philosophie, histoire de la - philosophie. 1 PRÉSENTATION philosophie, histoire de la, panorama de la philosophie occidentale, de l'Antiquité grecque à nos jours. Pour la pensée non occidentale : islam, bouddhisme, taoïsme, confucianisme, philosophie chinoise. 2 PHILOSOPHIE GRECQUE Il est généralement admis que la philosophie occidentale a débuté dans la Grèce antique comme une spéculation sur la nature du monde physique. Dans sa forme la plus ancienne, elle se confond avec la science de la nature. Les écrits des premiers philosophes ne nous sont pas parvenus, à l'exception de quelques fragments cités par Aristote et d'autres auteurs postérieurs. 2.1 École ionienne 2.1.1 Thalès Le premier philosophe mentionné par l'histoire est Thalès : originaire de la cité de Milet, située sur la côte ionienne de l'Asie Mineure, il vit aux VIIe et VIe siècles av. J.-C. Vénéré par les générations postérieures comme l'un des Sept Sages de la Grèce, il se consacre à l'étude des phénomènes astronomiques, physiques et météorologiques. Selon l'hypothèse qui ressort de ses recherches, tous les phénomènes naturels constituent des formes diverses d'une substance fondamentale (sa doctrine s'apparente ainsi au monisme), à savoir l'eau, car il considère que l'évaporation et la condensation sont des processus universels. 2.1.2 Anaximandre Anaximandre, disciple de Thalès, soutient pour sa part que le principe premier dont dérive toute chose est une substance intangible, infinie, insaisissable et indéfinie qu'il appelle apeiron. Aussi affirme-t-il que l'on ne peut déceler aucune substance observable dans aucune chose. Cette substance, selon lui, est éternelle et indestructible. Son mouvement incessant fait naître continuellement les substances plus familières comme la chaleur, le froid, la terre, l'air et le feu, qui produisent à leur tour les différents objets et organismes qui constituent le monde que l'on connaît. Son concept de l'infini annonce le concept moderne d'un Univers infini. 2.1.3 Anaximène Le troisième grand philosophe ionien, Anaximène, reprend l'hypothèse de Thalès selon laquelle il existe une substance originelle, mais il désigne l'air, et non pas l'eau, comme l'élément dont est composée toute chose. Il estime que les changements auxquels sont soumis les corps peuvent être expliqués par la raréfaction et la condensation de l'air. Anaximène est ainsi le premier philosophe à expliquer des différences qualitatives par des différences quantitatives, méthode essentielle à la science de la nature. Dans son ensemble, l'école ionienne a franchi le premier pas décisif menant de l'explication mythologique à l'explication scientifique des phénomènes naturels. Elle a découvert les principes scientifiques de la permanence de la substance, de l'évolution naturelle du monde et de la réduction de la qualité à la quantité. 2.2 École pythagoricienne Vers 530 av. J.-C., Pythagore fonde une école de philosophie à Crotone, en Italie méridionale, plus religieuse et mystique que l'école ionienne, synthèse de l'antique perception mythologique du monde et de l'intérêt grandissant pour l'explication scientifique. Le système philosophique, connu sous le nom de pythagorisme, intègre des croyances éthiques et mathématiques à une vision spiritualiste de la vie. Les pythagoriciens enseignent et pratiquent un mode de vie fondé sur la conviction que l'âme est prisonnière du corps, qu'elle est délivrée de celui-ci après la mort et réincarnée dans une nouvelle forme de vie, supérieure ou inférieure selon le degré de vertu auquel elle est parvenue. La fin suprême de l'homme serait donc de purifier son âme en cultivant les vertus intellectuelles, en s'abstenant des plaisirs sensuels et en accomplissant divers rites religieux. Ayant découvert les lois mathématiques de la gamme musicale, les pythagoriciens en concluent que les mouvements planétaires produisent une « musique des sphères « et développent une « thérapie par la musique « dans le but de mettre l'humanité en harmonie avec les sphères célestes. Ils identifient la science aux mathématiques, soutenant que toute chose est composée de nombres et de figures géométriques. Ils apportent d'importantes contributions aux mathématiques, à la théorie musicale et à l'astronomie. 2.3 Héraclite Poursuivant la quête ionienne d'une substance première, Héraclite d'Éphèse affirme que le feu constitue l'élément fondamental de l'Univers. Observant que la chaleur produit des modifications de la matière, il anticipe la théorie moderne de l'énergie. Héraclite soutient que toutes les choses se trouvent dans un état de fluctuation perpétuelle, que la stabilité est une illusion et que seuls le changement et la loi de la nature, ou logos, sont réels : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve «, affirme-t-il. La doctrine du logos d'Héraclite, qui identifie les lois de la nature à l'esprit divin, a conduit à la théologie panthéiste du stoïcisme. 2.4 École d'Élée 2.4.1 Au Ve Parménide siècle av. J.-C., Parménide fonde une école de philosophie à Élée, colonie grecque dans la péninsule italienne. Il adopte une position contraire à celle d'Héraclite sur la relation entre la stabilité et le changement, soutenant que l'Univers ou l'état de l'Être est une entité sphérique, indivisible et immuable, et que toute référence au changement ou à la diversité est une contradiction en soi. « L'être est « représente, selon lui, le seul énoncé vrai, l'unique certitude dans notre monde où nous sommes confrontés à l'apparence. 2.4.2 Zénon d'Élée Zénon d'Élée, disciple de Parménide, tente de prouver l'unité de l'être en affirmant que la croyance en la réalité du changement, de la diversité et du mouvement conduit à des paradoxes logiques, que les philosophes et logiciens de toutes les époques ultérieures ont tenté de résoudre. L'intérêt des éléates pour le problème de la cohérence logique a jeté les fondements du développement de la science de la logique. 2.5 Pluralistes La spéculation sur le monde physique amorcée par les philosophes ioniens est poursuivie au Ve siècle av. J.-C. par Empédocle et Anaxagore, dont la philosophie substitue à l'hypothèse d'une substance primordiale unique celle d'une pluralité de substances. 2.5.1 Empédocle Empédocle soutient que toute chose est composée de quatre éléments irréductibles : l'air, l'eau, la terre et le feu, qui tour à tour sont combinés et séparés par deux forces opposées, à savoir l'amour et la haine. Par ce processus, le monde évolue du chaos à la forme puis retourne au chaos, dans un cycle éternel. Il considère ce cycle éternel comme l'objet approprié du culte religieux et critique la foi en des divinités personnelles. Il omet cependant d'expliquer la manière dont les objets de l'expérience peuvent exister et se développer à partir d'éléments radicalement différents d'eux. 2.5.2 Anaxagore Anaxagore suggère que toutes les choses sont composées de particules minuscules, ou « semences «, qui existent dans une infinie variété. Pour expliquer la manière dont les particules se combinent pour former des objets qui constituent le monde connu, Anaxagore développe une théorie de l'évolution cosmique, dont le principe actif est un esprit du monde qui sépare et combine les particules. Sa conception de particules élémentaires a conduit au développement de la théorie atomistique de la matière. 2.6 Atomistes C'est par un cheminement naturel que le pluralisme conduit à l'atomisme, théorie selon laquelle la matière est composée de minuscules particules indivisibles qui ne diffèrent que par des propriétés physiques simples telles que la grandeur, la forme et le poids. On doit cette évolution, qui date du IVe siècle av. J.-C., à Leucippe et à son disciple, plus célèbre, Démocrite, à qui l'on attribue généralement la première formulation systématique d'une théorie atomistique de la matière. La conception de la nature de Démocrite est entièrement matérialiste, expliquant tous les phénomènes naturels en termes de nombre, de forme et de grandeur des atomes. Il réduit ainsi les qualités sensibles des choses, telles que la chaleur, le froid, le goût et l'odeur, à des différences quantitatives entre atomes. Dans ce cadre, les formes supérieures de l'existence, comme les plantes et les animaux, la vie et même la pensée humaine, sont expliquées en des termes purement physiques. Démocrite applique sa théorie à la psychologie, la physiologie, la théorie de la connaissance (gnoséologie), l'éthique et la politique, présentant ainsi la première exposition complète du matérialisme déterministe selon lequel tous les aspects de l'existence sont déterminés par des lois physiques inflexibles. 3 SOPHISTES Vers la fin du Ve siècle av. J.-C., des enseignants itinérants nommés sophistes deviennent célèbres dans toute la Grèce. Ils jouent un rôle important dans l'évolution qui fait passer les cités grecques de la monarchie agricole à la démocratie commerciale. Lorsque l'industrie et le commerce se développent en Grèce, une classe de marchands nouvellement enrichis, économiquement puissants, commence à exercer le pouvoir politique. L'éducation des aristocrates leur faisant défaut, ils cherchent à se préparer à la politique et au commerce en invitant les sophistes à leur enseigner, contre rétribution, la rhétorique, l'argumentation juridique et la culture générale. Bien que les meilleurs sophistes apportent d'appréciables contributions à la pensée grecque, le groupe dans son ensemble acquiert la mauvaise réputation d'être trompeur, démagogue et intéressé. Le terme « sophisme « est ainsi devenu synonyme de faute morale. La célèbre maxime de Protagoras, un des plus éminents sophistes, « l'homme est la mesure de toutes choses «, est caractéristique de l'attitude philosophique de l'école des sophistes. Ils estiment que les individus ont le droit de juger de tout par euxmêmes. Ils nient l'existence d'une connaissance objective, affirment que les sciences naturelles et la théologie ne sont d'aucune valeur parce qu'elles sont sans effet sur la vie quotidienne, et déclarent que les préceptes éthiques ne servent qu'à poursuivre les intérêts particuliers. 3.1 Philosophie socratique La plus grande personnalité de l'histoire de la philosophie occidentale est sans doute Socrate. Né en 469 av. J.-C., il poursuit son enseignement sous forme de dialogues avec ses disciples jusqu'à sa condamnation à mort, qu'il accepte en absorbant la ciguë en 399 av. J.-C. Contrairement aux sophistes, il refuse toute rétribution pour ses enseignements, affirmant qu'il n'a aucune connaissance positive à offrir, si ce n'est la conscience du manque de connaissances : « Je sais que je ne sais rien. « Socrate n'a laissé aucun écrit, mais ses enseignements sont préservés pour les générations postérieures dans le portrait satirique que fait de lui Aristophane, dans les textes de Xénophon et surtout dans les dialogues de son disciple le plus célèbre, Platon. Socrate enseigne que chacun possède l'entière connaissance de la vérité absolue, inhérente à son âme, et qu'il doit seulement être incité à la réflexion consciente pour la reconnaître. Dans Ménon, dialogue de Platon, Socrate conduit ainsi un esclave à formuler le théorème de Pythagore, démontrant qu'une telle connaissance est innée dans l'âme et non apprise par expérience. La tâche du philosophe, selon Socrate, est d'inciter les hommes à penser par eux-mêmes et non de leur enseigner quelque chose qu'ils ignorent. Sa contribution à l'histoire de la pensée ne réside pas dans une doctrine systématique, mais dans une méthode de pensée et un mode de vie. Il est nécessaire, souligne-t-il, d'analyser les raisons des croyances, de définir clairement les concepts fondamentaux et d'aborder les problèmes éthiques de manière rationnelle et critique. 3.2 Philosophie platonicienne 3.2.1 L'éthique Platon est un penseur plus systématique et plus positif que Socrate, mais ses écrits, en particulier les premiers dialogues, peuvent être considérés comme la continuation et l'élaboration des intuitions socratiques. Comme Socrate, Platon tient l'éthique pour la plus haute discipline de la connaissance ; il met l'accent sur le fondement intellectuel de la vertu, identifiant celle-ci à la sagesse. Cette position repose sur ce qu'on appelle le paradoxe socratique, tel qu'énoncé par Socrate dans le Protagoras : « Nul ne fait le mal volontairement. « Aristote notera par la suite qu'une telle conclusion ne laisse aucune place à la responsabilité morale. Platon explore aussi les problèmes fondamentaux des sciences naturelles, de la théorie politique, de la métaphysique, de la théologie et de la théorie de la connaissance, et élabore des conceptions qui sont devenues des éléments constitutifs de la pensée occidentale. 3.2.2 La théorie des Idées : l'allégorie de la caverne La philosophie de Platon repose sur sa théorie des Idées, ou doctrine des Formes. La théorie des Idées, formulée dans plusieurs de ses dialogues, particulièrement dans la République et dans le Parménide, divise l'Univers en deux mondes : le « monde intelligible « formé d'Idées ou Formes parfaites, éternelles et invisibles, et le « monde sensible « formé d'objets concrets et familiers. Pour Platon, les arbres, les pierres, les corps humains et tous les objets connus par les sens sont de vagues copies irréelles et imparfaites des Idées. Il parvient à cette conclusion apparemment paradoxale par les critères exigeants qu'il impose à la connaissance : par exemple, il demande que tous les vrais objets de la connaissance soient décrits sans contradiction. Comme tous les objets appréhendés par les sens sont sujets au changement, un énoncé fait à un moment donné sur de tels objets peut s'avérer faux à un moment ultérieur. Selon Platon, ces objets ne sont pas tout à fait réels. Les croyances résultant de l'expérience de tels objets sont donc vagues et trompeuses, alors que les principes des mathématiques et de la philosophie, découverts par la méditation sur les Idées, constituent la seule connaissance digne de ce nom. Selon la description que Platon fait dans la République, le genre humain est emprisonné dans une caverne et prend à tort les ombres projetées sur le mur par le soleil pour la réalité ; il y désigne le philosophe comme celui qui pénètre le monde à l'extérieur de la caverne, parvient à une vision de la vraie réalité, c'est-à-dire du monde des Idées, et retourne dans la caverne pour délivrer ses congénères. La conception du bien absolu de Platon, forme suprême englobant toutes les autres, a été une source importante des doctrines religieuses, panthéistes et mystiques, de la culture occidentale. 3.2.3 L'idéalisme platonicien La théorie des Idées de Platon et sa conception rationaliste de la connaissance sont au fondement de son idéalisme moral et politique. Du monde des Idées éternelles sont issus les critères, ou idéaux, selon lesquels tous les objets et toutes les actions doivent être jugés. Chez une personne, la vertu réside dans la relation harmonieuse entre les facultés de son âme. La justice sociale consiste en l'harmonie entre les classes de la société. L'état idéal d'un esprit sain dans un corps sain implique que l'intellect contrôle les désirs et les passions, comme l'État idéal implique que les individus les plus sages gouvernent les masses en quête de jouissance. Vérité, beauté et justice sont contenues dans l'idée du Bien ; ainsi, l'art suprême exprime des valeurs morales. Cependant, dans son projet de société, Platon n'admet l'art que dans les limites où il sert l'éducation morale de la jeunesse. 3.3 Philosophie aristotélicienne 3.3.1 La méthode aristotélicienne Aristote, qui commence ses études à l'Académie de Platon à l'âge de dix-sept ans en 367 av. J.-C., est le plus prestigieux disciple de Platon et compte avec son maître parmi les penseurs les plus influents du monde occidental. Après avoir étudié plusieurs années à l'Académie de Platon, Aristote devient le précepteur d'Alexandre le Grand. Il retourne par la suite à Athènes pour fonder le Lycée, école qui, comme l'Académie de Platon, va demeurer pendant des siècles l'un des grands centres intellectuels de la Grèce. Dans ses cours au Lycée, Aristote définit les concepts et les principes fondamentaux de maintes sciences théoriques, telles que la logique, la biologie, la physique et la psychologie. En créant la science de la logique, il élabore la théorie de l'inférence déductive, illustrée par le syllogisme (raisonnement de type hypothético-déductif, usant de deux prémisses et d'une conclusion) et un ensemble de règles régissant la méthode scientifique. 3.3.2 La métaphysique aristotélicienne Dans sa métaphysique, Aristote critique la séparation opérée par Platon entre les Formes et la matière, et soutient que les Formes ou essences sont contenues dans les objets concrets. Pour Aristote, tout ce qui est réel est une combinaison de potentialité et d'actualité ; en d'autres termes, toute chose est une combinaison de ce qu'elle peut être (mais n'est pas encore) et de ce qu'elle est déjà (matière et Formes), parce que toutes les choses changent et deviennent différentes de ce qu'elles étaient, exception faite des intellects actifs, divin et humain, qui sont de pures Formes. 3.3.3 La hiérarchie des espèces La nature est pour Aristote un système organique de choses ; leurs formes communes permettent de les répartir en classes embrassant les espèces et les genres, chaque espèce possédant une forme, une fin et un mode de développement suivant lesquels elle peut être définie. L'objectif de la science théorique est de définir les Formes, les fins et les modes de développement de toutes les espèces et de les classer selon leur ordre naturel en suivant la complexité progressive de leurs Formes. Les principaux niveaux des espèces sont l'inanimé, le végétatif, l'animal et le rationnel. Pour Aristote, qui oppose « puissance « et « actes «, l'âme est la Forme ou l'« actualisation « du corps, et les êtres humains (dont l'âme rationnelle est une forme supérieure aux âmes des autres espèces terrestres) constituent l'espèce suprême parmi les êtres périssables. Les corps célestes, composés d'une substance impérissable, à savoir l'« éther «, et mus éternellement par Dieu selon une trajectoire parfaitement circulaire, sont placés encore plus haut dans l'ordre de la nature. Cette classification hiérarchique de la nature est adoptée au Moyen Âge par plusieurs théologiens chrétiens, juifs et islamiques comme la seule conception de la nature compatible avec leurs convictions religieuses. 3.3.4 Une critique de l'idéalisme platonicien La philosophie politique et éthique d'Aristote repose également sur l'examen critique des principes platoniciens. Selon Aristote, les règles de la conduite individuelle et sociale doivent être trouvées dans l'étude scientifique des tendances naturelles des individus et des sociétés, plutôt que dans un monde divin constitué de pures Formes. Insistant par conséquent moins que Platon sur la conformité rigoureuse aux principes absolus, Aristote considère les règles éthiques comme des préceptes pratiques en vue de parvenir à une vie heureuse et harmonieuse. Mettant l'accent sur le bonheur, en tant qu'épanouissement des talents naturels, Aristote illustre en fait l'attitude envers la vie propre aux Grecs cultivés de son époque. En théorie politique, la position d'Aristote est plus réaliste que celle de Platon. Il convient qu'une monarchie gouvernée par un roi sage est la structure politique idéale, mais reconnaît que les sociétés diffèrent dans leurs besoins et traditions et estime qu'une démocratie limitée représente en règle générale le meilleur compromis. Dans sa théorie de la connaissance, Aristote rejette la doctrine platonicienne de la connaissance innée, et insiste sur le fait qu'elle ne peut être obtenue que par la généralisation à partir de l'expérience. Il interprète l'art comme le moyen d'obtenir le plaisir et l'illumination intellectuelle plutôt que comme l'instrument de l'éducation morale. 4 Du PHILOSOPHIE HELLÉNISTIQUE ET ROMAINE IVe siècle av. J.-C. à l'avènement de la philosophie chrétienne au IVe siècle apr. J.-C., l'épicurisme, le stoïcisme, le scepticisme et le néoplatonisme sont les principales écoles philosophiques qui se développent dans le monde occidental. Pendant cette période, l'intérêt pour les sciences naturelles diminue progressivement, au profit de l'éthique et de la religion. 4.1 Épicurisme En 306 av. J.-C., Épicure fonde une école de philosophie à Athènes. Comme ses disciples se rencontrent dans le jardin de sa propriété, ils sont surnommés les « philosophes du jardin «. Épicure adopte la physique atomistique de Démocrite en y introduisant plusieurs modifications importantes. Au lieu d'un mouvement aléatoire des atomes dans toutes les directions, il suppose qu'un mouvement uniforme se produit vers le bas ; il introduit de plus un élément de hasard dans le monde physique en supposant que, parfois, les atomes dévient de leur trajectoire de façon imprévisible, donnant ainsi une justification physique à la croyance dans le libre arbitre. Il soutient que les sciences naturelles ne sont importantes que dans la mesure où elles peuvent servir à prendre des décisions pratiques et à dissiper la crainte des dieux ou de la mort. Le but de la vie, déclare-t-il, est d'atteindre le plus possible de plaisirs, qu'il identifie à un mouvement léger et à l'absence de douleur. Les enseignements d'Épicure ont été conservés principalement dans le poème philosophique De natura rerum (De la nature) par le poète romain Lucrèce, qui a largement contribué à la popularité de l'épicurisme à Rome. 4.2 Stoïcisme Fondée à Athènes vers 310 av. J.-C. par Zénon de Citium, l'école des stoïciens prolonge le courant antérieur des cyniques, qui rejettent les institutions sociales et les valeurs matérielles. Le stoïcisme devient l'école la plus influente dans le monde gréco-romain et produit des écrivains et des personnalités remarquables, tels que l'esclave grec et plus tard philosophe romain Épictète et l'empereur romain Marc Aurèle, célèbre pour sa sagesse et sa noblesse de caractère. Les stoïciens enseignent que l'on ne peut atteindre la liberté et la tranquillité qu'en étant insensible au confort matériel et à la fortune extérieure et en se consacrant à une vie de raison et de vertu. Soutenant une conception matérialiste de la nature, ils renouent avec Héraclite, reprenant à la fois son hypothèse selon laquelle la substance primaire est le feu, et son culte du logos qu'ils identifient à l'énergie, à la loi, à la raison et à la providence omniprésente dans la nature. La raison est aussi considérée comme une partie du logos divin et donc immortel. La doctrine stoïcienne selon laquelle chaque être humain est une partie de Dieu, et selon laquelle tous les hommes constituent une famille universelle, contribue à lever les barrières nationales, sociales et ethniques, et annonce l'expansion d'une religion universelle. La doctrine stoïcienne du droit naturel, qui fait de la nature humaine le critère d'évaluation des lois et des institutions sociales, exerce également une influence considérable sur le droit romain, et plus tard, sur le droit en Occident. 4.3 Scepticisme Prolongeant la critique de la connaissance objective menée par les sophistes, l'école des sceptiques domine l'Académie platonicienne au IIIe siècle av. J.-C. Les sceptiques comprennent, à la suite de Zénon d'Élée, que la logique est un outil critique puissant, capable de détruire toute position philosophique. Selon leur thèse fondamentale, l'homme ne peut atteindre ni la connaissance ni la sagesse portant sur la réalité ; le chemin du bonheur passe donc par une suspension complète du jugement. Comme illustration extrême de cette attitude, on rapporte que Pyrrhon, un des plus illustres philosophes sceptiques, a refusé de changer de direction alors qu'il s'approchait d'une falaise et que ses disciples ont dû l'en détourner. Carnéade soutient quant à lui que les opinions tirées de l'expérience par induction peuvent être probables, mais jamais certaines. 4.4 Néoplatonisme Le philosophe judéo-hellénistique Philon d'Alexandrie intègre la philosophie grecque, en particulier les idées platoniciennes et pythagoriciennes, et la religion juive dans un vaste système qui annonce le néoplatonisme et la mystique juive, chrétienne et islamique. Il met l'accent sur la transcendance de Dieu, qui dépasse l'entendement humain et est donc ineffable. Il décrit le monde naturel comme une série d'émanations de Dieu, dont la dernière est la matière, source du mal. Il préconise un État religieux, ou théocratie. Il est l'un des premiers à interpréter l'Ancien Testament aux non juifs. Le néoplatonisme, qui constitue l'une des écoles philosophiques et religieuses les plus influentes et un rival sérieux pour le christianisme, apparaît au IIIe siècle apr. J.-C. avec Ammonios Saccas et son célèbre disciple Plotin. La doctrine de ce dernier repose sur les écrits poétiques et mystiques de Platon, des pythagoriciens et de Philon d'Alexandrie. Selon Plotin, la fonction principale de la philosophie est de préparer l'homme à l'expérience de l'extase dans laquelle il s'unit à Dieu. Source de toute réalité, Dieu (ou l'Un) dépasse la compréhension rationnelle. L'Univers émane de l'Un par un mystérieux processus de débordement de l'énergie divine à des niveaux successifs. Les niveaux suprêmes complètent la trinité de l'Un : le logos, qui contient les formes platoniciennes, et « l'Âme du Monde «, d'où procèdent les âmes humaines et les forces naturelles. Selon Plotin, les autres choses émanant de l'Un sont d'autant plus imparfaites et mauvaises qu'elles se rapprochent de la limite de la matière pure. La fin suprême de la vie est de se purifier de la dépendance des jouissances corporelles par la méditation philosophique, et de se préparer à l'union extatique avec l'Un. Le néoplatonisme a exercé une forte influence sur la pensée médiévale. 5 PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE Pendant le déclin de la civilisation gréco-romaine, les philosophes occidentaux abandonnent l'investigation scientifique de la nature et la recherche du bonheur terrestre pour se tourner vers le problème du salut dans un monde autre et meilleur. Au IIIe siècle apr. J.-C., le christianisme s'est répandu parmi les classes cultivées de l'Empire romain. Les enseignements religieux des Évangiles sont alors associés par les Pères de l'Église à plusieurs conceptions philosophiques des écoles grecques et romaines. 5.1 Philosophie augustinienne Les écrits de saint Augustin illustrent la tentative de concilier le rôle de la raison mis en valeur par les Grecs et le sentiment religieux enseigné par Jésus-Christ. Saint Augustin construit un système qui, au travers de modifications et d'élaborations ultérieures, devient finalement la doctrine officielle du christianisme. Son influence explique largement que la pensée chrétienne relève d'une inspiration platonicienne jusqu'au XIIIe siècle, date à laquelle la philosophie aristotélicienne devient dominante. Saint Augustin affirme que la foi religieuse et la compréhension philosophique sont complémentaires plutôt que contraires, et que l'on doit « croire pour comprendre et comprendre pour croire «. À l'instar des néoplatoniciens, il tient l'âme pour une forme d'existence supérieure au corps et enseigne que la connaissance consiste dans la contemplation des Idées platoniciennes purifiées à la fois de la sensation et du langage imagé. La philosophie platonicienne est associée à la conception chrétienne d'un Dieu personnel, qui crée le monde et détermine son évolution, et à la doctrine de la chute de l'homme, nécessitant l'incarnation de Dieu dans la personne du Christ. Saint Augustin tente d'apporter des solutions rationnelles aux problèmes du libre arbitre et de la prédestination, de l'existence du mal dans un monde créé par un Dieu parfait et tout-puissant, et de la triple nature attribuée à Dieu dans la doctrine de la Trinité. Saint Augustin conçoit l'histoire comme le combat dramatique entre le bien dans l'humanité, exprimé dans la loyauté à la « cité de Dieu « ou communauté des saints, et le mal incarné dans la cité terrestre et ses valeurs matérielles. Sa vision de la vie humaine est profondément pessimiste : il affirme que le bonheur est impossible dans le monde des êtres vivants où, même pour les rares êtres favorisés par la fortune, la conscience de l'approche de la mort compromet toute satisfaction. De plus, selon lui, sans les vertus religieuses, l'espérance et la charité qui présupposent la grâce divine, une personne ne peut développer les vertus naturelles telles que le courage, la justice, la modération et la sagesse. Ses analyses du temps, de la mémoire et de l'expérience intérieure de la religion ont constitué une source d'inspiration majeure pour la pensée métaphysique et mystique. Durant les trois siècles qui suivent la mort de saint Augustin, le seul apport majeur à la philosophie occidentale est dû à l'homme politique romain du logique et la métaphysique d'Aristote. Au IXe VIe siècle Boèce, qui ravive l'intérêt pour la philosophie grecque et latine, en particulier pour la siècle, le moine irlandais Jean Scot Érigène élabore une interprétation panthéiste du christianisme, identifiant la divine Trinité à l'Un, le logos et « l'Âme du Monde « du néoplatonisme et soutenant que la foi et la raison sont nécessaires pour atteindre l'union extatique avec Dieu. 5.2 Scolastique 5.2.1 Le XIe Méthode siècle est caractérisé par un renouveau de la pensée philosophique grâce à l'accroissement des contacts entre les différentes parties du monde occidental et à l'intérêt renouvelé pour la culture, qui va culminer à la Renaissance. Les ouvrages de Platon, d'Aristote et d'autres penseurs grecs sont traduits par des érudits arabes. Philosophes islamiques, juifs et chrétiens interprètent et clarifient ces écrits dans un effort pour concilier la philosophie et la foi religieuse, et pour fournir des fondements rationnels à leurs convictions religieuses. Leurs travaux jettent les bases de la scolastique. La pensée scolastique s'attache moins à découvrir des faits et des principes nouveaux qu'à démontrer la vérité de convictions existantes. Sa méthode est donc dialectique. Les recherches sur le raisonnement conduisent à d'importants développements tant en logique qu'en théologie. 5.2.2 Réalisme, nominalisme et conceptualisme Le médecin arabe du XIIe siècle Avicenne intègre des notions néoplatoniciennes et aristotéliciennes dans la doctrine religieuse de l'islam, tandis le poète juif Avicebron réalise une synthèse similaire entre la pensée grecque et le judaïsme. Pour sa part, l'archevêque de Canterbury, saint Anselme, reprend la position de saint Augustin sur la relation entre la foi et la raison, et associe le platonisme à la théologie chrétienne. Adepte de la théorie platonicienne des Idées, il défend l'existence séparée des « universaux «, ou propriétés communes des choses : c'est le réalisme. La position opposée, le nominalisme, est formulée par le philosophe Roscelin, qui soutient que seuls les objets individuels et concrets existent, et que les universaux, les formes et les idées sous lesquelles sont subsumées les choses particulières ne sont que de simples vocables ou des étiquettes, et non des substances intangibles. Il affirme que la Trinité doit comprendre trois êtres séparés : ses positions sont jugées hérétiques et il doit se rétracter en 1092. Le théologien français Pierre Abélard, connu pour sa tragique aventure amoureuse avec Héloïse au XIIe siècle, propose un compromis entre le réalisme et le nominalisme : selon le conceptualisme, les universaux existent dans les choses particulières en tant que propriétés et hors des choses en tant que concepts dans l'esprit. Pierre Abélard soutient que la religion révélée doit être justifiée par la raison. Il élabore une éthique fondée sur la conscience personnelle, qui annonce la pensée protestante. 5.2.3 Science et religion Le juriste et médecin hispano-arabe Averroès, le plus illustre des philosophes musulmans du Moyen Âge, fait de la science et de la philosophie aristotélicienne une composante majeure de la pensée médiévale. Ses savants commentaires des ouvrages d'Aristote lui valent d'être appelé le « Commentateur « par les nombreux scolastiques qui considèrent Aristote comme le « Philosophe «. Averroès tente de surmonter les contradictions entre la philosophie aristotélicienne et la religion révélée en distinguant deux systèmes distincts de vérité : un corps de vérités scientifiques, bâti sur la raison, et un corps de vérités religieuses, fondé sur la révélation. Affirmant que la raison prévaut sur la religion, il doit s'exiler en 1195. La doctrine de la « double vérité « d'Averroès influence de nombreux philosophes musulmans, juifs et chrétiens, mais elle est rejetée par plusieurs autres et fait l'objet de débats dans la philosophie médiévale. Le rabbin et physicien Maïmonide, une des plus éminentes figures de la pensée juive, suit l'exemple d'Averroès, unissant la science aristotélicienne à la religion, mais il rejette l'idée que deux systèmes conceptuels incompatibles puissent être également vrais. Dans son Guide des égarés (1180), il tente de donner un fondement rationnel au judaïsme et défend certaines croyances religieuses (comme la croyance en la création du monde) en contradiction avec la science aristotélicienne, car il est convaincu que des preuves concluantes manquent des deux côtés. Le théologien anglais Alexandre de Hales et le philosophe italien saint Bonaventure, tous deux philosophes du XIIIe siècle, combinent des principes platoniciens et aristotéliciens, et introduisent le concept de la forme substantielle, ou substance immatérielle, pour expliquer l'immortalité de l'âme. La conception de saint Bonaventure tend vers la mystique panthéiste et fait de l'union extatique avec Dieu le but ultime de la philosophie. L'Allemand saint Albert le Grand est le premier philosophe chrétien à approuver et interpréter le système d'Aristote dans son ensemble. Il étudie les écrits des aristotéliciens musulmans et juifs et rédige des commentaires encyclopédiques sur Aristote et sur les sciences naturelles de son époque. Le moine anglais Roger Bacon est l'un des premiers scolastiques à s'intéresser aux sciences expérimentales. Il est persuadé qu'il reste encore beaucoup à apprendre sur la nature, et critique la méthode déductive de ses contemporains et leur confiance dans les autorités du passé ; il préconise donc une nouvelle méthode de recherche scientifique fondée sur l'observation contrôlée. 5.3 Saint Thomas d'Aquin La figure intellectuelle la plus éminente de l'époque médiévale est saint Thomas d'Aquin. Moine dominicain, il étudie sous la direction d'Albert le Grand et le suit à Cologne en 1248. Saint Thomas d'Aquin intègre la science aristotélicienne et la théologie augustinienne en un vaste système de pensée qui va devenir la philosophie officielle de l'Église catholique. Il traite de tous les sujets de la philosophie et des sciences, et ses ouvrages principaux, Somme théologique (Summa theologica) et Somme contre les gentils (Summa contra gentiles), dans lesquels il présente une somme systématique des thèses théologiques, exercent toujours une influence considérable sur la pensée occidentale. Ses écrits reflètent le regain d'intérêt de son époque pour la raison, pour la nature et pour le bonheur terrestre, de même que pour la foi religieuse et l'aspiration au salut. Saint Thomas d'Aquin affirme contre les averroïstes que les vérités de la foi et les vérités de la raison ne peuvent se contredire, car elles s'appliquent à des domaines différents. C'est en se penchant sur les faits observables que les sciences et la philosophie découvrent les vérités, alors que les articles de la religion révélée, comme la Trinité, la création du monde et autres articles du dogme chrétien, dépassent les capacités de la raison humaine, bien qu'ils ne soient pas contraires à la raison, et doivent par conséquent être acceptés par la foi. La métaphysique, la théorie de la connaissance, l'éthique et la théorie politique de saint Thomas d'Aquin procèdent en grande partie d'Aristote, mais il ajoute à l'éthique naturaliste d'Aristote, dont le but est le bonheur en ce monde, les vertus pauliniennes (énoncées par saint Paul) de la foi, de l'espérance et de la charité, ainsi que l'objectif du salut éternel par la grâce. 5.4 Philosophie médiévale après saint Thomas d'Aquin Les plus importants critiques de la philosophie thomiste sont John Duns Scot et Guillaume d'Occam. 5.4.1 John Duns Scot John Duns Scot, qui élabore un système de logique et de métaphysique subtil et hautement technique, rejette la tentative de saint Thomas de concilier la philosophie rationnelle et la religion révélée. Modifiant la doctrine de la « double vérité « d'Averroès, il soutient que toutes les croyances religieuses sont une question de foi, exception faite de la croyance en l'existence de Dieu, qu'il estime logiquement démontrable. Contre la position de saint Thomas, selon laquelle Dieu agit conformément à sa nature rationnelle, John Duns Scot affirme que la volonté divine prévaut sur l'intellect divin et crée les lois de la nature et de la morale plutôt qu'elle ne les observe ; il se démarque ainsi de la conception du libre arbitre de saint Thomas. Sur la question des universaux, John Duns Scot développe un nouveau compromis entre le réalisme et le nominalisme, considérant que la différence entre les objets individuels et les formes que ces objets réalisent est une distinction plutôt logique que réelle. 5.4.2 Guillaume d'Occam Le scolastique anglais Guillaume d'Occam formule la critique nominaliste la plus radicale de la croyance scolastique en des entités invisibles et intangibles telles que les formes, les essences et les universaux. Il affirme que de telles entités abstraites ne sont que des mots se référant à d'autres mots. Son principe célèbre, nommé le « rasoir d'Occam «, selon lequel « il faut éviter de supposer l'existence de plus de choses qu'il n'est logiquement nécessaire «, est devenu un principe fondamental de la science et de la philosophie modernes. 5.4.3 Nicolas de Cuse Aux XVe et XVIe siècles, le renouveau de l'intérêt scientifique pour la nature s'accompagne d'une tendance à la mystique panthéiste. Le prélat catholique Nicolas de Cuse prépare l'oeuvre de l'astronome polonais Nicolas Copernic, en avançant l'idée que la Terre tourne autour du Soleil, ce qui ôte à l'humanité la place centrale dans l'Univers. De plus, il affirme que l'Univers est infini et identique à Dieu. 5.4.4 Giordano Bruno Le philosophe italien Giordano Bruno, qui identifie de façon semblable l'Univers à Dieu, développe les conséquences philosophiques de la théorie copernicienne et aboutit à un humanisme panthéiste qui lui vaut d'être condamné au bûcher par l'Inquisition. Sa philosophie marque les esprits et contribue à l'essor de la science et à la naissance de la Réforme. 6 Au PHILOSOPHIE MODERNE XVe siècle, la philosophie moderne est toujours le carrefour de deux systèmes de pensée, l'un fondé sur une interprétation mécaniste et matérialiste de l'Univers, l'autre sur la foi en l'homme comme seule réalité ultime. Ce croisement d'influences reflète l'effet croissant des découvertes scientifiques et des changements politiques sur la spéculation philosophique. Les XV et XVIe siècles constituent une période de progrès radical sur les plans social, politique et intellectuel. Les grandes découvertes, la Réforme, centrée sur la foi en l'individu, l'essor de la société urbaine et commerciale et le renouvellement culturel, esthétique et idéologique entraînent l'apparition d'une nouvelle vision philosophique du monde. 6.1 Mécanisme et matérialisme La vision médiévale d'un ordre hiérarchique d'êtres créés et gouvernés par Dieu est supplantée par une image mécaniste du monde, représenté comme une immense machine dénuée de fin et de volonté, et dont les composantes sont mues par les rigoureuses lois de la physique. La satisfaction des désirs naturels de l'homme l'emporte sur la quête du salut dans l'au-delà. Institutions politiques et principes moraux cessent d'être considérés comme le reflet de l'ordre divin et en viennent à être conçus comme des moyens pratiques créés par les hommes. Dans cette nouvelle optique philosophique, l'expérience et la raison humaine sont les seuls critères de vérité. 6.1.1 Francis Bacon Le premier grand représentant de cette nouvelle philosophie est le philosophe et homme d'État anglais Francis Bacon, qui attaque la foi dans l'autorité et dans le pouvoir du raisonnement, et critique la logique aristotélicienne. Il revendique une nouvelle méthode scientifique fondée sur l'induction généralisante à partir d'observations et d'expériences minutieuses. Il est le premier à formuler les règles de l'inférence inductive. 6.1.2 Galilée Cependant, l'importance de l'oeuvre de Galilée contribue plus encore à l'essor de la nouvelle vision du monde. Il accorde une importance particulière aux mathématiques dans la formulation des lois scientifiques. Ainsi crée-t-il la science de la mécanique, qui applique les principes de la géométrie aux mouvements des corps. Grâce à la mécanique, on découvre des lois naturelles fiables et utiles, ce qui entraîne Galilée, et d'autres scientifiques après lui, à croire que la nature obéit toute entière à des lois mécaniques. 6.2 Dualisme 6.2.1 Descartes Mathématicien, physicien et philosophe rationaliste, René Descartes fait siennes les critiques de Francis Bacon et de Galilée des méthodes et croyances de leur époque. Toutefois, à la différence de Bacon qui préconise une méthode inductive fondée sur les faits observables, Descartes fait des mathématiques le paradigme de toute science, appliquant sa méthode déductive et analytique à tous les domaines. Il prend la résolution de reconstruire l'ensemble de la connaissance humaine sur un fondement absolument certain, refusant toute croyance, même celle de sa propre existence, avant d'en avoir établi la vérité et la nécessité. C'est précisément en doutant de sa propre existence qu'il en découvre la preuve logique. Sa célèbre proposition Cogito, ergo sum (« Je pense, donc je suis «) lui fournit le seul fait certain ou axiome dont il peut déduire l'existence de Dieu et des lois naturelles élémentaires. En dépit de son point de vue mécaniste, Descartes accepte la doctrine religieuse traditionnelle de l'immortalité de l'âme et affirme que l'esprit et le corps sont deux substances distinctes, soustrayant ainsi l'esprit aux lois mécaniques de la nature et garantissant la liberté de la volonté. Avec cette distinction fondamentale du corps et de l'esprit, Descartes formule une philosophie relevant du dualisme. Dès lors se pose le problème de savoir comment s'effectue l'interaction de deux substances aussi différentes. 6.2.2 Hobbes Le philosophe anglais Thomas Hobbes édifie un vaste système de métaphysique matérialiste qui apporte une solution au dualisme en réduisant l'esprit aux mouvements internes du corps. En appliquant les principes de la mécanique aux domaines de la connaissance, il définit les concepts fondamentaux (vie, sensation, raison, valeur, justice) en termes de matière et de mouvement, et réduit de la sorte tous les phénomènes à des relations physiques et toute science à la mécanique. Dans sa théorie morale, Hobbes déduit les règles du comportement humain de l'instinct de conservation et justifie l'action égoïste comme étant une tendance naturelle de l'homme. Dans sa théorie politique, il qualifie les gouvernements et la justice sociale de créations artificielles reposant sur un contrat social. Il défend la monarchie absolue, dans laquelle il voit le moyen le plus efficace de préserver la paix. 6.2.3 Spinoza Le philosophe hollandais Baruch Spinoza propose de nouvelles solutions au dualisme, au conflit entre science et religion et au problème que pose la science mécanique en éliminant de la nature les valeurs morales. À l'instar de Descartes, il affirme qu'il est possible de déduire la structure entière de la nature de quelques définitions et axiomes élémentaires. La théorie cartésienne des deux substances crée le problème insoluble de l'interaction du corps et de l'esprit ; Spinoza en tire la conclusion que l'ultime sujet de connaissance ne peut être que la substance elle-même. Selon lui, Dieu, la substance et la nature sont identiques : toute chose est un aspect ou un mode de Dieu. Il représente par là le panthéisme fondé sur le déterminisme. Aussi affirme-t-il que la liberté de l'homme ne repose que sur l'ignorance de ce qui le détermine. D'origine et d'éducation juive, Spinoza est excommunié et banni d'Amsterdam par le rabbin en 1656 en raison de ses vues peu orthodoxes. La solution qu'il apporte au problème du dualisme par la théorie dite du parallélisme psychophysique repose sur l'idée que l'interaction du corps et de l'esprit n'est qu'une apparence, et qu'il faut en fait les considérer comme deux formes de la même substance. Comme l'éthique de Hobbes, celle de Spinoza se fonde sur une psychologie matérialiste qui fait de l'intérêt personnel l'unique source de motivation des hommes ; mais, à la différence de Hobbes, il affirme que l'intérêt personnel coïncide avec l'intérêt des autres et que la vie la plus satisfaisante est celle consacrée à l'étude scientifique culminant dans l'amour intellectuel de Dieu. 6.2.4 Locke Une des figures les plus influentes de la pensée anglaise, John Locke, poursuit la tradition empiriste amorcée par Bacon. Il dote l'empirisme d'une structure systématique avec la publication en 1690 de son Essai sur l'entendement humain. Il s'attaque à la croyance rationaliste de son temps en une connaissance indépendante de l'expérience. S'il accepte la distinction cartésienne du corps et de l'esprit et la description mécaniste de la nature, il imprime une nouvelle orientation à la philosophie en recommandant l'étude de l'esprit après celle du monde physique. Il érige ainsi la théorie de la connaissance en discipline majeure de la philosophie moderne. Locke s'efforce de réduire les idées à de simples éléments de l'expérience, mais opère une distinction dans les sources de l'expérience entre sensation et réflexion, la sensation fournissant la matière de la connaissance du monde externe et la réflexion celle de la connaissance de l'esprit. S'il n'est pas un sceptique, John Locke exerce néanmoins une influence considérable sur le scepticisme de la pensée britannique ultérieure, pour avoir attiré l'attention sur l'imprécision des concepts métaphysiques et sur le fait que l'on ne peut établir la preuve certaine des inférences qui portent sur le monde externe. Ses écrits éthiques et politiques ont une influence tout aussi significative sur la pensée postérieure. Les fondateurs de l'école moderne de l'utilitarisme, qui font du bonheur du plus grand nombre le critère du bien et du mal, s'inspirent largement des idées de Locke. En tant que défenseur du gouvernement constitutionnel, de la tolérance en matière de religion et du droit naturel, il a marqué le développement de la pensée libérale en Europe et aux États-Unis. 6.3 Idéalisme et scepticisme 6.3.1 Leibniz Philosophe, mathématicien et homme d'État allemand, Gottfried Wilhelm Leibniz élabore au XVIIe siècle un système de philosophie original, qui intègre à la fois des découvertes mathématiques et physiques de son temps et des conceptions religieuses issues de la pensée antique et médiévale. Leibniz développe dans la Monadologie (1714) sa conception du monde comme un nombre infini d'unités de force infiniment petites, appelées monades, chacune d'elles constituant un monde clos, qui, cependant, reflète toutes les autres monades dans son propre système de perception. Toutes les monades sont des entités spirituelles ; mais celles dont les perceptions sont les plus confuses forment les objets inanimés, tandis que celles dont les perceptions sont les plus claires et qui incluent la conscience de soi et la raison constituent les âmes et les esprits de l'humanité. Dieu est conçu comme la « monade des monades «, qui crée toutes les autres monades et détermine leur développement suivant une harmonie préétablie, ce qui crée l'apparence d'une interaction entre les monades. La conception de Leibniz selon laquelle toute chose est organique et spirituelle est à l'origine de la tradition philosophique de l'idéalisme. 6.3.2 Berkeley Le philosophe irlandais et évêque anglican George Berkeley fait de l'idéalisme une puissante école de pensée en y associant le scepticisme et l'empirisme. Approfondissant les doutes formulés par Locke sur la connaissance du monde extérieur par l'esprit humain, il affirme qu'il n'existe aucune preuve de l'existence d'un tel monde, étant donné que les seules choses observables sont nos propres sensations et que celles-ci se trouvent dans l'esprit. Exister, déclare-t-il, signifie être perçu ou percevoir (« Esse est percipi vel percipere «), et, pour exister lorsqu'on ne les observe pas, les choses doivent continuer à être perçues par Dieu. Sa philosophie, exposée dans le Traité sur les principes de la connaissance (1710) et dans les Dialogues entre Hylas et Phylonous (1713), suscite le mépris de ses contemporains. Mais, en affirmant que les phénomènes sensoriels sont les seuls objets de la connaissance, Berkeley introduit dans la théorie de la connaissance le phénoménalisme, selon lequel la matière peut être analysée en termes de sensations, et ouvre la voie au courant positiviste de la pensée moderne. 6.3.3 Hume Philosophe et historien, l'Écossais David Hume retourne la critique de la substance matérielle formulée par Berkeley contre la propre croyance de ce dernier en une substance spirituelle, arguant que nous ne disposons d'aucune preuve observable de l'existence d'une substance spirituelle (âme ou Dieu). Selon Hume, toutes les propositions métaphysiques portant sur des choses qui ne peuvent pas être immédiatement perçues sont dénuées de sens et devraient être « livrées aux flammes «. Dans ses analyses de la causalité et de l'induction, il montre qu'il n'existe aucune raison logique de croire que deux événements donnés sont liés par une connexion causale objective ou d'anticiper le futur à partir du passé. C'est l'habitude qui, confortée par la répétition, renforce cette connexion illusoire qui n'a lieu en fait que dans l'esprit. L'oeuvre de Hume a de profondes répercussions sur la science moderne, en incitant à utiliser les procédés de la statistique plutôt que les système déductifs et en encourageant à redéfinir les concepts fondamentaux. 6.4 Philosophie des Lumières 6.4.1 Kant En réponse au scepticisme de Hume, le philosophe allemand Emmanuel Kant construit un système de philosophie qui compte parmi les plus importants dans la culture occidentale. Kant affirme que toute connaissance est au confluent de l'expérience (structurée par les formes a priori de la sensibilité) et de l'idéalité transcendantale (les catégories de l'entendement). L'esprit impose sa forme et son ordre a priori à toute expérience. En soutenant que la causalité, la substance, l'espace et le temps sont des formes imposées à l'expérience par l'esprit, Kant corrobore l'idéalisme de Leibniz et de Berkeley. Mais sa position ne relève pas du pur idéalisme, car il adhère à la thèse empiriste selon laquelle les choses en soi, c'est-à-dire les choses telles qu'elles existent en dehors de l'expérience, ne sont pas connaissables. Ainsi, Kant limite la connaissance au « monde phénoménal « de l'expérience, affirmant que les croyances métaphysiques sur l'âme, le cosmos et Dieu (le « monde nouménal « transcendant l'expérience humaine) sont plus affaire de foi que de connaissance, parce qu'elles excèdent les limites de l'aperception humaine. Dans ses écrits éthiques, Kant affirme que les principes moraux relèvent de l'impératif catégorique, par lequel il entend des commandements absolus de la raison qui ne souffrent aucune exception et qui sont étrangers au plaisir et aux avantages pratiques. Dans ses réflexions sur la religion, qui ne manquent pas d'influencer la théologie protestante, il accorde une importance particulière à la conscience individuelle et représente Dieu essentiellement comme un idéal moral. Sur le plan de la pensée politique et sociale, Kant est une figure de proue du mouvement soutenant la raison et la liberté contre la tradition et l'autorité. 6.4.2 Les Lumières en France En France, l'activité intellectuelle culmine durant la période connue sous le nom de siècle des Lumières, qui contribue à stimuler les changements sociaux réclamés par la Révolution française. Parmi les principaux penseurs de cette époque figure Voltaire, qui, développant la tradition du déisme inaugurée par Locke et d'autres penseurs, réduit les croyances religieuses à celles qui, dans l'étude de la nature, peuvent être justifiées par déduction rationnelle. Autre penseur majeur des Lumières, Jean-Jacques Rousseau considère que la civilisation corrompt la nature humaine et soutient que l'État fondé sur le contrat social représente la volonté générale. Enfin, Denis Diderot, avec l' Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772) qu'il dirige avec d'Alembert et à laquelle contribuent de nombreux scientifiques et philosophes, forge une arme contre le fanatisme religieux, l'absolutisme politique et finalement contre l'Ancien Régime. 6.4.3 Les romantiques allemands Johann Gottlieb Fichte transforme l'idéalisme critique de Kant en idéalisme absolu en éliminant la « chose en soi « kantienne et en faisant de la volonté la réalité dernière. Fichte soutient que le monde est créé par un ego absolu, dont la volonté humaine n'est qu'une manifestation partielle, et qui tend vers Dieu comme vers un idéal non réalisé. Ses thèses passent pour athées, et Fichte est contraint d'abandonner sa chaire de philosophie à l'université d'Iéna en 1799. Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling va encore plus loin en réduisant toute chose à l'activité d'autoréalisation d'un esprit absolu, qu'il identifie avec l'impulsion créatrice de la nature. L'accent placé par le romantisme sur les sensations et sur le caractère divin de la nature trouve son expression philosophique dans la pensée de Schelling, qui influence le mouvement transcendantaliste américain incarné par le poète et essayiste Ralph Waldo Emerson. 6.5 Le temps des systèmes 6.5.1 Hegel L'Allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel est l'un des philosophes les plus influents du XIXe siècle. Son système, marqué par l'idéalisme absolu, se fonde sur une nouvelle conception de la logique qui fait du conflit ou de la contradiction l'élément nécessaire à la vérité, celle-ci étant conçue comme un processus et non comme un état de choses figé. La source de toute réalité est, pour Hegel, l'Esprit absolu, ou Raison universelle, qui, d'une existence abstraite et indifférenciée, progresse vers une réalité de plus en plus concrète, suivant un processus dialectique composé de stades de triades. Chaque triade implique premièrement un stade initial (ou thèse), deuxièmement un stade opposé (ou antithèse) et troisièmement un stade supérieur (ou synthèse), qui réunit les deux opposés. Dans cette optique, l'histoire obéit à des lois logiques, si bien que « tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel «. Les phases historiques tardives constituent des réalisations plus concrètes de l'Esprit absolu, dont on découvre le stade suprême de la réalisation de soi dans l'État national et dans la philosophie. Hegel renouvelle l'intérêt pour l'histoire en la représentant comme un degré de réalité supérieur à celui de la science naturelle. Sa conception de l'État national comme la plus haute incarnation sociale de l'Esprit absolu est considérée par certains comme la source majeure de l'idéologie totalitaire moderne, bien que Hegel lui-même ait largement plaidé en faveur de la liberté individuelle. 6.5.2 Critiques hégéliens : Schopenhauer et Kierkegaard L'Allemand Arthur Schopenhauer rejette l'optimisme de la foi hégélienne dans la raison et le progrès. En 1819, il publie le Monde comme volonté et comme représentation, exposé de sa philosophie athée et pessimiste. Schopenhauer soutient que la nature et l'humanité sont toutes deux des produits d'une volonté irrationnelle à laquelle on ne peut échapper qu'à travers l'art et le renoncement philosophique au désir de bonheur. Le Danois Søren Kierkegaard attaque également la prééminence de la raison dans le système hégélien. Brillant défenseur du sentiment de l'approche subjective des problèmes de la vie, il est devenu l'une des principales sources de l'existentialisme au XXe siècle. 6.5.3 Sociologie et utilitarisme : Comte et Mill Mathématicien et philosophe, Auguste Comte formule la philosophie du positivisme qui, récusant toute spéculation métaphysique, n'envisage de connaissance véritable que dans les sciences dites positives, ou factuelles. Comte place ainsi la sociologie, dont il est le fondateur, au sommet de sa classification des sciences. L'économiste britannique John Stuart Mill développe et affine pour sa part les traditions empiriste et utilitariste en publiant l'Utilitarisme en 1836, dont il applique les principes à tous les champs de la pensée. Stuart Mill et d'autres utilitaristes influencent nombre de réformes libérales sociales et économiques en Grande-Bretagne. 6.5.4 Théories évolutionnistes : Darwin et Spencer Si la vision mécaniste du monde propre au XVIIe siècle et la foi dans la raison et le sens commun qui prévalait au XVIIIe siècle ne perdent pas complètement leur influence, elles sont modifiées au XIXe siècle par des idées plus complexes et plus dynamiques issues de la biologie et de l'histoire plutôt que des mathématiques et de la physique. Particulièrement influente est la théorie de l'évolution biologique par la sélection naturelle exposée en 1858 par Charles Darwin, dont l'oeuvre inspire des conceptions de la nature et de l'humanité mettant en valeur le conflit et le changement, en opposition à l'unité et à la permanence de la substance. Le philosophe britannique Herbert Spencer développe également une philosophie évolutionniste fondée sur le principe de la « survie des plus forts «, qui explique tous les éléments de la nature et de la société en termes d'adaptation à la lutte cosmique pour la survie. À l'instar de Comte, il fonde la philosophie sur la sociologie et l'histoire, qu'il considère comme les sciences les plus avancées. 6.5.5 Marxisme Karl Marx et Friedrich Engels élaborent le matérialisme dialectique, fondé sur la logique dialectique de Hegel, dans lequel la matière, et non plus l'esprit, constitue la réalité dernière. Ils empruntent à Hegel l'idée que l'histoire se déploie selon des lois dialectiques et que les institutions sociales ont une réalité concrète supérieure à celle de la nature physique ou de l'esprit individuel. L'application de ces principes aux problèmes sociaux prend la forme du matérialisme historique : selon cette théorie, toutes les formes de culture sont déterminées par les relations économiques et toute l'histoire humaine est l'histoire de la lutte des classes. Cette thèse constitue la base idéologique du communisme. 7 PHILOSOPHIE DU XXE SIÈCLE 7.1 Le tournant : Nietzsche L'Allemand Friedrich Nietzsche reprend l'idée chère à Schopenhauer de vie comme expression d'une volonté cosmique, mais il fait de la « volonté de puissance « la source de toute valeur. Violemment critique à l'égard de l'éthique religieuse, notamment chrétienne, il prône un retour aux vertus plus primitives et plus naturelles du courage et de la force. Dans le sillage de la révolte romantique contre la raison et l'organisation sociale, il préconise le « renversement des valeurs « et place le bien dans l'affirmation de la puissance du moi, et le mal dans ce qui le contrarie. Il espère l'avènement du « surhomme « qui pourrait s'affirmer sans entraves. 7.2 Pragmatisme 7.2.1 Peirce et James Vers la fin du XIXe siècle, le pragmatisme devient l'un des plus puissants mouvements de pensée aux États-Unis. Il s'inscrit dans la tradition empiriste qui fonde la connaissance sur l'expérience et qui a recours aux procédés d'induction de la science expérimentale. Charles Sanders Peirce formule une théorie pragmatique de la connaissance, pour laquelle le sens d'un concept réside dans les prédictions que rend possibles son usage et qui sont vérifiables par l'expérience future William James est à l'origine d'une théorie pragmatique de la vérité. Il définit la vérité comme la capacité d'une croyance à nous guider vers une action réussie, et propose d'évaluer toutes nos croyances en fonction de leur aptitude à résoudre des problèmes. C'est sur cette base pragmatique que James justifie la religion. 7.2.2 Idéalisme pragmatique L'idéalisme devient un puissant courant de pensée en Grande-Bretagne à travers l'oeuvre de Francis Bradley qui, à l'instar de Hegel, affirme que toute chose doit être conçue comme un aspect de la totalité absolue. Bradley récuse l'existence des relations, arguant que le seul et unique sujet réel de la pensée pouvant être postulé est l'Absolu, et que la dualité n'est qu'apparence. Pour lui, dès lors qu'on affirme qu'une chose a une certaine caractéristique, il faut que ladite chose, en tant que sujet, soit le monde dans sa totalité et la réalité en soi. Toute autre hypothèse est contradictoire, car la réalité en soi est la dernière chose à avoir des prédicats contradictoires (par exemple, un poêle est tantôt chaud, tantôt froid). Le philosophe britannique John McTaggart poursuit lui aussi l'idéalisme hégélien, affirmant que l'espace et le temps sont irréels parce qu'on ne peut les concevoir sans se contredire. La seule réalité est à ses yeux l'esprit. Un autre philosophe britannique, Bernard Bosanquet, qui reprend comme McTaggart l'idéalisme hégélien, met l'accent sur le côté esthétique et dramatique du monde en marche. Josiah Royce, qui appartient au courant idéaliste américain, associe à l'idéalisme certains éléments du pragmatisme. Il interprète la vie humaine comme l'effort déployé par le moi fini pour devenir le moi absolu à travers la science, la religion et la loyauté envers de plus larges communautés. 7.2.3 Dewey Philosophe, pédagogue et psychologue américain, John Dewey reprend les principes pragmatiques de Peirce et de James pour élaborer un vaste système de pensée qu'il appelle « naturalisme expérimental «, ou instrumentalisme. Dewey met l'accent sur le fondement biologique et social de la connaissance et sur le caractère instrumental des idées comme plans d'action. Il préconise une approche expérimentale en éthique, capable de rattacher les valeurs aux besoins individuels et sociaux. Par l'importance qu'elle accorde à la préparation de l'individu à une activité créatrice au sein d'une société démocratique, sa théorie de l'éducation exerce une profonde influence sur l'évolution des méthodes d'éducation aux États-Unis. 7.3 Raison et sensation, expérience et intuition 7.3.1 Bergson En France, l'une des pensées les plus influentes du début du XXe siècle est le vitalisme évolutionniste d'Henri Bergson, défenseur de l'élan vital, énergie spontanée du processus d'évolution qui permet à la vie de durer et de prendre de nombreuses formes. Dans l'Évolution créatrice (1907), Bergson oppose la sensation et l'intuition à l'approche analytique de la nature adoptée par la science et la philosophie scientiste. 7.3.2 Husserl et la phénoménologie En Allemagne, Edmund Husserl, fondateur de l'école de la phénoménologie, étudie les structures de la conscience qui permettent à celle-ci de se rapporter à des objets externes. Selon lui, il existe une science des essences, car la conscience, grâce à l'intentionnalité (c'est-à-dire la conscience qui est toujours la conscience de quelque chose), peut atteindre la chose elle-même en tant qu'elle est distincte du sensible. Dans Recherches logiques (1900-1901), Husserl essaie également de fonder une science des relations entre les objets idéaux qui ont nécessairement une existence indépendante de la conscience psychologique qui les saisit. 7.3.3 Whitehead Le mathématicien et philosophe Alfred North Whitehead ravive l'intérêt pour la métaphysique spéculative en construisant un système de concepts qui relie la théorie platonicienne des idées à l'organicisme de Leibniz et de Bergson. Whitehead, qui est aussi physicien, montre l'impuissance de la science mécanique à donner une interprétation exhaustive de la réalité. Les choses ne sont en effet pas des substances immuables bien délimitées dans l'espace, mais des processus d'expérience vivants, exprimant des objets éternels (ou universaux) et liés à ceux-ci par Dieu. 7.3.4 Santayana et Croce Le poète et philosophe américain George Santayana cherche à fondre pragmatisme, platonisme et matérialisme en une vaste philosophie qui met l'accent sur les valeurs intellectuelles et esthétiques. Benedetto Croce érige à son tour l'idéalisme en un courant dominant de la philosophie italienne. Il renouvelle le concept hégélien de réalité comme processus de développement historique à travers l'opposition des contraires, en insistant plus sur la sensation et l'intuition que sur la raison abstraite comme source de vérité ultime. 7.4 Philosophie analytique 7.4.1 Empirisme logique : Russell Bertrand Russell poursuit les traditions empiriste et utilitariste de la pensée britannique. Par son application aux problèmes de la philosophie des découvertes faites en logique, en mathématique et en physique, Russell exerce une influence considérable sur l'école de l'empirisme logique. Dans Principia mathematica (1910-1913), il expose sa « théorie des types logiques « qui hiérarchise les classes pour résoudre certaines antinomies. Le philosophe britannique George Edward Moore, principale figure de la « révolte réaliste « contre l'idéalisme, défend la réalité des objets de croyance du sens commun. Russell et Moore ont marqué de leur influence la philosophie analytique. L'école de l'empirisme logique ou positivisme logique, fondée à Vienne, devient un puissant courant de la pensée américaine. L'empirisme logique, qui unit le positivisme de Hume et de Comte à l'exigence cartésienne et kantienne de rigueur et de précision logique, rejette la métaphysique comme étant un jeu de mots dénué de sens, insiste sur la définition de tous les concepts en termes de faits observables et assigne à la philosophie la tâche de clarifier les concepts et la syntaxe logique de la science. 7.4.2 Analyse linguistique : Wittgenstein Le courant de la philosophie analytique appelé « analyse linguistique «, inspiré par l'oeuvre de Moore et développé de façon explicite par Ludwig Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus (1921), domine jusqu'à nos jours la philosophie britannique (voir linguistique). Cette école de pensée rejette elle aussi la métaphysique spéculative et limite la tâche de la philosophie à l'élucidation, par l'analyse des mots du langage ordinaire, des contradictions et des apories produites par l'ambiguïté du langage. Elle identifie le sens d'un mot à la façon dont le mot est généralement utilisé. 7.5 Philosophie existentielle Plongeant ses racines dans la révolte romantique du XIXe siècle contre la raison et la science en faveur de l'engagement passionné dans la vie, la philosophie existentielle est introduite en Allemagne par l'intermédiaire des oeuvres de Martin Heidegger et de Karl Jaspers. 7.5.1 Heidegger et la fin de la métaphysique Martin Heidegger opère une synthèse de l'approche phénoménologique de Husserl, de la thèse de Kierkegaard sur l'intensité des émotions et de la conception hégélienne de la négation comme force réelle. Il affirme que l'histoire de la philosophie occidentale repose sur un oubli de l'Être de l'étant et que les philosophes ont ainsi expliqué l'Être à partir d'un autre étant (Dieu, par exemple). Dans Être et Temps (1927), il entend ainsi marquer la fin de la métaphysique en déclarant que l'Être est la somme de tous les étants, de tout ce qui est. Karl Jaspers, quant à lui, trouve Dieu, qu'il appela Transcendance, dans les intenses expériences émotionnelles des hommes. 7.5.2 Sartre En France, Jean-Paul Sartre est la figure de proue de l'existentialisme. Ses ouvrages théoriques, ses romans et ses pièces de théâtre renouent avec nombre de thèmes traités par Marx, Kierkegaard, Husserl et Heidegger. Ils offrent une conception de l'être humain libre qui se projette lui-même dans la vie sociale, en affirmant ses propres valeurs morales et en assumant la responsabilité morale de ses actes. 7.5.3 Autres philosophes existentialistes José Ortega y Gasset, principale figure de la philosophie existentielle en Espagne, oppose l'intuition à la logique et critique la culture de masse et la société mécanisée des temps modernes. Le philosophe et homme de lettres israélien d'origine autrichienne Martin Buber associe le mysticisme juif à certaines tendances de la pensée existentielle, et interprète ainsi l'expérience humaine comme un dialogue de l'individu avec Dieu. Différentes synthèses de la théologie traditionnelle et de la conception existentialiste de la connaissance, relevant davantage de l'émotion que de la science, sont réalisées en Suisse par Karl Barth, et aux États-Unis par Reinhold Niebuhr et Paul Tillich. 7.6 Éclatement des tendances 7.6.1 Renouveau du marxisme En Europe, le marxisme connaît un nouvel essor, notamment en France avec Louis Althusser, en Italie avec Antonio Gramsci et en Allemagne avec les héritiers de l'école de Francfort comme Jürgen Habermas (Théorie de l'agir communicationnel, 1981). 7.6.2 Théorie de la connaissance La théorie de la connaissance est marquée en France par les ouvrages de Gaston Bachelard (le Nouvel esprit scientifique, 1934), d'Alexandre Koyré (Du monde clos à l'univers infini, 1957), de George Canguilhem (Études d'histoire et de philosophie des sciences, 1968) et d'Ilya Prigogine (la Nouvelle Alliance, 1979). 7.6.3 Structuralisme et déconstruction Le structuralisme, issu des travaux de Ferdinand de Saussure (Cours de linguistique générale, 1922), domine les sciences humaines pendant les années 1960 grâce aux travaux de Claude Lévi-Strauss (la Pensée sauvage, 1962) et de Michel Foucault (les Mots et les Choses, 1966). En outre, la pensée de Heidegger laisse de profondes traces en France, comme en témoignent les ouvrages de Jacques Derrida (la Voix et le Phénomène, 1967), qui entreprend une « déconstruction « de la métaphysique occidentale. 7.6.4 Renouveau de la métaphysique La réflexion sur l'apport de Nietzsche et de Freud, et sur le symbolisme renouvelé par Ernst Cassirer (Philosophie des formes symboliques, 1923-1929), donne l'occasion à Paul Ricoeur de traiter des grands thèmes de la philosophie morale et de la métaphysique (Finitude et culpabilité, 1960). Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.