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Quelle Est La Fonction Principale De L'Utopie; S'Agit-Il De Faire Rêver Ou De Faire Réfléchir ?

Publié le 05/12/2010

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L’apologue présente la particularité d’être un récit, généralement court, à visée argumentative. Ainsi la fable appartient à ce genre littéraire. Mais c’est aussi le cas de l’utopie. On peut alors se demander quelle est la fonction principale de l’utopie. S’agit-il de faire rêver ou de faire réfléchir ? Il est légitime de connaître le rôle premier que peut remplir ce genre particulier, défini pour regrouper des textes représentant une possible réalité sans défaut. C’est pour cela que nous verrons d’abord pourquoi le lecteur est prêt à s’évader avec l’utopie. Cependant, ce genre fait appel à la raison de ce même lecteur, invité à réfléchir. Il en découle que ces deux éléments caractérisent l’utopie, et sont par conséquent liés.

 

      D’abord, l’utopie procure au lecteur une évasion vers d’autres horizons. Une de ses caractéristiques est son recours à un récit, qui plus est fictionnel. Or qui dit récit, dit narration de faits. Non seulement sont-ils fictifs. D’autre part, le rêve suppose l’aspiration à ce que l’on ne connaît pas mais essentiellement à ce que l’on souhaite. Ainsi la fiction proposée par le genre utopique répond parfaitement aux attentes du lecteur. On retrouve le côté fictif dans Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift. Ce texte met en scène des chevaux extraordinaires, appelés Houyhnhnms qui se nourrissent de Yahoos, créatures sauvages et répugnantes. Rien qu’avec les personnages, on remarque bien le caractère imaginaire de cette utopie. De même, la ville narrée dans La Cité du Soleil de Campanella comporte sept zones circulaires et fortifiées. La fiction est donc le moteur de l’utopie : elle rythme le récit. Ce qui n’empêche pas que le lecteur a l’impression que l’histoire est réelle, il faut qu’elle reste néanmoins possible et crédible.

      Les textes utopiques présentent un monde idéal, souvent coupé du monde réel, de telle sorte que l’évasion du lecteur est d’autant plus grande. D’ailleurs il n’est pas inutile de se référer à l’étymologie du mot « utopie «. Celui-ci vient de la racine grecque ou topos, signifiant « lieu qui n’existe pas «. On pourrait en fait comparer l’utopie à une échappatoire à la réalité. Un des exemples les plus probants est Utopie de Thomas More. En effet, l’histoire se déroule sur une île, dont la symbolique est à noter : elle représente un endroit paradisiaque et surtout inaccessible. De ce fait l’île est protégée de toutes les forces extérieures potentiellement nuisibles. La même idée est reprise dans Candide de Voltaire, le passage de l’Eldorado, pays merveilleux que le personnage éponyme atteint après maintes péripéties. Le merveilleux est en outre une notion qui suscite l’admiration et par suite le rêve. L’utopie est alors un récit faisant état d’un monde irréel déconnecté de toute réalité et dans lequel le lecteur se retrouve embarqué.

 

      Pourtant, il est indéniable que les utopistes ont voulu dénoncer les tares de la société contemporaine à chacun. En effet, écrire une utopie reste l’occasion de développer certaines critiques. Ainsi elle est sujette à réflexion. Je m’explique : les œuvres utopiques exposent des mondes, des sociétés aux cultures, aux mœurs et aux valeurs différentes. Il est alors possible d’établir des comparaisons avec notre propre société. L’île d’Utopie est remarquable du point de vue de sa totale opposition à l’Angleterre (une île aussi!) de l’époque. De la même manière, dans Gargantua, Rabelais interpelle le lecteur lorsqu’il évoque la clause qui régit l’abbaye de Thélème (« Fais ce que voudras «) : cette règle est réellement chimérique. Lorsque le lecteur lit avec attention une œuvre utopique, il comprend bien l’enjeu et ce qu’a voulu avancer l’auteur. L’implicite est de mise, afin de délivrer une critique, portant généralement sur la société.

      D’autre part, un utopiste peut chercher à essayer de nouvelles idées, tel un chercheur dans son laboratoire. Son but est de proposer des solutions ou des alternatives, qu’elles soient politiques, sociales, morales. Par ailleurs, l’architecture est abordée avec les cités utopiques, dont les formes sont géométriques (symétries) et uniformes. Cabet a écrit une société communiste à l’industrie organisée et développée dans son ouvrage Voyage en Icarie (1840). Ce sont des prémices d’une volonté d’un nouveau régime politique, comme l’avait formulé d’une autre manière Saint-Simon, avec une meilleure organisation sociale favorisée par un capitalisme bénéfique pour toutes les classes sociales (différentes œuvres de 1817 à 1825). En plus, les idées énoncées dans les utopies ont l’air d’être révolutionnaires et novatrices, tant le cadre s’y prête. Les écrivains ont donc exposé leurs théories dans divers domaines, principalement politiques et sociales, comme pour l’essai, mais sous une forme différente.

 

      Après avoir vu ces deux aspects, je pense que ce qui fait la singularité de l’utopie est qu’elle réunit ces deux fonctions. Dès lors, elle jouit d’une grande efficacité, en tout cas meilleure que les œuvres d’argumentation pure, dans la mesure où tout lecteur peut y trouver son compte : les uns qui recherchent des textes narratifs différents du roman traditionnel trouvent un excellent compromis dans le genre de l’utopie, autant que les autres qui préfèrent réfléchir sur divers sujets mais veulent s’écarter de l’argumentation directe. Lorsque le livre de Thomas More, Utopie, est paru, ce dernier a connu un succès incontestable, notamment auprès des humanistes. De nombreuses (ré)éditions se sont ensuite succédées. Bien entendu, la nouveauté littéraire de ce texte y a également contribué. Marx, grâce au Manifeste du Parti Communiste, a bouleversé les systèmes traditionnels, tellement les répercutions de son texte ont été grandes. L’utopie est de ce fait un genre qui est capable de réunir un public large et varié, étant donné son attractivité, rendue possible grâce au mélange du rêve et de la réflexion, qui sont ici des éléments complémentaires.

      Le rêve et la réflexion sont indissociables. C’est ce qui fait la force du genre, le rêve contribue à la réflexion et vice-versa. Comme l’utopie présente une société idéale, le lecteur perçoit les défauts inhérents de sa propre société, d’autant plus que l’auteur cherche aussi à la critiquer. Par exemple, dans l’Eldorado dans Candide, le voyageur naïf, Candide, se pose une multitude de questions sur cette contrée merveilleuse. Autrement, dans les années 1630, les découvertes contemporaines révolutionnaires de Kepler et de Galilée sont récentes. Dans L’homme dans la lune, écrit par Francis Godwin, un personnage tente de les vérifier grâce à un voyage sur la Lune, en particulier pour savoir si le Soleil est vraiment au centre de tout (théorie audacieuse pour l’époque). Il faut en outre souligner l’importance notable de l’homme voyageur, présent dans certains textes utopiques, qui concilie émerveillement et soif de comprendre. De ce fait, un lien s’établit entre évasion et réflexion. En résumé, l’utopie se sert du rêve : elle affiche pour cela un monde parfait pour montrer combien le monde réel est différent de celui-ci. Par conséquent la société réelle est dépravée. Voilà le cheminement qu’opère le genre entre le rêve et la réflexion. Il s’agit en quelque sorte de textes à double visée, sans qu’un des deux aspects prenne réellement le dessus.

 

      Nous avons donc vu que le cadre idyllique que l’utopie, ce récit fictionnel, met en avant a pour but de faire rêver le lecteur, transporté dans des mondes parfaits. Cependant, elle ne constitue pas qu’un genre narratif : l’utopie est vectrice d’idées nouvelles philosophiques, scientifiques, politiques ou sociales. La réflexion se retrouve aussi dans la critique implicite faite de notre société. Ces deux aspects font la particularité de l’utopie, c’est pour cela que rêver et réfléchir sont les deux principes utopistes. Et la recherche d’un monde meilleur voire sans défaut a été le souhait de bon nombre d’auteurs, au contraire d’autres se sont inquiétés d’un monde où le totalitarisme règne, comme George Orwell et son 1984. La contre-utopie est ainsi le pendant l’utopie et nous rappelle que le pire existe, au même titre que le meilleur.

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