Pourquoi, selon vous, certains écrivains préfèrent-ils recourir à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons ?
Publié le 11/09/2006
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Depuis des siècles, les écrivains cherchent à instruire leurs lecteurs par le biais de leurs œuvres. Cette volonté didactique s'affirme particulièrement au siècle des Lumières, époque à laquelle la diffusion du savoir apparaît comme primordiale, la publication de L'Encyclopédie en étant peut-être l'exemple le plus représentatif. Pour transmettre leurs idées, certains écrivains préfèrent utiliser des personnages et des situations imaginaires, ayant ainsi recours à la fiction. Cela nous amène à nous intéresser aux raisons de ce choix : en quoi la fiction est elle un outil efficace pour argumenter et un bon moyen de délivrer un enseignement? Nous verrons dans une première partie comment la fiction permet de toucher un public large, en suscitant son plaisir et en lui présentant des idées sous forme concrète. Puis dans une deuxième partie nous nous intéresserons à l'argumentation implicite utilisée par l'auteur, qui lui procure un masque tout en lui permettant d'impliquer son lecteur. La fiction permet de vulgariser une doctrine pour entraîner l'adhésion d'un grand nombre de personnes. En effet, elle suscite le plaisir du lecteur en le captivant par l'intrigue, en le dépaysant et en provoquant son amusement. Tout d'abord, le lecteur est plongé dans l'intrigue et désire connaître le dénouement : il ira donc jusqu'au bout du texte. On peut citer Candide de Voltaire : le héros va-t-il parvenir à retrouver Cunégonde et à l'épouser ? C'est une assurance pour l'auteur que son message sera transmis intégralement, contrairement à d'autres formes d'expression plus rébarbatives et austères qui pourraient décourager le lecteur. De plus, la structure même des récits est souvent simple, ce qui retient plus facilement l'attention et rend la lecture plus aisée. Par exemple dans Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, la venue d'Aotourou est relatée en quatre phases claires et concises, qui permettent à l'écrivain de dresser un portrait de l'homme naturel tout en le valorisant. De plus, la fiction permet au lecteur de s'évader lorsqu' elle se déroule dans un pays étranger et exotique. Ainsi, les voyages du héros dans Candide de Voltaire font découvrir de nouveaux horizons et ouvrent de nouvelles perspectives. La découverte du pays utopique de l'Eldorado, où tous les hommes sont heureux, enchante et émerveille le lecteur, tout en permettant à Voltaire de l'instruire en rappelant qu'un tel monde n'existe pas, et que le bonheur est le fruit du travail et non du rêve. Enfin, l'écrivain provoque l'amusement du lecteur en usant d'humour et d'ironie. Dans Candide de Voltaire, le patronyme ridicule du baron de Thunder-ten-tronckh fait rire le lecteur, et permet également à Voltaire de faire une virulente satire de la noblesse. De plus, les allusions et sous entendus permanents établissent une sorte de complicité entre l'auteur et son lecteur. L'écrivain peut également se moquer de ses adversaires, comme dans L'Histoire des oracles de Fontenelle, où l'auteur démontre sa thèse par l'absurde, mettant en scène des savants aux noms ridicules et marquant le lecteur par une chute ironique. En plus d'être agréable tout en dégageant une vérité sérieuse, la fiction permet une meilleure compréhension des idées de l'auteur. En effet, celles-ci sont présentées de manière imagée, ancrées dans le réel, et les notions abstraites prennent une dimension concrète. Tout d'abord, à travers un récit imaginaire le lecteur assiste à une description vivante et saisissante d'une situation illustrant le message que l'auteur désire transmettre. Dans Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, Tahiti est décrit en quatre tableaux, avant et après le passage des occidentaux. Diderot critique ainsi la civilisation occidentale, tout en donnant une impression de réel qui a toute les chances de convaincre le lecteur. En outre, bien qu'imaginaire, une fiction peut être ancrée dans le réel et donc plus accessible au lecteur. L'anecdote relatée dans L'Histoire des oracles de Fontenelle cherche à donner l'apparence d'un fait avéré en précisant date et situation géographique. Ainsi, bien que l'histoire soit fictive, les vérités sont plus faciles à accepter pour le lecteur car il a l'impression d'assister à une situation réelle plus perceptible pour lui. Enfin, expliciter des arguments abstraits par des exemples concrets leur donne une valeur de preuve aux yeux du lecteur. Par exemple dans Candide de Voltaire, la scène décrivant le nègre mutilé de Surinam fait apparaître au lecteur de manière brutale la réalité de l'esclavage. A travers le regard naïf et étonné de Candide, c'est le lecteur lui-même qui découvre l'horreur de l'esclavage, qu'il ne peut plus nier. De plus, le registre pathétique utilisé fait appel à la pitié et la compassion du lecteur et suscite son émotion. Voltaire a ainsi réussi à dénoncer l'esclavage à travers une situation concrète et choquante pour le lecteur. L'utilisation de la fiction est donc une stratégie efficace pour transmettre des leçons, car elle permet de divertir le lecteur tout en facilitant sa compréhension des idées de l'auteur. De plus, l'utilisation de la fiction permet à l'auteur d'enseigner de manière détournée. En effet, elle lui procure un masque, lui permettant ainsi d'éviter la censure, de construire sa thèse au fil du récit et de s'exprimer à travers ses personnages Tout d'abord, à l'époque des Lumières, l'expression n'étant pas libre et il est difficile de critiquer le pouvoir et les institutions sans s'exposer à des risques importants. La fiction permet de contourner plus facilement la censure, car au premier abord le texte paraît inoffensif, et ne devient subversif qu'après interprétation. Par exemple dans les Lettres Persanes de Montesquieu, l'écrivain peut parler librement des problèmes français liés à l'Edit de Nantes, en faisant allusion à des évènements qui ont eu lieu en Perse. Il évite ainsi la censure par la monarchie tout en exprimant son désaccord avec les mesures prises contre les protestants. Ensuite, l'utilisation du récit permet à l'auteur d'exprimer sa thèse progressivement à travers les péripéties des héros, et de faire ainsi passer son message sans violence et sans en avoir l'air. Ainsi, Candide de Voltaire est un conte philosophique riche d'un enseignement qui s'exprime à travers les voyages du héros. Le lecteur est spectateur de l'évolution du personnage de Candide, qui découvre la brutalité du monde au fil du récit : au chapitre dix-neuvième, « La méchanceté des hommes se présentait à son esprit dans toute sa laideur«. De cette manière Voltaire cherche à combattre les abus, les préjugés, l'intolérance et l'oppression à travers les aventures de son héros. Enfin, l'écrivain fait entendre sa voix à travers des personnages fortement symboliques et représentant des valeurs morales. Dans Candide de Voltaire, ce sont des personnages simples et proches du peuple, auxquels chacun peut facilement s'identifier. Par exemple, Cacambo et la vieille sont terre-à-terre et de bon conseil, tandis que Pangloss, philosophe prônant un optimisme total, est critiqué par Voltaire qui le rend de plus en plus ridicule et pathétique. Quant au héros éponyme, il représente la naïveté et la crédulité, mais évolue au cours du récit au terme duquel il parvient enfin à se remettre en question. De plus, à travers les pensées de ses personnages, l'auteur peut influencer ses lecteurs presque insidieusement, comme dans L'Ingénu de Voltaire où le jugement de valeur négatif porté par l'Ingénu sur Gordon amène à dévaloriser encore plus la thèse de ce dernier. En plus de procurer un masque à l'auteur, l'argumentation implicite oblige le lecteur à s'impliquer pour dégager la thèse de l'auteur. Il peut s'identifier aux personnages, prendre de la distance par rapport à sa propre culture, et il est surtout incité à réfléchir. Premièrement, le lecteur occidental peut reconnaître certains aspects de sa personnalité dans des personnages étrangers. Dans Dialogue de M. Le baron de Lahontan et d'un sauvage dans l'Amérique de Lahontan, l'indien, proche de la nature, incarne le bon sens naturel, la sagesse, le philosophe, ce qui permet à l'auteur de critiquer les conceptions obscures et métaphysiques de l'homme religieux. Qui plus est, le lecteur s'identifie aux valeurs représentées par Adario et est amené à réfléchir à sa propre condition. Deuxièmement, le détour par un personnage de fiction oblige le lecteur à observer objectivement sa propre civilisation et à prendre une distance critique par rapport à ses préjugés et à sa culture. De ce fait il prend conscience des défauts de sa civilisation et s'ouvre au message de l'auteur. Ainsi dans L'Ingénu de Voltaire, le lecteur parvient à percevoir l'absurdité du discours métaphysique et religieux en adoptant le point de vue de l'Ingénu, qui est un indien ignorant des mœurs chrétiennes, et dont la raison n'est pas faussée par la religion. Finalement, cette argumentation implicite stimule également la réflexion du lecteur. En effet, celui-ci doit s'impliquer activement dans sa lecture pour dégager le message de l'auteur. Il participe ainsi à la construction du sens du texte, puisqu'il doit en tirer lui-même la conclusion et la morale.Dans Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, le lecteur doit s'interroger sur le mythe d'Otaïti et ne pas être trop crédule : Diderot, en argumentant par la fable et la fiction, oblige son lecteur à garder un esprit critique et à dégager la vérité de son récit. C'est là que se situe le risque du recours à la fiction : le lecteur peut interpréter le message de manière erronée L'utilisation de la fiction permet donc à l'auteur d'enseigner de manière détournée, en s'abritant derrière son texte et en invitant le lecteur à s'impliquer activement dans sa lecture. En conclusion, nous pouvons dire que la fiction est un moyen efficace pour transmettre un enseignement, car elle élargit la portée didactique de l'œuvre en suscitant le plaisir du lecteur et en faisant comprendre des idées de manière concrètes. En même temps, elle procure un masque à l'auteur et invite le lecteur à la réflexion. Certains écrivains préfèrent donc recourir à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons, car elle permet d'enseigner au plus grand nombre possible tout en stimulant l'esprit critique des lecteurs.
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permettant ainsi d'éviter la censure, de construire sa thèse au fil du récit et de s'exprimer à travers ses personnagesTout d'abord, à l'époque des Lumières, l'expression n'étant pas libre et il est difficile de critiquer le pouvoir et les institutions sanss'exposer à des risques importants.
La fiction permet de contourner plus facilement la censure, car au premier abord le texteparaît inoffensif, et ne devient subversif qu'après interprétation.
Par exemple dans les Lettres Persanes de Montesquieu, l'écrivainpeut parler librement des problèmes français liés à l'Edit de Nantes, en faisant allusion à des évènements qui ont eu lieu en Perse.Il évite ainsi la censure par la monarchie tout en exprimant son désaccord avec les mesures prises contre les protestants.Ensuite, l'utilisation du récit permet à l'auteur d'exprimer sa thèse progressivement à travers les péripéties des héros, et de faireainsi passer son message sans violence et sans en avoir l'air.
Ainsi, Candide de Voltaire est un conte philosophique riche d'unenseignement qui s'exprime à travers les voyages du héros.
Le lecteur est spectateur de l'évolution du personnage de Candide,qui découvre la brutalité du monde au fil du récit : au chapitre dix-neuvième, « La méchanceté des hommes se présentait à sonesprit dans toute sa laideur».
De cette manière Voltaire cherche à combattre les abus, les préjugés, l'intolérance et l'oppression àtravers les aventures de son héros.Enfin, l'écrivain fait entendre sa voix à travers des personnages fortement symboliques et représentant des valeurs morales.
DansCandide de Voltaire, ce sont des personnages simples et proches du peuple, auxquels chacun peut facilement s'identifier.
Parexemple, Cacambo et la vieille sont terre-à-terre et de bon conseil, tandis que Pangloss, philosophe prônant un optimisme total,est critiqué par Voltaire qui le rend de plus en plus ridicule et pathétique.
Quant au héros éponyme, il représente la naïveté et lacrédulité, mais évolue au cours du récit au terme duquel il parvient enfin à se remettre en question.
De plus, à travers les penséesde ses personnages, l'auteur peut influencer ses lecteurs presque insidieusement, comme dans L'Ingénu de Voltaire où le jugementde valeur négatif porté par l'Ingénu sur Gordon amène à dévaloriser encore plus la thèse de ce dernier.
En plus de procurer un masque à l'auteur, l'argumentation implicite oblige le lecteur à s'impliquer pour dégager la thèse de l'auteur.Il peut s'identifier aux personnages, prendre de la distance par rapport à sa propre culture, et il est surtout incité à réfléchir.Premièrement, le lecteur occidental peut reconnaître certains aspects de sa personnalité dans des personnages étrangers.
DansDialogue de M.
Le baron de Lahontan et d'un sauvage dans l'Amérique de Lahontan, l'indien, proche de la nature, incarne le bonsens naturel, la sagesse, le philosophe, ce qui permet à l'auteur de critiquer les conceptions obscures et métaphysiques del'homme religieux.
Qui plus est, le lecteur s'identifie aux valeurs représentées par Adario et est amené à réfléchir à sa proprecondition.Deuxièmement, le détour par un personnage de fiction oblige le lecteur à observer objectivement sa propre civilisation et àprendre une distance critique par rapport à ses préjugés et à sa culture.
De ce fait il prend conscience des défauts de sacivilisation et s'ouvre au message de l'auteur.
Ainsi dans L'Ingénu de Voltaire, le lecteur parvient à percevoir l'absurdité dudiscours métaphysique et religieux en adoptant le point de vue de l'Ingénu, qui est un indien ignorant des mœurs chrétiennes, etdont la raison n'est pas faussée par la religion.Finalement, cette argumentation implicite stimule également la réflexion du lecteur.
En effet, celui-ci doit s'impliquer activementdans sa lecture pour dégager le message de l'auteur.
Il participe ainsi à la construction du sens du texte, puisqu'il doit en tirer lui-même la conclusion et la morale.Dans Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, le lecteur doit s'interroger sur lemythe d'Otaïti et ne pas être trop crédule : Diderot, en argumentant par la fable et la fiction, oblige son lecteur à garder un espritcritique et à dégager la vérité de son récit.
C'est là que se situe le risque du recours à la fiction : le lecteur peut interpréter lemessage de manière erronée L'utilisation de la fiction permet donc à l'auteur d'enseigner de manière détournée, en s'abritant derrière son texte et en invitant lelecteur à s'impliquer activement dans sa lecture.
En conclusion, nous pouvons dire que la fiction est un moyen efficace pour transmettre un enseignement, car elle élargit la portéedidactique de l'œuvre en suscitant le plaisir du lecteur et en faisant comprendre des idées de manière concrètes.
En même temps,elle procure un masque à l'auteur et invite le lecteur à la réflexion.Certains écrivains préfèrent donc recourir à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons, car elle permet d'enseigner auplus grand nombre possible tout en stimulant l'esprit critique des lecteurs..
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