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Pierre JOLIOT (1932-) L'activité créatrice dans la recherche

Publié le 19/10/2016

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Pierre JOLIOT (1932-)

L'activité créatrice dans la recherche

L'ensemble de mon propos repose sur la conviction que la recherche comporte et comportera toujours une part importante d'activité créatrice. Elle représente pour moi une forme d'activité artistique qui, en tant que telle, s'appuie sur la créativité associée à un haut degré de compétence technique. Encore faut-il préciser ce que j'entends par « création » dans le domaine scientifique. Dans l'imaginaire du public, et dans celui de beaucoup de chercheurs, la notion de création est associée à un acte exceptionnel, la « découverte », susceptible d'induire ce que les philosophes appellent une « rupture épistémologique ». De telles découvertes, qui ont jalonné l'histoire de la science au cours des siècles précédents, ont toujours représenté des événements rares ne concernant qu'un nombre limité d'individus exceptionnels. En raison des progrès de la connaissance et de l'augmentation de la population des chercheurs, la probabilité pour l'un d'entre eux d'être l'auteur d'une telle découverte ne peut que diminuer. Les biologistes de ma génération ont été les témoins de plus de découvertes majeures au cours des dix premières années de leur vie scientifique que pendant le reste de leur carrière. Ainsi, la décennie 1950-1960, pendant laquelle j'ai fait mes premières armes dans la recherche, a vu l'élucidation des mécanismes fondamentaux de l'hérédité et de la synthèse des protéines. À travers la théorie chimiosmotique de Peter Mitchell, les bases conceptuelles de la bioénergétique, mon domaine de recherche, ont été établies au cours de ces mêmes années. Le danger qui menace les chercheurs aujourd'hui serait de conclure qu'il n'y a plus rien à découvrir. L'histoire de la science montre que les théories qui paraissaient le plus solidement fondées sont amenées à être réévaluées, affinées, voire renversées. Dans un domaine de recherche en pleine expansion comme la biologie, on constate que toute avancée des connaissances génère autant d'interrogations qu'elle apporte de réponses. Je reste convaincu qu'en biologie, comme dans la plupart des disciplines, ce qui a été découvert ne représente qu'une faible part de ce qui reste à découvrir. De nombreux augures nous annoncent régulièrement l'obsolescence de certaines disciplines scientifiques. Ces jugements hâtifs sont responsables d'erreurs stratégiques lourdes de conséquences. On assiste à la destruction systématique de savoir-faire et de compétences qu'il faut de nombreuses années pour reconstituer. La plupart du temps, ce sont les progrès dans d'autres domaines de la science qui permettent le renouveau des disciplines en perte de vitesse. Ainsi, la systématique, qui s'intéresse à la classification des êtres vivants, devenue dans les années 1950 le symbole d'une science rétrograde, a trouvé une nouvelle jeunesse grâce à la caractérisation des génomes, rendue possible par l'essor de la biologie moléculaire. De même, la radioactivité, au début des années 1920, était considérée comme une science moribonde dont l'ambition se limitait à préciser des données quantitatives comme, par exemple, la durée de vie des radioéléments naturels. Cette discipline portait cependant en elle l'une des révolutions scientifiques majeures de ce siècle qui devait ouvrir la compréhension et la maîtrise de l'atome. Je suis convaincu que les chercheurs aujourd'hui - qu'ils s'intéressent à des disciplines nouvelles ou traditionnelles - ont devant eux des champs de recherche quasi illimités qui leur permettront d'exprimer leur créativité.

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