qu'il n'y avait pas réellement de plan pour la période suivant l'invasion, que celle-ci réussisse ou échoue. L'existence d'avertissements Les dernières études réalisées sur Cuba par le United States Intelligence Board (bureau de renseignements des États-Unis), l'Office of National Estimates (office national des évaluations) et l'Office of Current Intelligence (office du renseignement actualisé) disponibles à l'époque indiquaient toutes clairement qu'il était nécessaire de réévaluer l'opération dans le calme. Mais l'atmosphère régnante ne poussait pas à la réflexion. Le responsable du projet et ses subordonnés avaient été soumis depuis si longtemps à une surcharge de travail et à un stress si importants qu'il aurait été difficile de réorienter leur élan et leur énergie vers une telle réévaluation. Les préparatifs de l'attaque, sous la puissante influence du chef paramilitaire de l'opération, qu'aucune autre ne venait contrebalancer efficacement, avaient pris un tel élan que l'opération avait largement pris le pas sur les considérations politiques. Les volontaires cubains commençaient à s'agiter et menaçaient d'échapper à tout contrôle avant qu'on puisse les faire passer à l'action. Le gouvernement guatémaltèque insistait pour l'Agence récupère ses Cubains. La saison des pluies s'abattait durement sur la Caraïbe. La réévaluation n'eut jamais lieu, bien que les facteurs mêmes qui, pour partie, l'empêchait d'avoir lieu, aient été ceux qui auraient dû faire comprendre à l'Agence qu'elle était nécessaire. Ces facteurs contraires étaient renforcés et exacerbés par des restrictions politiques qui ne cessèrent de s'ajouter les unes aux autres pendant des semaines et ce, jusqu'au point de non-retour. Elles furent à l'origine de modifications successives des plans et ajoutèrent à la confusion. Ce sont, d'après nous, tous ces stress qui s'accumulaient sur eux qui empêchèrent les opérateurs de l'Agence de se rendre compte que leur marge d'erreur se réduisait rapidement et qu'elle avait complètement disparu avant même le lancement de l'attaque. Il y aurait dû y avoir un moment, au cours de ce cycle infernal, où ces opérateurs seraient allés voir le Président pour lui dire franchement : « Voici les faits. Il faut arrêter l'opération. Nous attendons de nouvelles instructions. « Les conséquences possibles d'une annulation Annuler l'opération aurait été embarrassant. La brigade n'aurait pas pu être tenue plus longtemps en situation d'attente. Il n'aurait même probablement pas été possible de la tenir du tout. Ses membres auraient fait connaître leur déception partout. Du fait des fuites multiples affectant le secret de cette énorme opération, le monde entier était déjà au courant des préparatifs et l'embarras du gouvernement et de l'Agence aurait été public. Toutefois, l'annulation du projet aurait empêché l'échec, qui fut à l'origine d'un embarras encore plus marqué, provoqua la mort ou la souffrance de centaines de personnes, amena à la destruction de millions de dollars de biens américains et entama sérieusement le prestige des États-Unis. [...] Il n'entre pas dans le cadre de ce rapport de suggérer quelles actions auraient pu être entreprises pour consolider une éventuelle victoire, mais on peut affirmer sans peur de se tromper que l'Agence n'avait reçu aucun renseignement permettant de penser qu'un nombre suffisant de Cubains pourraient ou voudraient rejoindre les troupes d'invasion ni qu'il existait un mouvement de résistance cohérent et efficace sous le contrôle de qui que ce soit -- et en tout cas pas de l'Agence -- susceptible de pourvoir à la direction d'un soulèvement sur le territoire cubain pour soutenir l'invasion. Les suites d'une implantation réussie, à moins que celle-ci n'ait été ouvertement soutenue par les forces armées américaines, étaient douteuses. Le choix Il fallait choisir entre un retrait sans honneur ou un coup de poker pouvant déboucher sur une défaite ignominieuse ou une victoire douteuse. L'Agence choisit le coup de poker, dont les chances de réussite baissaient rapidement. Dès novembre 1960, le secret du projet avait été éventé. Au fur et à mesure que ce dernier prenait de l'importance, sa sécurité opérationnelle s'affaiblissait. Pendant plus de trois mois avant l'invasion parurent dans la presse des articles, souvent assez bien renseignés, sur le recrutement et l'entraînement d'exilés cubains. De tels préparatifs ne pouvaient être imputés qu'aux États-Unis. Le nom de l'Agence était largement évoqué en liaison avec ces activités. Opposer un démenti plausible faisait figure d'illusion pathétique. L'insistance avec laquelle on tint à tout faire pour que l'opération ne soit attribuée ni au gouvernement ni à l'Agence, ce qui n'avait plus de sens, mena à des absurdités et fut la cause de nombreux obstacles et délais. Ce fut par exemple le cas de l'utilisation d'avions B-26, obsolètes et inadaptés, en lieu et place des A-5 prévus à l'origine et plus efficaces, qui gêna considérablement l'opération. Un certain type de tente chirurgicale prévue pour faire partie de l'équipement à débarquer sur la plage ne fut pas fourni parce que la recherche de sa provenance aurait mené droit aux États-Unis. Il en fut de même pour un fusil moderne, malgré le fait que des milliers d'exemplaires de ce modèle avaient récemment été déclarés en surplus. Au bout du compte, comme on aurait pu s'y attendre, toutes les provenances furent retracées jusqu'aux États-Unis. La politique du gouvernement américain exigeait que l'opération fût clandestine et il l'attribua donc à l'agence gouvernementale chargée de traiter ce genre d'opérations. Une fois le projet connu de tous les lecteurs de journaux, l'Agence aurait dû informer les autorités supérieures qu'elle n'opérait plus dans le cadre de sa charte. Si la politique nationale avait alors réclamé la continuation d'une action au grand jour sous l'égide d'une force nationale d'ensemble, des ressources beaucoup plus importantes auraient été disponibles pour l'invasion et l'Agence aurait pu alors jouer un rôle de soutien efficace. Les pertes de temps considérables subies par l'Agence pour négocier le soutien des forces armées auraient été évitées. Une politique menée par à-coups Au cours des réunions mouvementées tenues avant l'attaque, la politique à suivre était décidée par à-coups et l'obligation de se conformer à toute une série de restrictions diminuait la marge d'erreur disponible. La dernière de ces décisions restrictives vint du Président à un moment où la brigade était déjà en mer en route vers les côtes cubaines. Si cette décision avait été prise quelques heures plus tôt, l'invasion aurait encore pu être annulée et on aurait pu éviter la perte de vies humaines et une perte de prestige pour les États-Unis. Si des rapports formels décrivant le plan d'attaque final en détail et insistant sur la nécessité vitale des attaques aériennes du jour J avaient été préparés et remis au Président et à ses conseillers, y compris les Chefs d'état-major interarmes, avec une demande de confirmation écrite selon laquelle le plan avait été bien compris et approuvé, l'incident final qui précéda la perte de la brigade cubaine n'aurait peut-être jamais eu lieu. D'après les informations qui nous ont été transmises, cet incident s'est déroulé comme suit : dans la soirée du 16 avril, le Président donna l'ordre au Secrétaire d'État d'annuler les attaques aériennes prévues pour le matin suivant, le matin du jour J, à moins qu'il n'ait à lui communiquer des raisons suffisamment importantes pour les maintenir. Le Secrétaire d'État informa alors le directeur adjoint de la CIA (DDCI), le directeur étant absent de Washington, et le directeur adjoint au Plan (DD/P) de cette décision, leur proposant d'appeler le Président à Glen Ora s'ils le jugeaient nécessaire. Ils préférèrent n'en rien faire, et le Secrétaire d'État en conclut qu'ils ne considéraient pas les attaques en question comme vitales pour le succès de l'opération. Plus tôt dans la soirée le responsable du projet et son chef paramilitaire avaient lourdement insisté auprès du DD/P pour qu'il fasse bien comprendre que l'annulation des attaques provoquerait un désastre. Ainsi, le DD/P, civil sans expérience militaire, et le DDCI, général de l'armée de l'air, ne suivirent pas les conseils du chef paramilitaire du projet, spécialiste des opérations amphibies. Et le Président prit cette décision de dernière minute, une décision vitale, sans avoir eu de contact direct avec les chefs militaires de l'opération d'invasion. Il se peut que le Président n'ait jamais été clairement informé de la nécessité de contrôler l'espace aérien dans une opération amphibie de ce type. Le DD/P était conscient de ce qu'au moins deux des conseillers militaires du Président, tous deux membres de l'état-major interarmes, ne comprenaient pas ce principe. Cela aurait dû l'aider à saisir la nécessité de bien faire comprendre l'importance de ce dernier au Président à l'aide d'une communication écrite formelle et aussi le pousser à accepter l'invitation qui lui était faite par le Secrétaire d'État de téléphoner directement au Président. Si le chef paramilitaire du projet, en tant que responsable de l'action militaire ouverte, avait accompagné le DDCI et le DD/P à la réunion avec le Secrétaire d'État, il aurait peut-être pu se montrer suffisamment persuasif pour influencer la décision. D'après nous, cet incident fatal fut en partie le résultat d'une inaptitude à faire circuler des rapports formels portant sur les plans prévus accompagnés de demandes de confirmation spécifique. Changements de portée [...] Au début du projet, on ne s'était pas rendu compte qu'il serait nécessaire de disposer de bases sur l'île d'Useppa, sur Key West, à Miami et Opalocka en Floride, à La Nouvelle-Orléans, sur Puerto Rico, au Panamá, au Guatemala et au Nicaragua, ainsi que d'innombrables refuges et d'autres installations. Le projet en souffrit, parce que nombre des installations nécessaires ne furent pas prêtes au moment où on en avait besoin. La division Occident se lança dans un vaste projet paramilitaire sans disposer des bases, des bateaux et du personnel paramilitaire expérimenté nécessaire, ni d'ailleurs d'un plan complet et suffisant, et ne parvint jamais vraiment à rattraper ce retard. Source : Bay of Pigs Declassified : The Secret CIA Report on the Cuba Invasion, trad. par L&H Mendez France, New York, The New Press, Peter Kornbluh, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« On informa en outre le Président qu’on pourrait probablement créer sur le territoire cubain dans un délai de deux mois une organisation efficace de renseignements etd’intervention dirigée par l’opposition en exil, et que les préparatifs nécessaires à la mise sur pied d’une force paramilitaire adaptée nécessiteraient « un minimum desix mois et probablement plus près de huit ». Discussions de politique […] Le projet destiné à renverser Castro était donc devenu une activité essentielle de l’Agence avec la caution politique la plus élevée, activité qui nécessitaitl’engagement à temps complet des membres d’un département opérationnel dont l’effectif croissait rapidement, réclamait une attention quotidienne soutenue de lapart des échelons supérieurs de l’Agence et impliquait des contacts fréquents avec d’autres agences gouvernementales et d’autres ministères.

[…] Préparatifs financiers […] Au cours des premiers mois du projet, des efforts intensifs furent déployés pour organiser un front des exilés, pour lancer un programme de propagandeimportant et diversifié, pour démarrer un programme paramilitaire et pour acheter en Floride et ailleurs des sites destinés à des activités d’entraînement et derecrutement et à l’établissement de bureaux. Le soi-disant « Groupe Bender », composé d’officiers du projet spécialistes de l’action politique, fut mis en place sous la forme d’une organisation nationaled’hommes d’affaires américains pour servir de couverture aux transactions avec les Cubains.

Après une série de rencontres à New York et à Miami, on se mitd’accord le 11 mai 1960 sur la création d’un Front révolutionnaire démocratique (FRD) constitué de plusieurs factions d’opposants cubains.

[…] Un front boiteux Bien que les dirigeants de l’opposition cubains aient formé un « front » à l’instigation de l’Agence, ce dernier était bancal.

Les différents chefs de l’opposition étaientloin d’être d’accord, que ce soit entre eux ou avec les officiers de l’Agence en charge, sur la politique à adopter et sur les opérations à mettre en œuvre.

[…] Dès juin, la presse américaine commençait à se douter de quelque chose, en particulier au sujet de Radio Swan, dont certains articles suggéraient qu’il ne s’agissaitpas d’une opération commerciale parfaitement ordinaire. La déclaration d’un attaché naval cubain transfuge, selon laquelle le soutien apporté par l’Agence à un certain leader cubain était un secret de polichinelle dans lemilieu des exilés cubains de Miami et qu’« il y avait vraiment trop d’Américains circulant dans le coin les poches pleines de dollars », indiquait également que lesecret de l’opération était loin d’être parfait. Le 22 juin, le directeur adjoint de la CIA détaillait le projet au Conseil national de sécurité (NSA).

D’après le document préparé pour cet exposé, l’objectif final duprogramme d’entraînement était de former une force d’intervention de 500 hommes au minimum, qui seraient répartis en environ 25 équipes capables d’organiser,d’entraîner et de diriger des groupes dissidents indigènes, un opérateur radio étant attribué à chaque équipe.

En outre, des préparatifs étaient en cours pour créer uneforce aérienne cubaine en exil et on tentait de développer une structure maritime de soutien des groupes paramilitaires. Cet exposé exprimait des doutes sur le fait qu’un effort purement clandestin puisse être suffisant pour faire face aux capacités militaires croissantes de Castro etsignalait que la mise en place de la phase paramilitaire des opérations dépendrait de l’existence de forces dissidentes prêtes à y résister et que de telles forcessuffisamment puissantes n’existaient pas encore.

[…] L’accent mis sur la résistance En août, Branch WH/4 rédigea deux rapports destinés à tenir au courant respectivement le Président et les Chefs d’état-major interarmes.

Ces exposés prévoyaientqu’au 1 er novembre 500 membres des troupes paramilitaires et 37 opérateurs radio seraient prêts à l’action.

Il était précisé que ce groupe serait susceptible d’être utilisé sous forme d’équipes d’infiltration ou en tant que force d’invasion.

Le rapport destiné aux Chefs d’état-major interarmes précisait qu’« à l’évidence la réussitede toute opération paramilitaire d’envergure dépend[ait] d’une résistance intérieure bien implantée dans l’ensemble de la zone.

» […] Les termes « invasion », « attaque » et « assaut » étaient employés dans ces documents bien qu’il semble que le concept de force d’attaque n’ait pas reçu d’avalpolitique sous quelque forme que ce soit avant la rencontre du Groupe Spécial qui devait avoir lieu vers la fin de l’année. Le plan des opérations Le rapport soumis au Président en août 1960 présentait le plan des opérations comme suit : « La phase initiale des opérations militaires prévoit le développement, le soutien et la direction de groupes dissidents dans trois zones du territoire cubain : la régionde Pinar del Río, l’Escambray et la sierra Maestra.

Ces groupes seront organisés pour pouvoir mener des actions de guérilla concertées contre le régime. « La deuxième phase débutera par un assaut combiné des forces du FRD sur l’île des Pins [actuelle île de la Jeunesse] par air et par mer coordonné avec une actiond’ensemble de la guérilla sur l’île de Cuba elle-même.

Cela permettra l’établissement d’une base opérationnelle rapprochée pour les actions suivantes. « La phase finale sera constituée par un assaut aérien sur la région de La Havane en parallèle avec l’avance terrestre des forces de la guérilla sur La Havane à partirdes théâtres d’opération de la deuxième phase.

» […] C’est fin septembre 1960 qu’eurent lieu presque simultanément la première opération navale et le premier parachutage sur Cuba.

L’opération navale fut un succès.

Leparachutage, premier d’une série d’échecs, eut pour épilogue la capture et l’exécution d’un agent paramilitaire sur lequel les organisateurs du projet avaient fondé degrands espoirs.

[…] Changement de plan Le 4 novembre 1960 WE/4 prit des mesures formelles pour modifier le cours du projet en augmentant considérablement la taille de l’unité paramilitaire cubaine et enréorientant son entraînement selon des principes militaires plus conventionnels.

Des ordres furent transmis en ce sens à la base du Guatemala, qui, au 10 novembre,avait un effectif de 475 recrues (fantassins et pilotes) en formation, et à Miami, où les efforts de recrutement connurent un nouvel essor.

[…] […] Le président Eisenhower avait donné son feu vert le 29 novembre et l’avait confirmé le 3 janvier 1961, mais l’imminence de changements au sein dugouvernement ralentissait le processus.

[…] Le 19 janvier, lors de la dernière réunion du groupe spécial avant l’entrée en fonction du nouveau président, il fut. »

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