Quel Regard Pascal Porte-T-Il Sur Le Savoir Dans Les Pensées ?
Publié le 23/10/2010
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Pascal s'est fait connaître autant par ses écrits scientifiques que par ses écrits philosophiques et littéraires. Les Pensées sont souvent nourries par la culture scientifique de leur auteur, alors même qu'il développe un point de vue très critique sur l'aptitude de l'homme à juger et à connaître.
Quel regard porte-t-il donc sur le savoir? Il sera intéressant d'analyser d'abord comment il remet en question les prétentions de l'homme en matière de connaissances, puis comment au contraire, il voit, au bout du compte, dans la capacité de l'homme à penser sa condition, le signe de sa grandeur.
L'obstacle à la connaissance de la vérité vient d'abord de la position de l'homme dans l'univers. Il est en effet "un milieu entre rien et tout", placé dans une position intermédiaire, instable, au sein d'un monde infini. L'homme selon Pascal n'est jamais à la juste place pour juger des choses: il est toujours "trop près, trop loin, trop haut, trop bas" et "si on est trop jeune", ajoute-t-il par exemple, "on ne juge pas bien, trop vieil de même" (fragment 19)
Dans sa quête de la vérité, Pascal affronte une double complexité, celle de choses, qui fait que, comme l'affirmaient les Pyrrhoniens et comme le disait Montaigne, "on ne peut connaître le tout de rien", et celle de l'esprit, inconséquent, fragile, suceptible d'être affaibli ne serait-ce que par une mouche, ou par la maladie. "Les choses ont diverses qualités" dit-il dans le fragment 50, et les hommes sont des orgues "bizarres, changeantes, variables", dans le fragment suivant.
Mais parmi les puissances qui viennent fausser le regard de l'homme sur le monde, il y a surtout l'imagination, cette "maîtresse d'erreur et de fausseté" (fragment 41). Elle colonise l'esprit au détriment de la raison, Pascal nous dit qu'elle "contrôle" et "domine" la raison. Elle est nourrie par nos sens, par notre orgueil, mais aussi par des erreurs qui nous ont été inculquées et à travers lesquelles nous pensons. Elle est d'autant plus difficile à maîtriser qu'elle n'a pas toujours tort, "elle est d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours" , et les certitudes qu'elle apporte peuvent sembler des partis pris de la raison. Pascal prend l'exemple de la notion du vide: l'enfant qui ouvre un coffre vidé des objets qu'il contenait le déclare "vide", à quoi un savant peut lui répondre que sa proposition est fausse, que le vide n'existe pas. Or pascal a prouvé par ses expériences que le vide existait: l'enfant n'avait donc pas tout à fait tort et le savant pas tout à fait raison.
L'homme est donc inapte à établir des savoirs de façon certaine; il "n'est qu'un sujet plein d'erreurs naturelles" et la relativité des opinions en est l'effet le plus spectaculaire en même temps que la meilleure preuve. Pourtant, à certains égards, la volonté de savoir est ce qui fonde sa grandeur.
En effet, cette aspiration à la vérité est comme la trace d'une grandeur originelle. L'homme "veut et ne peut", c'est là son génie et sa malédiction. Car s'il a l'idée de la vérité dans l'esprit, c'est qu'il l'a connue; et il l'a connue en étant créé à l'image de Dieu avant d'être souillé par le péché originel. Autrement dit, l'homme est "dépositaire du vrai", en même temps qu'il est un "cloaque d'incertitude et d'erreur" (fragment 122).
Par ailleurs, la quête des savoirs n'est pas vaine si elle conduit à approfondir la connaissance de la condition humaine. Si Pascal raille les "habiles", ceux qu'il appelle dans le fragment 93 les "demi-savants", qui "n'ont qu'une teinture de sotte science suffisante", et qui "font les entendus" (fragment 77), il fait l'éloge, au contraire, dans ce même fragment, des "grandes âmes", de ceux qui "ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien". Ainsi, peut-on dire que le doute pascalien n'est pas, comme celui de Descartes, le point de départ d'une reconstruction, mais qu'il est le point d'arrivée d'une recherche, d'un initialisation, dont les Pensées tracent peut-être le parcours sinueux.
C'est ainsi que Pascal aboutit à un des paradoxes clefs de sa pensée: la grandeur de l'homme vient "de ce qu'il se connait misérable". Il s'agit là de la seule certitude qu'il peut construire et qui illustre par la métaphore du "roseau pensant" (104). C'est par cette aptitude à penser la misére de sa condition que l'homme s'illustre, ce qui fait dire à Pascal "Toute notre dignité consiste donc en la pensée". C'est sans doute sur la base de cette ignorance savante que l'homme peut se rendre disponible pour une certitude du coeur, autrement dit une "intuition": l'existence de Dieu. Il ne la démontre pas, mais il pense qu'une réflexion raisonnée sur la condition humaine peut y mener et c'est tout le sens du projet dans lequel s'inscrit l'écritude des Pensées puisque Pascal voulait en faire une apologie de la religion chrétienne.
Pascal s'acharne donc, et c'est vrai tout particulièrement dans les premières liasses du programme, à montrer combien l'homme est faible, incapable de connaître et de comprendre. Mais en même temps "l'homme passe l'homme" comme il le dit dans le fragment 122, et s'il sait être un "prodige", c'est justement par sa capacité à se connaître, à appréhender ses contradictions, ses vanités, sa misère.
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