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Quel type de héros est Ulysse tel qu'il apparaît dans les chants V à XIII de L'Odyssée ?

Publié le 23/10/2010

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Si L’Odyssée constitue un modèle pour tout l’art occidental c’est sans doute à cause de la figure de son héros. Elle est si finement élaborée, elle illustre si bien la complexité de la condition humaine que 2800 ans plus tard, on se projette encore dans ce personnage. Quel type de héros est Ulysse pour qu’on puisse encore s’y identifier ? Nous montrerons qu’il est un héros en rupture avec les modèles que propose l’Iliade ; nous verrons ensuite que sa force principale est celle de l’esprit, mais qu’il peut être fragile, perdre la maîtrise de sa destinée. Nous montrerons enfin qu’il est un personnage en devenir. 

 

Même si les deux poèmes que sont L’Iliade et L’Odyssée appartiennent au même cycle et sont peut-être l’œuvre d’un même aède, Homère, ils sont très différents et présentent des personnages dont les valeurs sont différentes : L’Iliade est le poème d’Achille, de la vie brève, du héros épique à proprement parler qui domine pas sa force, par son adresse physique, par son courage,  et dont le but est la gloire, fût-elle obtenue au prix de la vie, coupée dans la fleur de l’âge L’Odyssée est le poème d’Ulysse et promeut des valeurs presque inverses. La rencontre entre Ulysse et Achille au pays des Cimmériens en atteste : Achille désenchanté, affirme qu’il « aimerait mieux être sur terre domestique d’un paysan « (chant XI). Ulysse contrairement à Achille est celui qui veut, pour reprendre le vers de Bellay, « vivre entre ses parents le reste de son âge «, qui veut survivre coûte que coûte, qui veut être fidèle à lui-même et aux siens. 

Dans ce combat d’un type nouveau, Ulysse a de nouvelles armes. Même s’il est encore qualifié à deux ou trois reprises, de « Fléau des villes «, les épithètes homériques mettent plutôt en valeur ses capacités intellectuelles : Ulysse est « l’inventif «, « l’homme aux mille tours «, le « polytropos «. C’est par la ruse qu’il échappe au cyclope, en l’enivrant d’abord, en jouant sur les mots et sur son identité ensuite (« je suis Personne «, « utis «/« metis «), c’est par l’esquive (et non par l’affrontement) qu’il peut survivre à son passage entre Charybde et Scylla, c’est sa sagacité et sa prudence (« polyphron «) qui lui font exiger de Circé comme de Calypso qu’elles prononcent le serment majeur pour pouvoir leur faire confiance, c’est son courage psychique qui lui permet d’affronter la « peur verte « au cours de sa visite aux morts. Cette ruse est une qualité d’un nouveau type, une nouvelle forme d’héroïsme que L’Odyssée valorise ; il partage d’ailleurs cette qualité avec Athéna (« nous sommes toi et moi des astucieux «, dit-elle au chant XIII)

Mais ces facultés n’empêchent pas une certaine fragilité morale et physique. Il est plusieurs fois fait mention de la fatigue d’Ulysse, de son sommeil (ce sommeil d’Ulysse qui inspire beaucoup le poète Yves Bonnefoy). Il est surtout fait mention de ses pleurs, qu’une comparaison homérique assimile à ceux d’une épouse en deuil « qui pleure son époux en l’étreignant « (Chant VIII) et qu’il verse en regardant la mer, alors qu’il est retenu chez Calypso, ou en écoutant l’aède Démodocos. A certains égards  Ulysse est donc presque un antihéros ; il a en tous les cas des faiblesses même s’il est douée d’une extraordinaire pulsion de vie suggéré par le très beau vers formulaire : « heureux d’être vivant et pleurant ses compagnons morts «

Ce qui est singulier aussi chez ce héros, c’est qu’il est en devenir, qu’il se trompe, qu’il s’égare, qu’il apprend : il se trompe en refusant d’abord le voile d’Ino, en pérorant devant le cyclope, en voulant affronter Scylla. Mais il apprend aussi à se méfier, y compris de lui-même (il se fait attacher pour résister aux Sirènes), il apprend à réaffirmer son identité en écoutant les récits de Démodocos, puis en racontant sa propre histoire. Il apprend l’importance de la parole, des récits, ceux établis par la mémoire et ceux qui permettent de se représenter l’avenir (les prédictions)

 

Ulysse est donc un héros bien singulier : ce n’est pas par la force qu’il se qualifie, c’est par la ruse, c’est par l’approfondissement de son identité individuelle construite tout au long de sa vie d’homme, et dans la conscience de sa condition de mortel. A certains égards, L’Odyssée est l’épopée de l’homme ordinaire.  C’est la raison pour laquelle ce poème épique a pu servir de modèle au genre du roman sous toutes ses formes (roman d’aventure, roman de formation, roman picaresque), y compris  les plus modernes  (on pense à Ulysse de James Joyce)

 

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