Question de corpus - corrigé
Publié le 28/03/2012
Extrait du document
Objets d'étude : La poésie - Convaincre, persuader et délibérer. Textes : Texte A : « La chanson des Canuts » (1831) Texte B : Victor Hugo (1802-1885), Châtiments (1853), « Le Manteau Impérial » Texte C : Pierre Emmanuel (1916-1984), Jour de colère (1942), « Hymne de la liberté » Annexe : Jean-Paul Sartre (1905-1980), Qu'est-ce que la littérature ? (1948).
Texte A : « La chanson des Canuts » (1831).
[Écrite à l'occasion de l'insurrection, en 1831, des ouvriers qui tissaient la soie à Lyon.*]
Pour chanter «Veni Creator1», Il faut une chasuble2 d'or. (bis) Nous en tissons pour vous, grands de l'Église, Et nous, pauvres canuts n'avons pas de chemise. C'est nous les canuts Nous sommes tout nus (bis). Pour gouverner, il faut avoir Manteaux ou rubans en sautoir3 (bis) Nous en tissons pour vous, grands de la terre Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre. C'est nous les canuts Nous sommes tout nus (bis). Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira Alors nous tisserons le linceul4 du vieux monde Car on entend déjà la révolte qui gronde. C'est nous les canuts Nous sommes tout nus, C'est nous les canuts Nous n'irons plus nus.
* en fait, le texte donné ici est celui de la chanson composée par Aristide Bruant en 1910.
1.\"Viens Créateur\" : c'est le début d'un chant religieux très connu. 2. chasuble : vêtement utilisé par le prêtre pour célébrer le culte, en particulier lors des grandes fêtes. 3. en sautoir : autour du cou descendant sur la poitrine. 4. linceul : pièce de tissu qui enveloppe les morts.
Texte B : Victor Hugo (1802-1885), Châtiments (1853), « Le manteau impérial ».
[Victor Hugo s'est opposé au pouvoir personnel de Louis-Napoléon Bonaparte. Il a écrit ce poème au moment où celui-ci se fait sacrer empereur sous le nom de Napoléon III. Le manteau du sacre de Napoléon Ier était décoré d'abeilles.]
Oh ! vous dont le travail est joie, Vous qui n'avez pas d'autre proie Que les parfums, souffles du ciel, Vous qui fuyez quand vient décembre, Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre Pour donner aux hommes le miel, Chastes buveuses de rosée, Qui, pareilles à l'épousée, Visitez le lys du coteau1, Ô sœurs des corolles vermeilles, Filles de la lumière, abeilles, Envolez-vous de ce manteau ! Ruez-vous sur l'homme, guerrières ! Ô généreuses ouvrières, Vous le devoir, vous la vertu, Ailes d'or et flèches de flamme, Tourbillonnez sur cet infâme ! Dites-lui : - « Pour qui nous prends-tu ? « Maudit ! nous sommes les abeilles ! « Des chalets ombragés de treilles « Notre ruche orne le fronton ; « Nous volons, dans l'azur écloses, « Sur la bouche ouverte des roses « Et sur les lèvres de Platon2. « Ce qui sort de la fange y rentre. « Va trouver Tibère3 en son antre, « Et Charles neuf sur son balcon4. « Va ! sur ta pourpre il faut qu'on mette, « Non les abeilles de l'Hymette5, « Mais l'essaim noir de Montfaucon5 !» Et percez-le toutes ensemble, Faites honte au peuple qui tremble, Aveuglez l'immonde trompeur, Acharnez-vous sur lui, farouches, Et qu'il soit chassé par les mouches Puisque les hommes en ont peur !
1.Dans un texte de la Bible, l'épousée attend son bien-aimé qui cueille des lys. Cette fleur devint plus tard le symbole de la monarchie. 2. Une légende veut que des abeilles se soient posées sur la bouche du jeune Platon (le grand philosophe grec) endormi. 3. Empereur romain considéré comme un tyran. 4. Le roi Charles IX aurait contemplé le massacre des protestants le jour de la Saint Barthélemy du haut de son balcon. 5. L'Hymette est une montagne des environs d'Athènes, renommée pour son miel. A Montfaucon était dressé le plus célèbre gibet de Paris. Les cadavres des pendus attirent les mouches !
Texte C : Pierre Emmanuel (1916-1984), Jour de colère (1942), « Hymne de la Liberté ».
[…] O mes frères dans les prisons vous êtes libres Libres les yeux brûlés les membres enchaînés Le visage troué les lèvres mutilées Vous êtes ces arbres violents et torturés Qui croissent plus puissants parce qu’on les émonde Et sur tout le pays d’humaine destinée Votre regard d’hommes vrais est sans limites Votre silence est la paix terrible de l’éther1. Par-dessus les tyrans enroués de mutisme Il y a la nef silencieuse de vos mains Par-dessus l’ordre dérisoire des tyrans Il y a l’ordre des nuées et des cieux vastes Il y a la respiration des monts très bleus Il y a les libres lointains de la prière Il y a les larges fronts qui ne se courbent pas Il y a les astres dans la liberté de leur essence Il y a les immenses moissons du devenir Il y a dans les tyrans une angoisse fatale Qui est la liberté effroyable de Dieu.
1. éther : désignation poétique des cieux.
Annexe : Jean-Paul Sartre, (1905-1980), Qu’est-ce que la littérature ? (1948)
[Chantre de l’engagement en littérature, Sartre distingue dans cet essai philosophique le rôle respectif que doivent jouer poésie et prose].
Sans doute l’émotion, la passion même – et pourquoi pas la colère, l’indignation sociale, la haine politique – sont à l’origine du poème. Mais elles ne s’y expriment pas, comme dans un pamphlet ou dans une confession. A mesure que le prosateur expose des sentiments, il les éclaircit ; pour le poète, au contraire, s’il coule ses passions dans son poème, il cesse de les reconnaître : les mots les prennent, s’en pénètrent et les métamorphosent : ils ne les signifient pas, même à ses yeux. L’émotion est devenue chose, elle a maintenant l’opacité des choses ; elle est brouillée par les propriétés ambiguës des vocables où on l’a enfermée. Et surtout, il y a toujours beaucoup plus, dans chaque phrase, dans chaque vers, comme il y a dans ce ciel jaune au-dessus du Golgotha1 plus qu’une simple angoisse. Le mot, la phrase-chose, inépuisables comme des choses, débordent de partout le sentiment qui les a suscités. Comment espérer qu’on provoquera l’indignation ou l’enthousiasme politique du lecteur quand précisément on le retire de la condition humaine et qu’on l’invite à considérer, avec les yeux de Dieu, le langage à l’envers ? «Vous oubliez, me dira-t-on, les poètes de la Résistance. Vous oubliez Pierre Emmanuel2.» Hé ! non : j’allais justement vous les citer à l’appui. […] 1. Allusion à un tableau du Tintoret (1518-1594), peintre vénitien qui a représenté la mort du Christ sur le mont Golgotha. 2. cf texte C.
ÉCRITURE
I . Vous répondrez d'abord à la question suivante : (4 points) Que dénoncent les textes A, B et C du corpus ? Vous prendrez appui, dans une réponse argumentée, sur des citations précises.
Il. Vous traiterez ensuite, au choix l'un des sujets suivants : (16 points)
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Commentaire Vous commenterez le poème de Pierre Emmanuel (texte C).
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Dissertation L'écriture poétique vous paraît-elle apte à convaincre le lecteur, à susciter son engagement, ou pensez-vous comme Sartre qu'elle brouille le message ? Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes du corpus, ceux que vous avez étudiés en classe ainsi que sur vos lectures personnelles.
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Invention L'usage de la poésie et de la chanson dans les débats de société a pu être contesté. Vous en discutez avec un camarade. L'un d'entre vous trouvera cet usage légitime, l'autre non. Rédigez ce dialogue.
Question de corpus :
Le corpus nous présente trois textes dont chacun dénonce une situation. Ainsi, La chanson des Canuts est une révolte sociale contre la misère des tisseurs de soie. Dans son poème, Victor Hugo critique la monarchie de Napoléon III et quant à l'Hymne de la Liberté on comprend que Pierre Emmanuel dénonce les conséquences de la guerre. Les textes étant relativement différents les uns des autres, nous allons voir ce qu'ils dénoncent texte par texte.
Tout d'abord, La chanson des Canuts dénonce la misère dans laquelle vivent les tisseurs de soie : « Et nous, pauvre canuts, n'avons pas de chemise » vers 4. Cette misère est accentuée par les répétitions de « pauvre canuts » vers 4 et 10 et « Nous sommes tout nus » vers 6, 12 et 18. La chanson dénonce aussi la condition de travail harassante que l'on peut voir par la répétition de « Nous en tissons » vers 3 et 9. De plus on remarque la dénonciation des responsables : les gens d'église avec « grands de l’Église » vers 3 et les seigneurs avec « grands de la terre » vers 9 qui sont tout deux les détenteurs de l'argent « chasuble d'or » vers 2, « Manteau ou rubans en sautoir » vers 8 et du pouvoir « votre règne » vers 14. Cette chanson est aussi la vision d'une révolte à venir « on entend déjà la révolte » vers 16 qui changera les choses « Nous n'irons plus nus » vers 20.
Ensuite, Le manteau impérial est un poème de Victor Hugo qui se révolte politiquement contre Napoléon III, c'est donc une dénonciation de son coup d'état. On remarque qu'elle est extrêmement violente car le poème fait référence à des tyrans : « Va trouver Tibère en son antre » vers 26 et « Et Charle neuf sur son balcon » vers 27 et Napoléon III est même désigné très péjorativement : « cet infâme ! ». Néanmoins cette dénonciation n'est pas explicite car Napoléon III n'est jamais nommé. Ce sont les abeilles de son manteau qui sont citées. Lesquelles sont représentées comme innocentes « Vous qui n'avez pas d'autre proie que les parfums » vers 2 et 3, bonnes « Pour donner aux hommes le miel » vers 6 et divines « Filles de la lumière » vers 11 donc tout le contraire de Napoléon III qui ne possède pas ces qualités. Victor Hugo rajoute qu'il ne mérite que les mouches « Va ! sur ta pourpre il faut qu'on mette, non les abeilles de l'Hymette, mais l'essaim noir de Montfaucon ! » vers 28 et 29 et qu'elles doivent dévorer son cadavre : « Et percez-le toutes ensemble » vers 31.
Quant à l'Hymne de la Liberté on remarque que la tyrannie dénoncée n'est pas clairement identifiée tel que Napoléon III qui n'était pas cité dans Châtiments. Mais la date du poème, 1942, permet de nous situer dans la seconde Guerre Mondiale. Mais, plus précisément, on devine qu'il parle de l'occupation allemande par l'utilisation de « tyrans » vers 9 et 11. Il parle aussi de l’emprisonnement que l'on peut voir par le paradoxe « dans les prisons vous êtes libre » vers 1 et « les membres enchaînés » vers 2. De plus les traces de tortures citées finissent de confirmer que le poème dénonce le nazisme : « les yeux brûlés » vers 2, « Le visage troué les lèvres mutilées » vers 3 et « torturés » vers 4. Le texte de Sartre le confirme car il désigne Pierre Emmanuel comme un poète de la résistance.
En conclusion, on peut dire que chacun de ces textes dénonce une situation inacceptable. La chanson des Canuts dénonce la misère des Canuts par rapport au pouvoir et à la richesse du clergé et de la noblesse. Victor Hugo dénonce la monarchie non-méritée de Napoléon III et Pierre Emmanuel la souffrance causé par le nazisme durant la seconde Guerre Mondial. La dénonciation entre ces différents textes est donc distincte.
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