Psychologie des expériences religieuses
Publié le 15/01/2011
Extrait du document
Compte rendu critique de lecture
«Psychologie des expériences religieuses»
Compte rendu et critique de la pensée d’un auteur
(André Godin)
De la critique des illusions à la transformation des désirs
Dieu est-il illusion ou réalité? Le fait d’accepter les dures réalités de la vie et de la mort ne nous enlève-t-il pas la capacité de gouter au plaisir? On s’interroge aujourd’hui sur l’expérience religieuse sans réellement considérer l’essence de la religion, la foi religieuse. Autrement dit, on essaie de mettre de côté la religion pour résoudre la question religieuse, à savoir si elle est illusion ou vérité, et pour y arriver, on se sert de la psychologie freudienne comme philosophie.
Il est possible de diviser en deux les courants qui s’opposent l’un à l’autre. En fait, devrait-on procéder par croyance objective ou par projection de nos désirs? Chez les non-croyants, on essaie de s’affirmer dans la liberté et le courage de vivre en éliminant divers mouvements affectifs qu’ils considèrent inconscients. Chez les croyants, on essaie à tout prix d’éviter une réflexion critique sur les dynamismes dans leurs convictions pacifiques, leurs pratiques rituelles ou leurs expériences de foi.
Les composantes inconscientes du désir
Il est évident que pour clarifier ou résoudre ce dilemme, il faut mettre l’inconscient de côté en se fiant à l’évidence rationnelle ou à la conscience vive d’expériences morales (pour les non-croyants) ou spirituelles (pour les croyants), mais l’inconscient nous guettera sans cesse avec le doute qu’il sème en nous, c'est-à-dire la question «et si c’était vrai?»…
Freud s’intéresse à la religion et décrit son aspiration comme «un ordre (qu’il) reçoi(t) de (s)es connexions inconscientes»[1]. Psychanalyste et médecin neurologiste de profession, il découvre grâce à sa clientèle majoritairement croyante, que la religion chrétienne a besoin d’être éclaircie sous le signe du «principe de réalité». Il a situé correctement le problème psychologique de la foi religieuse selon toutes ses composantes, y compris la lente maturation de l’affectivité dans ses sources et ses structures inconscientes (dans l’optique de l’exemple du principe de plaisir dominant le jeune âge et du principe de réalité dominant l’âge mûr d’un humain).
Alors que le désir de croire nous fait dire «j’ai confiance quand même», par quelles voies psychiques, sociales ou culturelles le doute se mêle-t-il à nos croyances religieuses? Eh bien, c’est une question que la psychologie essaie d’examiner du point de vue des structures mentales et affectives.
La critique des illusions
Selon Freud, «la réalité c’est ce que le désir seul ne peut influencer malgré les fantasmes qui s’y développent en ce sens[2]». Le désir peut certes produire des illusions, mais aussi s’en servir quand elles existent déjà dans le langage. Les expériences religieuses donc «se doivent de confirmer leurs points d’ancrage dans une réalité qui soit autre que les propres besoins du sujet qui les vit[3]», puisque sinon, il sera impossible de discerner la réalité de l’illusion.
Croyance-illusion selon Freud
La pensée de Freud sur ces deux termes est intéressante. Lorsqu’on veut à tout prix la réalisation de ce qu’on d’un désir, dit-il, une croyance est une illusion. L’illusion quant à elle renonce à être confirmée par le réel.
Dans les relations interpersonnelles, c’est par la communication que se maintient et se développe le «rapport à la réalité». Prenons l’exemple d’un personnage fictif «Barbara» que l’on verrait : illusion ou réalité? C’est seulement à partir du moment où Barbara parlera qu’elle transformera la relation d’illusion en éveil à la réalité, et du fait, risquera de réveiller une agressivité défensive chez son interlocuteur, qui autrement n’aurait que des pulsions d’aimance (sexuelles) pour son objet du désir sexuel, Barbara. Confus alors, l’interlocuteur pourrait voir son élan sexuel diminuer et réalisera que Barbara est le fruit de ses désirs et de sa propre demande d’amour une fois confronté aux paroles qu’elle prononcera. Grâce au va-et-vient entre les pulsions d’aimance et les pulsions d’agressivité, il se produira une reconnaissance de «l’autre» dans la joie d’être «ensemble». Nombreux sont les échecs de la pulsion sexuelle à produire une rencontre d’amour dans l’expérience de «l’autre» comme la satisfaction immédiate du désir par exemple ou «sur le chemin de l’ouverture à «l’autre» où les illusions plus subtiles sont attribuables au mécanisme inconscient de la projection. La projection étant une opération inconsciente, dans le langage psychanalytique, par laquelle une personne tend à localiser dans «l’autre» des qualités ou des pouvoirs qu’il refuse en lui, comme c’est le cas avec l’exemple de Barbara, est de l’ordre de l’imaginaire conscient dans ce cas. Le fait que Barbara prenne ses distances sème une ambivalence chez son interlocuteur et celui-ci devient la proie d’une jalousie qui le dévore peu à peu entrainant chez lui des pensées suspectes à l’égard de Barbara, mais le dynamisme de la projection demeure inconsciente et parvient à cacher au sujet ses propres mouvements agressifs. Par conséquent, l’interlocuteur fait une opération défensive, contaminant les dialogues, qui lui sert à s’autojustifier.
Par ailleurs, plus un objet de pensée et de désir est vague et lointain, plus il est apte à être garni d’attentes subjectives et «plus il devient capable de mobiliser des énergies individuelles ou collectives»[4] notamment dans le cas de dieu (ou dieux). Donc, l’intensité d’une expérience vécue ne garantit pas la valeur ou la réalité de son terme, puisque la question se pose toujours : illusion ou réalité?
Trois sources de la religiosité spontanée
1) Les pratiques rituelles actualisent des récits qui sont l’objet des croyances faisant partie d’une mentalité magique. Freud croit que les rites sont motivés par une volonté d’accomplir certaines pratiques stéréotypées, qui, une fois négligées, apposeraient un sentiment de culpabilité sur les épaules du croyant. «Les pratiques sacrificielles et pénitentielles auraient (…) psychologiquement ce sens-là»[5] elles aussi. 2) En fait, les croyances religieuses sont impossibles à prouver ou à vérifier par la réalité. Croire est le fruit du désir de consolation, de sécurité et d’immortalité. Il est d’ailleurs curieux, poursuit-il, que tout ce que nous pourrions souhaiter dans la vie fasse partie des promesses des religions.
Il est facile de constater au travers des textes écrits par Freud que les croyances religieuses lui apparaissent «comme des formations mentales au niveau du wishful thinking»[6]. N’étant pas satisfait de ses œuvres, il se remet en question et analyse la genèse des croyances pour en faire une classification des expériences religieuses : polythéisme, animisme, monothéisme et spiritualisme.
Ces phases de déplacement religieuses dans ses mutations progressives étant telles qu’elles soient, il ne faut pas penser que les religions réussissent à conduire l’homme vers une vie organisée sous la dominance du «principe de réalité» et donc où l’homme vie dans un monde dans lequel prime les sciences positives ou expérimentales. Comme c’est le cas pour le mysticisme religieux saisi par Freud, les sciences religieuses ne font que répéter sous des formes diverses les conflits de tendances dont elles refoulent en les dissimulant certaines composantes.
L’élément mystique est amené par Freud avec un parallèle qu’il établit par rapport à la relation de «fusion» de l’enfant dans l’affectivité première et global avec le monde et autrui. Et ajoute-t-il que le croyant «est rattaché par certains liens de tendresse à l’essence de sa religion»[7] et que celui-ci ne se laissera troubler dans sa foi aucunement par ses arguments et par aucune autre façon. Comment cette affectivité première apporterait-elle le bonheur dans l’amour? Freud, évidemment, est contre cette perspective de l’amour et de l’attachement et que l’amour vue comme tel «finit par se transformer en un ‘commandement aime ton prochain comme toi-même’ qui devient ‘à la fois la mesure de défense la plus forte contre l’agressivité’».[8]
La nature réelle du désir se trouve compromise par un repli sur lui-même et est masquée par des discours éthiques ou spirituels. En effet, le commandement devient un commandement de «l’idéal de moi» qui mobilise une affectivité liée par un «surmoi collectif» et finit par combler le manque primitif. Cela ferme ainsi la voie au désir de «désirer» naturellement. En étant piloté par un «idéal du moi» élevé, le croyant croit être plus apte à rencontrer le «Dieu seul est bon», mais à cet égard, il « ne rencontre pas Dieu, mais seulement lui-même»[9].
L’identification doit compléter l’amour
Comme dans l’exemple de Barbara, il est possible de faire un lien avec des attaches affectives de la religion enfermée dans les mouvements qui favorisent ou entravent la maturité de l’amour entre deux personnes qui se parlent, sauf qu’avec l’expérience chrétienne, la ressemblance va au-delà d’une interaction entre deux personnes, puisqu’elle est présente par rapport à la foule des fidèles, dans l’attitude d’un frère ainé. Freud ajoute que «le lien qui rattache chaque individu au Christ est la cause du lien qui rattache chaque individu à tous les autres (…) et que ce lien est présent dans un esprit de corps rattaché à la personne du chef»[10], à la ressemblance près que le Christ connait davantage les besoins de ses fidèles que ne saurait le faire un chef humain militaire. Selon lui, la différence majeure entre l’armée et la communauté croyante est que le soldat aime son chef, mais ne s’y identifie pas, alors que le croyant aime le Christ tout en s’y identifiant. Autrement dit, «c’est à partir d’un amour reçu (principe de plaisir) du Christ que se constitue toute communauté chrétienne (entre fidèles) mais c’est à partir d’une identification au Christ aimant tous les hommes (principe de réalité) qu’une communauté lui reste fidèle»[11].
Freud prouve qu’il n’a rien compris du message de Jésus Christ. Il présente la structure dynamique du message comme une exigence de l’Église, un devoir et une loi d’une façon telle que «l’amour de tous les hommes» aurait comme visée l’obtention d’une morale plus élevée sans faire mention du pardon des péchés et de l’amour des ennemis. En d’autres mots, «Freud présente ici une interprétation moralisante et intellectuelle d’un message»[12] sans faire mention que la dynamique de l’amour et de l’identification est une condition à ce que l’expérience religieuse soit crédible.
Freud fait le reproche que les religions ne sont pas capables de contribuer à la maturité de l’homme en le dirigeant vers la dominance du «principe de réalité». Le sujet de l’immortalité par exemple est abordé par celui-ci sous la perspective d’une récompense morale. La raison pour laquelle la religion a de la misère à s’ouvrir au principe de réalité se cache dans le fait qu’elle procède constamment par idéalisation de l’objet, alors que c’est moins le cas pour la science par exemple. De ce fait, à l’intérieur d’un Moi-idéal sont coincés le narcissisme primitif et indifférencié rendant du même coup irréalisable l’équilibre entre les pulsions d’aimance et d’agressivité.
Freud dit que l’idéal du moi requiert une sublimation par soi-même. En fait, la formation de l’idéal du moi serait souvent confondue avec la sublimation, qui consiste dans le fait que l’instinct se dirige dans une direction autre et différente de la gratification sexuelle, alors que l’idéalisation du moi serait, quant à elle, un processus qui concerne l’objet. Une personne qui change son narcissisme en un culte pour un idéal du moi très élevé n’aurait donc pas nécessairement réussi à sublimer ses pulsions. Dans ce regard, «les pratiques, les croyances et les sentiments religieux n’obtiennent pas ce que les religions semblent promettre : une sublimation transformante de l’affectivité dans son ouverture à la réalité».[13]
Résumé : L’apport de Freud
Étant un athée, Freud a rendu un grand service aux croyants en situant la question religieuse là où elle se pose psychologiquement à l’époque où on essayait de comprendre le psychisme de l’inconscient de l’homme dans ses désirs, ambitions et aspirations. La psychologie des comportements religieux se comprend bien comme projection ou idéalisation de «personnages dont la densité historique s’efface dans leur glorification»[14] constante.
Pour les croyants, la prière est le produit d’un désir, d’un exaucement répété d’un désir. Ce sont les exaucements répétitifs d’une personne qui lui permettrait de gagner à la loterie et donc de refaire sa vie, qui autrement serait une dure réalité. Et en revanche, ce serait les inexaucements qui ramèneraient cette personne à la dure réalité de sa vie. Il n’est donc pas impossible que le «désir religieux»(prière religieuse) soit une réponse convaincante au désir de l’homme. «Du point de vue des hommes livrés à leurs désirs de rêve, où passera l’agressivité constructive révélant la résistance relationnelle?»[15] Et Barbara? Qu’adviendra-t-elle? Selon Freud, elle sera refoulée. C’est une réflexion qui met en valeur la problématique du désir et de la rencontre des désirs dans l’optique de la critique freudienne des illusions. «L’esprit humain ne supporte pas une forte dose de réalité».[16] En fait, sous l’angle de ce dont on a vue dans ce chapitre nous pouvons dire que «la religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur… La religion dans sa misère est à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre cette misère»[17].
Critique
Je ne crois pas que Dieu soit une illusion est encore moins qu’Il soit une image de notre inconscient. Comme le dit Jung, l’inconscient non seulement parle à travers les complexes et les rêves, mais il est complémentaire à la conscience et sert de réserve à des expériences individuelles et collectives.
La psyché se constelle en sous-personnalité assise sur une «base de données» que nous avons en nous en forme de représentations archétypales. Cette constellation se fait graduellement bien sûr. Jusque-là, tout va bien. Je pense que la croyance à Dieu, tout le monde l’a en soi depuis la tendre enfance et la renonciation à cette réalité (pour moi bien sûr) est le fruit d’une polémique engendré par la volonté de renier l’expérience religieuse.
La psychanalyse considère l'éducation comme une répression pulsionnelle. L'enfant doit acquérir le principe de réalité et devenir capable d'ajourner la satisfaction de désirs, et de ce fait de renoncer à certains de ses désirs. L'enfant le fait par amour, avant tout pour ses parents, et la pédagogie doit respecter ce principe. S’il fallait parler d’un développement personnel, eh bien, il n'y a pas de maîtrise, de contrôle dans le développement. Il y a au mieux un dialogue intérieur, qui n'est certes pas sans "influences" sur notre développement. Cette position est due au fait que nous ne pouvons pas nous limiter qu'à une obéissance illusoire de notre plan intellectuel, sous peine de nous écarter de nous même en développant un faux MOI et d'entrer dans la pathologie. Dans la pensée jungienne, ce développement personnel est nommé l'individuation. L’individuation n’est que la libération du SOI des fausses enveloppes de la «persona», c'est-à-dire des masques que le MOI peut porter, des images inconscientes illusoires. Donc, plus le temps progresse, plus le MOI fait l’expérience de son reflet de moins en moins floue.
C’est l’identité de l’individu qui se construit : le sentiment d’identité relève du MOI et de sa fonction de synthèse grâce au processus d’équilibre. Prenons maintenant la philosophie d’Erikso. A chaque stade du développement psychosocial survient une crise qui doit se résoudre par l'atteinte d'un équilibre entre des forces qui s'opposent, sans quoi, le développement du MOI risque d'être compromis. Des crises, dans le sens de «turning point» se produisent au cours des premières années de l’enfance où il se fait une recherche d’équilibre entre excès et déficit. Par exemple, lors de la première étape du développement, le nourrisson doit établir une relation de confiance avec son environnement, mais cela ne veut pas dire qu'il doit rejeter comme mauvais tout sentiment de méfiance. Un enfant incapable de méfiance se couperait avec le premier couteau mis à sa portée. Dans cette optique, on peut dire que le péché et la faiblesse de l’homme consistent essentiellement dans l’abus, ou au contraire, dans l’usage insuffisant de l’un de ses «dons». Pour être plus précis, dans le domaine de la sexualité par exemple, il y a péché si l'on transforme en obsession sexuelle le don que sont les relations intimes, ou si, au contraire, on les refuse absolument, puisque la reproduction est une affaire animale et humaine. Elle est donc «conforme» à la norme que si elle est réalisée de façon équilibrée.
La raison principale qui pousse Freud à refuser la foi religieuse est que le dogme instaure chez les croyants l'interdit du doute et, plus largement, fait reposer l'expérience religieuse sur un interdit de penser tout ce qui pourrait remettre en cause la conviction partagée par le groupe. Ainsi la foi devient-elle un empêchement à la pensée libre, personnelle et critique, et maintient les individus dans les illusions infantiles qui satisfont leurs besoins névrotiques.
Autre argument qui me semble contestable, Freud voit dans la religion une illusion parce que ce qu'elle promet, c'est ce que nous désirons... Mais heureusement pour nous, il y a beaucoup de choses que nous désirons qui ne sont pas des illusions ! L'enfant désire que sa mère le nourrisse et c'est la plupart du temps ce qui lui arrive. Nous désirons l'amour et nous le rencontrons un jour. Contrairement à Freud, je pense que l'inaptitude à croire au bonheur peut aussi se soigner. Alors que pour lui, elle est l'effet de la raison. Sachant que Freud, en allemand, signifie "joie", on se dit parfois qu'il manquait un "e" à son nom !
De plus, le doute doit être utilisé intelligemment pour avantager le raisonnement. La religion est pour Freud une illusion. Cela ne veut pas d'abord dire qu'elle est fausse : mais elle obéit à une logique de désir et non à une logique de vérité. La petite secrétaire qui rêve d'épouser le grand patron est prise dans une illusion, même s'il peut arriver exceptionnellement qu'un patron épouse une petite employée. Là où on ne s’entend pas avec Freud, c’est que le désir religieux n'est pas tant qu'il ne se réalise pas, mais qu'il met de côté les critères de vérité au profit d'une croyance qui satisfait le désir. Freud prétend, comme tout autre philosophe ou psychologue en général, qu’il faut douter pour faire avancer la raison. Je suis d’accord, mais dans sa perspective, je crois comprendre qu’il semble croire qu'il n'y a que la raison qui est importante chez l'être humain. L'être humain naît avec plusieurs facultés qui lui seront essentielles dans la vie courante telles la dimension rationnelle (la raison, le doute, le jugement) et la dimension sensible (les sentiments, les pulsions). À mon avis si ces deux facultés sont présentes, c'est qu'elles doivent nous guider et nous motiver dans nos agissements. Il est vrai que la majorité des individus fonctionnent, la plupart du temps, avec leurs facultés émotionnelles, mais il est très probable qu’ils n’aient pas appris à utiliser leur raison correctement. Pourtant, les philosophes, notamment Freud, sont portés à "rabaisser" le côté sensible de l’humain alors qu'il est évident que les sentiments font vivre notre espèce. Il doit y avoir un équilibre entre les dimensions, comme c’était le cas dans la recherche de l’équilibre avec l’individuation. Comme les êtres humains ne sont pas des cerveaux ambulants, je crois que l'on doit prôner la raison à sa juste valeur, sans écraser la dimension émotionnelle.
Freud dit que la personne croyante «est rattachée par certains liens de tendresse à l’essence de sa religion»[18] et que celui-ci ne se laissera troubler dans sa foi aucunement par des arguments dits rationnels en rejetant toutes tentatives de discussion. Eh bien, je crois qu’il n’y a rien compris. Le croyant est prêt à discuter de façon rationnelle de ses convictions religieuses, mais, lui, serait-il prêt à comprendre? Prenons un exemple qui relate d’une question existentielle. Prenons Adam qui vit dans le pôle Sud et qui n’a jamais vu une orange de sa vie. Étant un ami d’enfance, je décide de lui offrir une caisse d’orange en guise de cadeau. Celui-ci, émerveillé par la boule orangée, se demande à priori à quoi elle sert. Je lui montre que c’est un aliment qui s’épluche. Me voyant éplucher l’orange – et lisons ses pensées- il s’émerveille devant la magnificence de l’enveloppe que constitue la «croute» de l’aliment. Ensuite, je sépare en tranche les portions qui se sont si bien compactées qu’Adam ne peut cacher son admiration devant la perfection de l’empaquetage. Jusque-là, Adam ne sait pas que la chose que je tiens dans les mains est un fruit. Je lui offre un morceau après l’avoir brisé en deux afin de lui faire réaliser à quel point l’emballage est fait de manière à compacter les tout petits filaments dans un tissu transparent. Après l’avoir gouté, Adam lance un soupir en guise de ravissement et se précipite à poser la question ultime : «où fabrique-t-on cette chose magnifique?, en poursuivant, «je veux en commander en quantité pour ma famille!». Étonné, je lui fais savoir que c’est un aliment qui pousse aux extrémités des branches d’un arbre et qu’il n’y a pas de fabrique en tant que telle. Stupéfait, il me répond en me disant qu’un arbre ne dégageant aucune intelligence, ni perception, ni aucun sens de conception, d’appréhension et d’entendement ne serait en mesure de concevoir une merveille de la sorte. Il me demande de réfléchir à nouveau sur l’origine de cet aliment, à savoir s’il n’est pas réellement fait par quelqu’un qui aurait ces capacités d’entendement et de conception. En effet, comment un «morceau de bois» sec potentiellement incapable de se projeter dans le futur, pourrait-il concevoir une chose pareille? Comment pourrait-il fabriquer une chose qui a tant d’astuce du point de vue esthétique et nutritionnel, juteux, rempli de vitamine C, bon pour la santé humaine? Non, ce doit être un Être supérieur qui connait l’humain et ce dont il a besoin en guise de cadeau. Cette offre ne se fait cependant pas directement, c'est-à-dire de façon à descendre un plat du ciel de façon tangible, mais plutôt de façon indirecte pour justement forcer l’humain à utiliser son potentiel de réflexion. Il se sert de l’arbre comme rideau ou intermédiaire pour amener ses offrandes à l’homme par sa bonté.
Je pose la question à Freud, ceci n’est-il pas un exemple d’ouverture à la réflexion et à la discussion rationnelle? Donc, comme le fait réaliser Adam, on doute de l’origine réelle de du fruit, pour en venir à une conclusion rationnelle. Donc, le croyant ne se résorbe pas à l’idée de réfléchir, au contraire, il doit réfléchir pour saisir et réaliser la grandeur de son créateur en faisant sensiblement la même démarche avec le miel qui nous est offert via l’abeille, l’œuf qui nous est offert par la poule, le lait qui nous est offert par la vache, etc.
Venons-en au fait tangible, aujourd’hui, près d'un siècle après son souhait de voir la religion décroître, où en est-on ? La quête spirituelle n'a pas disparu en Occident, mais elle se reconnaît de moins en moins dans les institutions traditionnelles. En cela, une partie du monde a effectivement suivi le chemin préconisé par Freud. Doit-on s'en réjouir ?
Il fallait en tout cas que l’hypocrisie et le non-respect de la liberté de conscience des interdits sexuels que véhiculait le code d’éthique des traditions religieuses. Le fils de Freud, lorsqu'il était enfant, ne savait pas que les femmes avaient des jambes sous leurs longues robes... Il fallait vraiment en sortir. Nous l'avons fait, c'est bien. Mais ce recul du religieux, que Freud espérait tant, nous a aussi amené un certain retour de barbarie qui fait apparaître de nouvelles questions.
Personnellement je trouve mon équilibre dans ma religion : avec les sciences empiriques, je réponds aux questions du «comment?» et avec les sciences religieuses (ou la religion tout court), je réponds aux questions du «pourquoi?». Les spécialistes de la religion auraient avantage à mieux connaître les perspectives psychologiques qui influencent déjà largement l’étude de la religion et à mieux comprendre les diverses théories qui permettent d’aborder le phénomène religieux de façon empirique. Pour leur part, les psychologues doivent pouvoir confronter le problème du contenu de la religion et mieux s’informer des structures du phénomène religieux mises en évidence par la psychologie de la religion. Particulièrement dans une culture où la pluralité religieuse s’impose de plus en plus, la formation des psychologues cliniciens profiterait l’étude des perspectives, des valeurs et des motivations éthiques et religieuses. En regard du côtoiement de plus en plus serré des religions dans ce village mondial où nous vivons aujourd’hui, la poursuite d’un tel projet de psychologie intégrale pourrait fournir un certain nombre de références communes et aider à rapprocher les esprits et les cœurs.
[1] Godin, A. Psychologie des expériences religieuses. Le désir et la réalité coll. Champs nouveaux, Paris, Centurion, 1986. P. 180
[2] Ibid., p.182
[3] Ibid., p.183
[4] Ibid., p.186
[5] Ibid., p.188
[6] Ibid., p.190
[7] Ibid., p.192
[8] Ibid., p.193
[9] Ibid., p.194
[10] Ibid., p.195
[11] Ibid., p.196
[12] Ibid., p.197
[13] Ibid., p.199
[14] Ibid., p.200
[15] Ibid., p.203
[16] Ibid., p.203
[17] Ibid., p.204
[18] Ibid., p.192
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