Poe, Edgar Allan - littérature. 1 PRÉSENTATION Poe, Edgar Allan (1809-1849), poète, conteur et publiciste américain, rendu familier au public français par Charles Baudelaire, son traducteur, et célèbre pour ses Histoires extraordinaires, dont l'imaginaire étrange et morbide a marqué le genre fantastique. 2 « LA RACE IRRITABLE DES POÈTES « Né à Boston (Massachusetts), fils de parents comédiens perdus dès ses deux ans, Edgar Poe est recueilli par un riche négociant de Virginie, John Allan. Il reçoit une éducation traditionnelle, en Angleterre (de 1815 à 1820) puis à Richmond. Après une querelle avec celui qu'on pourrait appeler son « père adoptif « (à ceci près qu'il ne l'adopta jamais), qui lui reproche une vie « dissolue «, Poe s'enfuit à Boston, où il publie à compte d'auteur son premier recueil de vers, Tamerlan et autres poèmes (Tamerlan and Other Poems, 1827), avant de s'engager dans l'armée. Renvoyé de West Point, rompant définitivement avec John Allan au moment de son remariage, il trouve refuge à Baltimore chez une tante sans fortune, Maria Clemm, dont il épousera la fille, Virginia, en 1836, à ses quatorze ans. Après l'insuccès d'un second recueil, Al Aaraaf (Al Aaraaf Tamerlane and Minor Poems, 1929), le Manuscrit trouvé dans une bouteille (MS. Found in a Bottle, 1833) le fait suffisamment connaître pour lui valoir une recommandation auprès du Southern Literary Messenger de Richmond, où il s'installe et développe une double activité éditoriale : contes marqués par l'étrange (dont Morella et Bérénice [Berenice]) et critiques littéraires véhémentes. Son intransigeance lui fait rompre cette collaboration en 1837 pour tenter sa chance en terre ennemie, à New York, ajournant son projet de collection de ses textes narratifs sous le titre de Contes du club de l'in-folio (The Tales of the Folio Club), mais réussissant à faire paraître en volume les Aventures d'Arthur Gordon Pym (The Narrative of Arthur Gordon Pym, 1838), interrompues à Richmond sous leur forme précédente de feuilleton. C'est à Philadelphie, à partir de 1838, que ses contributions au Burton's Gentleman's, puis Graham's Magazine, en dépit de relations perpétuellement difficiles avec les directeurs-propriétaires successifs de la revue, imposent sa notoriété. Nouveaux contes -- dont la Chute de la maison Usher (The Fall of the House of Usher, 1839), le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, 1842), le Coeur révélateur (The Tell-Tale Heart), le Chat noir (The Black Cat), le Scarabée d'or (The Gold Bug, 1843) --, récits à énigme -- Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders of the Rue Morgue, 1841) -- ou dialogues philosophiques -- Colloque entre Monos et Una (The Colloquy of Monos and Una) -- distinguent un indiscutable écrivain, dont la cérébralité aiguë peut susciter le malaise. Mais la virulence des comptes rendus de Poe n'aide pas à lui ouvrir le chemin de New York, où l'hostilité des puissants rédacteurs maîtres de l'establishment littéraire fait obstacle à la reconnaissance de son génie, sans aller jusqu'à empêcher, en 1845, le triomphe qui salue la publication du poème le Corbeau (The Raven). La faillite du Broadway Journal (1846) le ramène à une retraite misérable, accompagnée d'une baisse sensible de sa production. S'il réussit à faire paraître une sélection de ses Contes (Tales, 1845), rattrapant ainsi l'échec de sa première tentative de 1840, ses créations se font rares, en dépit de ce chef-d'oeuvre qu'est la Barrique d'amontillado (The Cask of Amontillado), et le commentaire tend à prendre de plus en plus de place (la célèbre et discutée Genèse d'un poème). La mort de Virginia en 1847, les symptômes d'un déclin autant moral que physique, les abus de toutes sortes, des liaisons multiples, confuses, inabouties, à demi rêvées, marquent un irrésistible épuisement -- qui rend d'autant plus remarquables le mystérieux poème Ulalume (1847), le grand essai Eurêka (Eureka, 1848) et le fameux Principe poétique (Poetic Principle, publication posthume). Retrouvé inconscient dans une rue de Baltimore, Poe meurt, sans doute d'une crise de delirium tremens ; pour ce gentleman fascinant, orgueilleux et rebelle, une fin quasi allégorique, comme si, frappé dans l'essence même de son génie, sa puissance intellectuelle, il rejoignait par là la légende des poètes damnés. 3 UNE POÉTIQUE DE LA CONCATÉNATION Ennemi des facilités offertes par les conventions autant que de celles supposées par l'improvisation, répugnant aux effusions lyriques comme aux expressions négligées -- ce qui explique la virulence de la plupart de ses prises de position en matière de critique littéraire --, Poe fait reposer toutes les recherches de sa poétique sur la question de l'effet à viser et à produire dans les limites d'un texte donné. Valable en poésie, où elle suppose calculs minutieux, maîtrise des formes courtes, autonomie assumée du poème par rapport au sens, cette orientation prévaut encore dans la prose, le conte devant assurer avant toute chose l'unité indestructible de sa trame narrative. Le choc qu'a représenté pour Baudelaire la découverte de la vie et de l'oeuvre de Poe dépasse dans ces conditions largement les étranges effets d'échos qu'il a pu percevoir entre leurs vies respectives : c'est bien cette place éminente conférée dans le processus artistique à la concentration cérébrale qui l'a fasciné, antidote à la « vaporisation « exténuante du moi et condition même du génie poétique. D'où la légende qui a entouré un poème comme le Corbeau, où la mélancolie et les présages de la mort, qui submergent la conscience, ne le font qu'au prix d'une envoûtante construction, d'une exceptionnelle maîtrise prosodique et d'expérimentations métriques inouïes. Assurément ancrée par sa thématique dans un fonds romantique, qui fait la part belle à Shelley, Coleridge ou encore Byron, la poésie rare de Poe n'a fait que s'en écarter toujours davantage, à la recherche de ressources renouvelées de l'évocation sonore ou rythmique, comme dans les Cloches (The Bells) ou dans Annabel Lee (1849). 4 LA MATHÉMATIQUE DES TÉNÈBRES Il suffit de percer les faux-semblants de la société pour atteindre les tréfonds de la conscience. C'est pourquoi, moins connue que son versant fantastique, la part grotesque des contes de Poe ne saurait être négligée : guérilla provocante conduite contre tous les corps -- politiciens, hommes de lettres, journalistes, philosophes... -- d'une démocratie ridicule et menaçante, contre laquelle la verve de Poe déchaîne d'inépuisables réserves d'ironie, de parodie, de satire. Car tout se joue en vérité sur la concentration de l'esprit : puissance qu'un rien peut dérégler au point qu'elle devient une maladie dont les maléfices libèrent une morbidité sans remède. Bien des Histoires extraordinaires explorent le réseau des obsessions, perversions qui transforment en poison mortel la passion intellectuelle, et réussissent -- notamment par l'invention d'un narrateur spécifique qui, au lieu de bloquer l'économie narrative sur un principe de réalité, dissémine indéfiniment doutes et troubles jusque dans l'esprit du lecteur -- à créer une horreur toute particulière, reposant moins sur le matériel « gothique « auquel elles empruntent volontiers que sur l'effet crépusculaire, entre raison et déraison, vie et mort, vérité et aveuglement, enduré par la conscience interprétative. Qu'en revanche la pensée, comme celle du génial Dupin, recouvre sa domination, et les récits deviennent le légendaire de la volonté de savoir, oeuvre surhumaine de l'intellect et de l'intuition collaborant pour faire lever le vrai de l'enfer des signes. Curieusement, il semble que ce soit l'Europe, notamment par la psychanalyse qui n'a cessé, de Freud à Lacan, d'explorer l'imaginaire de Poe, qui, mieux que les États-Unis, ait su rendre justice à cette dimension métaphysique du génie du poète et conteur américain, telle que le splendide Eurêka, roman de l'âme et du corps, de la « gravitation « de la matière et de la « répulsion « spirituelle, avait tâché de la faire entendre. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.