Pierre-Louis de MAUPERTUIS (1698-1759) Les animaux ont une âme
Publié le 19/10/2016
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Pierre-Louis de MAUPERTUIS (1698-1759)
Les animaux ont une âme
Les arguments dont se sont servis tant ceux qui veulent priver d'âme les bêtes, que ceux qui leur en accordent, me semblent donc également faibles. Les premiers ne se fondent que sur le danger des conséquences, sur l'immortalité de telles âmes et sur le scandale de les associer à des récompenses et à des châtiments éternels. Nous avons vu combien il est facile de répondre à ces objections. Les autres pour prouver que les bêtes ont une âme étalent et exagèrent toute leur industrie. Leur habileté pour chercher leur nourriture, leurs ruses dans les combats qu'elles ont à soutenir contre leurs ennemis, leurs soins pour l'éducation de leurs petits, l'adresse des oiseaux pour faire leurs nids, la géométrie des abeilles dans la construction de leurs alvéoles, la police et l'économie qu'elles observent dans leur république, la fidélité du chien, la sagacité du singe, etc. Mais tout cela ne prouve absolument rien. Nous l'avons dit, et il est assez évident, des machines peuvent être tellement construites qu'elles feraient toutes ces choses, sans aucun sentiment intérieur et qui a vu le Joueur de flûte de Vaucanson, s'étonnerait peut-être que des automates formés par la Divinité ne fissent que ce que nous voyons faire aux bêtes.
Les actions des animaux qui nous paraissent les plus spirituelles, les actions des hommes mêmes, ne prouvent donc point la présence d'une âme. Ni l'immobilité qui nous paraît la plus stupide n'en prouve l'absence. Ce qui constitue l'âme, c'est le sentiment du soi dont nous ne pouvons juger que pour nous. Il nous est donc impossible de prouver directement que les bêtes ont une âme ou de prouver qu'elles n'en ont point. Nous n'en pouvons juger qu'obliquement et par analogie, à peu près comme nous jugeons des habitants des planètes.
Notre terre est habitée, nous jugeons de là que les planètes, qui sont des espèces de terres comme la nôtre, ont aussi comme elle leurs habitants. Mon corps est animé d'un esprit qui s'aperçoit lui-même, je juge de là que d'autres corps semblables au mien le sont aussi. Je serais ridicule si une taille un peu plus haute ou un peu plus basse, si des traits un peu différents me faisaient refuser une âme aux autres hommes de mon espèce ; des traits plus différents encore, une peau noire ne m'autoriseront pas plus à priver d'âme les habitants de l'Afrique. J'aperçois encore de plus grandes variétés, je vois des espèces d'hommes plus difformes et plus velus, leur voix ne forme plus des sons articulés comme les miens. Je puis peut-être conclure qu'ils ne sont pas faits pour vivre en société avec moi mais je n'en dois pas conclure qu'ils n'aient pas d'âmes ni qu'il y ait dans la nature un saut aussi énorme que le serait celui qu'il faudrait supposer, si d'un Nègre ou d'un Lapon animé d'un esprit qui s'aperçoit et qui est capable de bien d'autres connaissances, on passait tout à coup à une espèce assez semblable à lui, mais brute et incapable de sentiment et qui ayant ensuite une infinité d'espèces telles que celle-ci, il ne s'en trouvât aucune autre telle que l'homme. Tout ce que je puis donc penser et peut-être même sans grande raison, c'est que ces espèces ont moins d'idées ou moins de facilité pour les comparer que je n'en ai. Je passe du singe au chien, au renard et par des degrés imperceptibles, je descends jusqu'à l'huître et peut-être jusqu'à la plante qui n'est qu'une espèce d'animal plus immobile encore que l'huître, sans avoir aucune raison pour m'arrêter nulle part.
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