Quel Est L'Intérêt De La Forme Épistolaire Dans Le Roman Les Liaisons Dangereuses Et Dans Le Film ?

 Introduction Les Liaisons dangereuses de Laclos se caractérisent avant tout par leur forme épistolaire. S’imposant en tant que véritable œuvre littéraire, leur objectif semble à première vue esthétique. Mais la correspondance présente à travers le livre possède en réalité un double intérêt majeur parfaitement retranscrit dans l’adaptation cinématographique de Frears. Ce fait pourrait alors soulever la problématique suivante: quel est l’intérêt de la forme épistolaire dans le roman et dans le film? I- La dramaturgie de la forme épistolaire 1) La forme épistolaire permet en premier lieu de souligner la dramaturgie de l’œuvre. Chaque correspondance pourrait être comparée à un échange théâtral dialogué. Les paroles prononcées se font sur papier, elles restent muettes et pourtant très explicites. Les personnages tissent eux-mêmes l’action en se livrant et favorisent ainsi l’adaptation cinématographique. Frears illustre cet état d’esprit en transposant les échanges épistolaires sous forme de dialogue. Les comédiens retranscrivent les sentiments de ces êtres de papier à l’aide d’expressions faciales, corporelles et gestuelles. Toutefois le réalisateur se plaît à rappeler le genre du roman en créant plusieurs scènes relatives à la diffusion des lettres: ainsi Valmont parvient-il à remettre à Cécile les billets écrits par Danceny. De même une seconde séquence montre le Vicomte subtilisant les correspondances de Mme de Tourvel. Ce dernier évènement engendrera des conséquences désastreuses puisque ces lettres pousseront Valmont à se venger de Mme de Volanges. Laclos fait donc de ce roman une œuvre magistrale en sachant tirer sens et profit de toutes les caractéristiques de la forme épistolaire. Les lettres maîtrisent l’intrigue, elles reflètent les jeux sournois menés par les deux libertins et offrent à ces derniers la possibilité de mettre leurs plans à exécution. Elles possèdent différentes facettes, se posant comme lettre d’information, lettre analytique, lettre de confidence ou lettre d’action. Elles imposent le ton du roman, informent du progrès de l’action mais contribuent aussi aux coups de théâtre, comme lorsque le lecteur apprend de la plume de Valmont le départ inattendu de la Présidente. 2) La lettre, un instrument de domination, une arme. Valmont et Mme De Merteuil se servent des lettres non seulement pour se raconter mutuellement leurs aventures sentimentales mais surtout pour mettre au point leurs techniques. Ils n’hésitent donc pas à écrire de fausses lettres et à envoyer des copies de lettres qu’ils ont reçus ou qu’ils vont envoyer. Mme de Merteuil a ainsi en sa possession les lettres de Valmont, de Danceny et de Cécile. Valmont dit à propos des lettres de Cécile : « En choisissant bien dans cette correspondance, et en n’en produisant qu’une partie, la petite Volanges paraîtrait avoir fait toutes les premières démarches […] quelques-unes des lettres pourraient même compromettre la mère «. (lettre 66) Les secrets contenus dans les lettres sont donc de terribles moyens de manipulations, chantages ou servent à convaincre le destinataire de quelque chose. Les lettres de Mme de Merteuil à Mme de Volanges et à Cécile sont mensongères. Mme de Volanges et sa fille sont persuadées que tout ce que leur écrit Mme de Merteuil est dans un souci de leur rendre service. Ce que Mme de Merteuil a oublié de considérer c'est que toute lettre peut être dangereuse : ainsi sa correspondance avec Valmont lui sera-t-elle fatale: Valmont confie à Danceny les lettres que Mme de Merteuil lui a écrites, preuves de sa cruauté, de ses stratégies. Ainsi, démasquée, elle est rejetée de tous. Les lettres ont donc des conséquences dramatiques dés lors qu'elles quittent la sphère privée du destinataire : Mme de Volanges, malgré elle précipite sa fille dans les bras de Valmont, pour avoir écrit à Mme de Tourvel tout le mal qu'elle pense de lui. Les lettres servent au dénouement tragique en cela qu’elles ont grandement aidé à la construction tragique de l’intrigue. 3) Lettres et tragédie L’organisation des lettres amplifie le décalage entre les personnages car elle est travaillée de manière pointilleuse. Ainsi le lecteur est comme complice du destin puisqu’il sait par avance ce qui arrivera avant même que le personnage n’en ait des soupçons. Par exemple, nous observons Mme De Tourvel se battre contre puis se laisser aller dans la toile de Valmont. L’agencement des lettres souligne l’ironie tragique du roman. Stephen FREARS transpose à l’écran les décalages indiqués par LACLOS, ainsi les scènes ou Valmont et Cécile écrivent respectivement à Mme De Tourvel et à Danceny sur le dos d’Émilie pour Valmont et de Valmont pour Cécile servent à souligner la perversité de ces deux personnages. Les lettres sont un véritable outil de corruption et on peut regretter d’en avoir envoyé. Par exemple Valmont regrette d’avoir rompu avec Mme De Tourvel pour Mme De Merteuil. Cette même lettre de rupture montre comment une lettre peut mentir, car Valmont cache ses sentiments réels. De même, quand Mme de Volanges envoi une lettre de mise en garde à Mme de Tourvel pour l'avertir du danger que représente Valmont et que celle-ci refuse d’y croire ou encore la lettre de Mme De Rosemonde qui parvient à Mme De Tourvel trop tard montre bien l’aspect tragique : le destin était scellé. II- La lettre au cœur du projet moraliste 1) Dimension polyphonique de la forme épistolaire • Dans le roman, la forme épistolaire est un miroir du caractère des personnages. Aussi, Danceny, dans la lettre 150, affirme que la lettre est un « portrait de l'âme «. • Laclos invente les personnages et il leur donne un tempérament. C'est le style d'écriture qu'il leur prête qui témoigne de leurs personnalité • Cécile: style désigné d'enfantin à juste titre par Mme de Merteuil: « Voyez donc à soigner d'avantage votre style. Vous écrivez toujours comme un enfant. Je vois bien d'où cela vient; c'est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas « (lettre 105), style simpliste et maladroit, utilise beaucoup de répétitions, n'emploie pratiquement que l'adverbe « bien « pour parler de sentiments forts, langage enfantin (« ce vilain monsieur de Gercourt « et « le monsieur «), phrases ponctués de l'interjection « oh! « • Danceny: style emporté, sentimental et doucereux, utilise à outrance les termes aimer, bonheur, amour, adorable et heureux, mais son style évolue au fil des échanges et il devient plus sage et plus modéré. • Mme de Tourvel: style religieux démontre sa haine et son refus pour l'amour et la passion (elle appelle l'amour un « délire dangereux «L.50 et un « poison dangereux «L.124), cependant son style témoigne de la passion à laquelle elle se laisse prendre (L.56 « pourquoi m'occuperais-je d'elles ou de vous? De quel droit venez-vous troubler ma tranquillité? Laissez-moi, ne me voyez plus; ne m'écrivez plus. «) • Mme de Merteuil: style riche et varié, vocabulaire riche, utilise images, métaphores et comparaisons, s'exprime avec le langage des salons, sait s'adapter à son interlocuteur (c'est de là que vient son pouvoir de manipulation) • Valmont: utilise de nombreux styles différents (de ce fait on ne connait son caractère qu'à travers les lettres qu'il échange avec Mme de Merteuil: rusé, fourbe et trompeur.) • La lettre est donc un portrait pour le personnage. • Dans le film, les portraits sont marqué par les propos qu'échangent les acteurs mais aussi leur jeu de scène et leurs costumes (Ex: Merteuil montre sa sophistication avec ses bijoux et ses vêtements) 2) Rendre service aux mœurs • Pour Laclos, les « Liaisons Dangereuses « sont un outil pour « rendre service aux mœurs « (préface) • A la fin de la fiction, Danceny rend public les lettres de Merteuil et accomplit la même action que l'auteur. Il « [rend] service à la société « pour « démasquer une femme aussi réellement dangereuse « L.169 • La forme épistolaire est toute indiquée puisqu'elle permet de montrer la nature de Merteuil au public et d'être une preuve écrite de ses actes répréhensibles • En outre, Laclos nous permet de voir les coulisses de la rouerie. Il montre au lecteur comment elle se construit de l'intérieur au fil des lettres échangées. • Ainsi les lettres permettent de montrer et de condamner les dangers de la société. Conclusion La forme épistolaire constitue ainsi le cœur même du roman, caractéristique que Frears rappelle tout au long du film. Véritables instruments de dominations, les lettres contrôlent l’histoire et dévoilent quelque peu l’intériorité des personnages. Elles vont également se retourner contre leurs maîtres en punissant les deux libertins. Mais le genre épistolaire rend surtout compte des mœurs de ses contemporains et Laclos se pose alors en tend que moraliste. Il dénonce les liaisons sociales et amoureuses contractées imprudemment par des hommes et des femmes dangereuses. L’auteur rejoint l’objectif principal des Lumières, à savoir d’éclairer les hommes sur le monde qui les entoure, même si cet univers se restreint au culte du paraître et à l’hypocrisie sociale.