Poètes humanistes
Publié le 06/10/2013
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Poète humaniste de la première partie du XVIème siècle, Joachim Du Bellay a beaucoup travaillé pour la réhabilitation et l'enrichissement de la langue français dont l'ouvrage théorique Défense et illustration de la langue française est le fruit. Il faisait partie de la Pléiade, un groupe de sept poètes français de la Renaissance formé autour de son ami Pierre Ronsard. Les Regrets est un recueil de poèmes de 191 sonnets en alexandrins paru en 1558, à la suite d'un voyage à Rome de 1553 à 1557, qui l'a rempli d'amertume et où il dépeint un véritable drame personnel. En effet,il est d'abord exalté à l'idée de son départ : il accompagne son oncle envoyé en ambassade à Rome auprès du pape et se trouve ravi de visiter le centre culturel vers lequel portent tous les regards à cette époque. Rome incarne alors un rêve pour tout humaniste, car elle est le berceau de l'Antiquité puis de la Renaissance en Italie. Mais il est rapidement déçu par l'atmosphère sulfureuse qui règne dans la cité pontificale qui n'est que nid d'intrigues, de jalousies, de complots et par les activités futiles que lui réserve son oncle qui le traite tel un valet. Il regagnera donc la France avec dans ses bagages les textes de cette expérience plutôt amère qui explique le titre du recueil dont le registre principal est le lyrisme et la tonalité élégiaque. C'est donc un enthousiasme qui se transforme en désenchantement, allant jusqu'à provoquer chez le poète un sentiment de profond doute quant à son inspiration, c'est ce que Du Bellay transcrit dans cet extrait. Par quels procédés le poète nous fait-il sentir le désarroi dont il souffre suite à la disparition de son inspiration? Nous étudierons tout d'abord comment la structure du sonnet est mise au service de l'expression de ses sentiments. Dans un second temps nous nous intéresserons de plus près a l'évocation du passé et pour finir à celle du présent. Lorsqu'on se penche sur la structure de ce sonnet, on s'aperçoit qu'elle est marquée par la répartition des types de phrase, en effet la première et la seconde strophe sont composées de deux quatrains et reflètent le pouvoir qu'était celui de l'auteur lorsqu'il était inspiré alors qu'il s'interroge sur le devenir de l'inspiration perdue. C'est pourquoi il utilise de nombreuses phrases interrogatives dont deux vers commencent par «Où «. Les deux strophes qui suivent sont composées de deux tercets qui font référence au doute et au manque de confiance liés à la perte de son inspiration, le poète emploie ici la forme affirmative car il est persuadé d'avoir littéralement perdu sa plume. Du Bellay utilise donc ici un système de questions-réponse où phrase interrogative trouve son antithèse dans une phrase déclarative. En effet à la lecture de ce poème, des répétitions nous interpellent mais elles sont voulue et adroitement utilisées, tout d'abord au vers 1 et 9 on retrouve le mot «maintenant« utilisé avec le présent d'énonciation et qui implique donc un changement. De même l'auteur aborde l'attitude face à la « Fortune « qui est une allégorie car cette divinité préside la destinée humaine, et dont la présence à deux reprises mais placé différemment dans la phrase implique une variation du sens exprimé. Puis c'est le courage qui fait l'objet d'une redondance lorsque au vers 2 et 10 revient « coeur « tout d'abord désigné avec une certaine distance car précédé de l'article « ce « puis avec un côté lyrique et plus affectif lorsque il est précédé de « mon «. Par la suite, Du Bellay utilise a deux reprise une forme semblable : « je n'ai plus « au vers 12 et « je ne l'ai plus « dans le vers qui suit, afin d'insister sur le constat de disparition, ainsi qu'un vocabulaire péjoratif connotant la perte (« serf «, « s'enfuient «). De plus, il utilise aussi des synonymes tels que « immortalité « et « postérité « au vers 3 et 12 lorsque il aborde l'intérêt qu'on lui portera à titre posthume; et l'énergie créatrice : « flamme « et « ardeur « (à l'origine ardere voulait dire brûler en latin) dans les vers 4 et 13. Enfin c'est au tour de l'inspiration poétique perdue incarnée par les « Muses « d'être reprise par deux fois (vers 6 et 14). L'absence et la distance sont aussi rendues par l'emploi particulier des déterminants car tous les groupes nominaux des cinq premières phrases débutent par des démonstratifs (ce, cet, cette, ces).Ceux-ci, en début de poème, servent à présenter les sentiments dont veut parler le locuteur : « mépris de Fortune «, « coeur «, « désir d'immortalité «, « flamme «, « plaisirs «. Mais ils les désignent comme extérieurs au poète, à jamais perdus. Par opposition aux déterminants possessifs, les démonstratifs suggèrent que ces sentiments appartiennent à un passé révolu. Le dernier groupe nominal, « ces doux plaisirs «, est d'ailleurs complété par une subordonnée relative à l'imparfait (« que les Muses me donnaient «).Le changement dont se plaint le poète apparaît en outre dans le choix des verbes. Les sept premières phrases sont construites avec le verbe être, les deux négatives suivantes, avec avoir, la dernière, avec un verbe de mouvement (« s'enfuient «). Ce qui « était « (et qui faisait vivre le poète, le faisait exister) n'est plus. Le verbe enfuir prend alors toute sa portée ; dernier mot du poème, il confirme la dépossession. La construction de cette dernière phrase est révélatrice : « les Muses de moi, comme étranges, s'enfuient «. On remarque aussi que tous les verbes sont au présent qui est le temps de l'énonciation , on l'utilise au moment de l'écriture, mais l'imparfait utilisé dans la seconde strophe vient marquer la rupture passé- présent. La structure du poème et les procédés stylistiques utilisés par Du Bellay font ressortir le caractère élégiaque du lyrisme qu'il nous fait partager mais la manière dont il évoque le passé accentue certainement un peu plus ce sentiment. Les deux quatrains sont le fruit des interrogations posées par le poète envers sa personne et son inspiration. Le premier vers débute par l'interjection « Las «, plainte qui implique obligatoirement une réponse négative et qui porte un forte connotation élégiaque. L'article démonstratif « ce « utilisé à quatre reprises, possède une valeur laudative importante. Du Bellay fait ici l'éloge du passé, lorsqu'il était indifférent au sort (vers 1) car il était alors capable de le retourner en sa faveur, d'où la naissance d'un sentiment de puissance traduit par cette rime intérieure : coeur et vainqueur (vers 2). La poésie lui faisait accéder à tous les honneurs, et l'inspiration lui conférait un sentiment précieux et délicieux de supériorité qui le faisait se sentir l'égal des dieux.. Cette forte assurance passée se traduit dans le texte par des vers au rythmes coupés au niveau de l'hémistiche ( 6 pieds - 6 pieds ) venant du même coup souligner l'impression d'une force d'équilibre. Le second quatrain est écrit à l'imparfait et possède donc une valeur descriptive ; il nous fait ressentir la durée de l'action et caractérise l'habitude. Il contient aussi une représentation métaphorique et imagée du poète en train de créer, laissant libre cours à l'imagination du lecteur qui peut y voir un tableau dans lequel les Muses danseraient gracieusement sous les ordres de Du Bellay, le maître de cérémonie. Ces Muses offraient au poète l'inspiration indispensable à la réalisation de ses chefs d'oeuvres, elles lui offraient une liberté infinie et dans le même temps une maîtrise totale de son art, pour produire au final quelque chose de secret, intime et équilibré , rempli de grâce et de sensualité (vers 5 à 8). De plus la seconde strophe est basée sur une succession d'enjambements sur les quatre vers, en effet la poursuite d'un vers dans le vers suivant permet une lecture plus douce, plus fluide et moins solennelle. Ce sentiment est accentué par l'utilisation d'assonances (en é au vers 2, 6 et 7) et d'allitérations (en s au vers 5). Au grand dam de l'auteur tout ceci est bel et bien terminé et n'appartient plus qu'au passé : qu'en est-il de ce présent si douloureux ? Pour bien mettre en évidence la rupture entre le passé et le présent, l'auteur utilise en premier lieu un contraste d'écriture entre les quatrains et les tercets des strophes 3 et 4. Dans le premier tercet, le vers 9 vient s'opposer au 1er vers car l'auteur est dominé par la Fortune contrairement au passé où il menait les débats. Ici, le déplacement du mot est significatif : son rejet la fin du premier vers atteste du mépris que Du Bellay lui portait, mais sa position au centre du vers 9 démontre le rôle grandissant qui lui incombe dorénavant. Il en est de même pour l'adversité dont il était le maître alors qu'il est devenu l'esclave. Les strophes 3 et 4 contiennent elles aussi une multitude de figures de styles, dont une hyperbole « mille mots et regrets « et une allitération en m au vers 11 et le verbe « m'ennuie « est renforcé par les assonances plaintives en i. Tout cela contribue à l'évocation des tourments qui affligent le poète lorsqu'il n'a plus son inspiration. Les vers 12 est l'antithèse du vers 3 car Du Bellay se croyait immortel et depuis qu'il est devenu improductif il ne croit plus du tout en sa postérité. Il en est de même pour les vers 6 et 14 vers car les Muses qui l'accompagnaient le quittent, on retrouve cette assonance en i pour exprimer le désarroi et la tristesse qui accaparent Du Bellay. Ce sentiment est amplifié par une gradation décroissante dans le nombre de pied (6-4-2-0), le rythme nous fait vivre la fuite de l'inspiration jusqu'au néant lorsque le vers se termine par un e muet. Joachim du Bellay affirme dans ce poème de découragement la primauté des sentiments dans son inspiration, car selon lui, la poésie ne fait qu'exprimer l'affectivité de son créateur. De plus, il fait apparaître à travers ce sonnet la haute idée qu'il se fait de son art, car il considère le poète comme un être immortel, divin même et met en avant ici le fait que la création poétique est synonyme de liberté, d'évasion mais aussi de travail et de contrainte. Ce sonnet sur la mort de l'inspiration reflète parfaitement le titre du recueil : Les regrets car l'auteur se plaint à ses vers, et compose des sonnets où la tristesse s'exprime dans une langue simple et harmonieuse où la perfection des vers rend pour toujours communicable la sincérité de l'émotion...Il parait important de souligner le caractère pour le moins paradoxal de ce poème puisque la source d'inspiration est...le manque d'inspiration !
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- LESCOT, Pierre (1515-1578) Architecte Pierre Lescot, qui est né au sein d'une riche famille de robe, entretient des relations avec les poètes et les humanistes de son temps, après avoir fait des études d'architecture et de mathématiques.
- LESCOT, Pierre (1515-1578) Architecte Pierre Lescot, qui est né au sein d'une riche famille de robe, entretient des relations avec les poètes et les humanistes de son temps, après avoir fait des études d'architecture et de mathématiques.
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- Pierre de Ronsard (1524-1585) "Le prince des poètes, le poète des princes"
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