R. Descartes, Principes de la philosophie, Lettre à celui qui a traduit le livre

« J'aurais ensuite fait considérer l'utilité de cette philosophie, et montre que, puisqu'elle s'étend à tout ce que l'esprit humain peut savoir, on doit croire que c'est elle seule qui nous distingue des plus sauvages et barbares, et que chaque nation est d'autant plus civilisée et polie 1 que les hommes y philosophent mieux ; et ainsi que c'est le plus grand bien qui puisse être dans un État que d'avoir de vrais philosophes. Et outre cela que, pour chaque homme en particulier, il n'est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s'appliquent à cette étude, mais qu'il est incomparablement meilleur de s'y appliquer soi-même, comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d'un autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n'avoir que soi pour se conduire. Or, c'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu'on trouve par la philosophie; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. « R. Descartes, Principes de la philosophie, Lettre à celui qui a traduit le livre. 1. Polie : adoucie par la civilisation.  

REMARQUES GÉNÉRALES. • Une approche multiforme des implications et de la valeur de la philosophie. Grande richesse thématique du texte, centrée sur une explicitation méthodique de la fonction de la philosophie. — La philosophie comme « indice culturel « (un point à discuter : que peut-on entendre par « philosopher mieux«? Utiliser pour cette discussion les éléments de réflexion fournis par l'ensemble de la rubrique philosophie). — Le rôle politique de la philosophie (à développer selon des axes précis : réflexion critique, démystification des discours et des conditionnements cachés, formation de citoyens dotés d'un pouvoir de jugement autonome, maintien d'une exigence critique, notamment en ce qui concerne la distinction du droit et du fait, le refus de toute justification abusive, etc.). — Rôle de la philosophie dans la formation de la personnalité (rejet de toute tutelle extérieure). — Valeur de la philosophie pour la définition d'un art de vivre. • Analyses suggérées. On s'attachera à illustrer les thèses du texte. Voici quelques références philosophiques permettant de le faire. — Philosophie et politique. ► Platon, Gorgias (critique de la rhétorique comme instrument de manipulation). Cf. aussi lettre VII, citée par le sujet n° 76. ► Marx, onzième Thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, mais il s'agit de le transformer. « — Philosophie et formation personnelle. ► Descartes, Méditations métaphysiques et Discours de la méthode (première partie). ► Spinoza, Éthique. — Philosophie et sagesse pratique. ► Épictète, Manuel (théorie stoïcienne de la sagesse). ► Lucrèce, De la nature, et Épicure, Lettre à Ménécée (la philosophie comme médecine de l'âme et rejet des croyances irrationnelles).