Phèdre, Racine: Acte II scène 5
Publié le 23/11/2010
Extrait du document

I- Une déclaration déguisée
A- L’effacement de Thésée
Hippolyte se méprend sur l’origine du trouble de Phèdre, imaginant que c’est son « chaste amour « qui la perturbe. Phèdre utilise alors ce quiproquo pour déguiser son aveu. Racine ne démêle pas dans le portrait de l’objet aimé ce qui appartient à Thésée et ce qui revient à Hippolyte. Ainsi par cette ambiguïté il met en valeur l’aveu honteux de Phèdre. En effet elle parle malgré elle dans le désarroi de sa conscience, il lui faut donc travestir sa passion.
L’acquiescement de Phèdre « oui, Prince « est déjà ambigu, elle répond à la remarque d’Hippolyte « Thésée est présent à vos yeux «. Pour se délivrer de l’aveu Phèdre saisit la première occasion mais elle utilise le subterfuge. En effet sa passion est violente, trop violente pour s’adresser à un Thésée mort. Dans le premier vers les accents sont d’ailleurs mis sur les verbes, avec une coupe forte au deuxième vers, « je languis, je brûle…je l’aime « ce qui traduit l’intensité de ses émotions. Elle semble envahie par un désordre physiologique dont Thésée, qui n’apparaît qu’en fin de vers, n’est pas la cause. Toute la gloire de Thésée est par ailleurs engloutie par trois vers dans le royaume des ombres. : Il est présenté comme infidèle « volage adorateur « qui considère Proserpine comme une dernière conquête. Phèdre se montre ainsi réticente à évoquer la gloire passée de son mari comme le démontre le rythme rapide des vers 635-637. « Je l’aime « n’est qu’un je t’aime déguisé et l’effacement de Thésée va permettre l’apparition d’Hippolyte paré de la gloire de son père.
B- L’apparition d’Hippolyte
Au portrait de Thésée se substitue celui du fils ; à l’infidélité la fidélité, à la dispersion la réserve, à l’impureté la pureté. Il faut ainsi lire le vers 635 avec le second hémistiche du vers 640 pour être sensible à la répétition du mot voir « je l’aime non point tel que l’ont vu les enfers (mais) tel que je vous voi «. Cette répétition souligne l’opposition entre le père et le fils. Aux trois vers rapides qui effaçaient la gloire de Thésée succède un vers aux mesures lentes, aux coupes fortes, « mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche «.On note les allitérations en –m- et en –f- et les assonances en –i- et en –è- qui forment une harmonie et soulignent le gloire d’Hippolyte. Phèdre dépeint une beauté inconsciente d’elle-même, un charme « farouche «. Ainsi Hippolyte, s’il attire les cœurs, ce n’est point pour accumuler les conquêtes, comme le volage Thésée, c’est involontairement. Malgré la décence de son langage Phèdre a donc déjà avoué son amour à Hippolyte, par personne interposée, en attribuant à Thésée les qualités d’Hippolyte. On peut le remarquer à l’entrelacement des pronoms et des prénoms « je, Thésée, Il, vous, Hippolyte, Vous, je, Phèdre «. Au couple « moi, lui « succède le couple « vous, moi « par l’intermédiaire du subterfuge « lui, vous «. Thésée n’est qu’un prétexte, l’intercesseur entre Hippolyte et Phèdre. Hippolyte entre ainsi dans la légende de Phèdre à la place de Thésée. Enfin elle compare la perfection d’Hippolyte à celle des dieux « tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi «. Dès lors l’aveu est manifeste.
II- Une réelle passion
A- Un rêve héroïque
Le jeune Hippolyte n’a pas tué de monstres, pas dompté de brigands, pas conquis de pays. Phèdre lui fait cadeau d’un merveilleux passé : celui de son père. Elle invente une histoire faite d’aventures « il traversa les flots «, de jeunes filles admiratives « digne sujet des vœux des filles de Minos «, dans un cadre magnifique, la Crète au ciel empli de dieux. Ces noms propres font ainsi entrer Hippolyte dans la légende dorée. Ce rappel du passé de Thésée marque aussi le point de départ du rêve de Phèdre, l’image de Thésée cède le pas à celle d’Hippolyte. Phèdre efface de sa mémoire le souvenir de Thésée et n’affiche plus la même retenue puisqu’elle va jusqu’à prononcer le nom d’Hippolyte. Par deux questions rythmées par le mot « pourquoi « Phèdre rend justice à Hippolyte, elle le fait figurer parmi l’élite de la Grèce, elle répare l’injustice de l’âge qui a écarté Hippolyte de l’expédition. Le temps que Phèdre évoque est celui de l’innocence, le temps où elle aurait pu aimer Hippolyte sans crime. Elle cherche alors à séduire Hippolyte par un rêve héroïque, elle déploie devant ses yeux une fresque magnifique des exploits qu’il aurait pu accomplir. Ce rêve est traduit par le jeu des temps : au passé « ne pûtes-vous « qui fut réel, succède l’irréel du passé qui aurait pu avoir lieu « vous auroit péri «. Phèdre recrée un destin sur mesure en soulignant le rôle d’Hippolyte. Ainsi la construction du vers 649 « par vous auroit péri le monstre de la Crète « fait porter l’accent sur le mot « vous «. Phèdre insiste ainsi sur la grandeur d’Hippolyte capable de délivrer la Crète d’un fléau. A ce rêve héroïque s’associe enfin le rêve amoureux.
B- Un rêve amoureux.
Phèdre n’hésite plus à lever les yeux sur Hippolyte pour décrire au héros sa propre séduction. La répétition de l’adjectif possessif « votre port, vos yeux, votre langage « montre bien le vertige sensuel auquel Phèdre se laisse aller. Elle est conquise par la prestance, le regard, la voix du jeune héros et même par sa gêne « cette noble pudeur «. Mais Racine évite l’indécence ; le vocabulaire transpose la passion physique, les épaules deviennent le « port «, la voix le « langage «. De plus cette déclaration est faite au passé, temps qui introduit entre Phèdre et Hippolyte une certaine distance. Dans ce rêve Phèdre évoque sa sœur et le couple qu’elle aurait formé avec Hippolyte ; mais elle fait disparaître ce couple « dans ce dessein je l’aurois devancée « au profit du couple Hippolyte-Phèdre. Mais l’évocation rapide d’Ariane et de son « fil fatal « rappelle la malédiction de la famille ; l’amour de Phèdre participe de la même fatalité. Phèdre devient en effet actrice de son propre rêve dans une révélation qui reprend le mouvement du premier vers (« oui, Prince «) « Mais non,… l’amour m’en eût…inspiré la pensée. « L’aveu est si clair que le mot « amour «, si longtemps contenu, éclate en début de vers. Dès cet instant le débit de Phèdre se précipite, les digues de la pudeur ont cédé comme en témoignent la répétition haletante « C’est moi, Prince, c’est moi «, le rythme précipité des vers. Phèdre est toute humilité, tout dévouement « c’est moi dont l’utile secours «.Elle se crée avec Hippolyte une intimité en évoquant les inquiétudes de l’amour « Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante ! «. Avec le démonstratif « cette « la passion s’attarde sur l’objet aimé, Phèdre se livre à la ferveur de son amour. Elle s’est à ce point dédoublée par le rêve qu’elle s’évoque comme une autre et parle d’elle à la troisième personne « votre amante…Phèdre …se serait avec vous retrouvée, ou perdue. Le destin de Phèdre est ainsi résumé dans le dernier vers, la vision des amants s’achevant par une pente vertigineuse. Le rythme met en effet en valeur « ou perdue «, le rêve de Phèdre se termine sur un irrémédiable échec.
Liens utiles
- Racine, Phèdre, Acte I, scène 3
- Conclusion du Commentaire Littéraire de la Scène 7 de l’Acte V de Phèdre de Racine.
- cOMMENTAIRE pHÈDRE raCINE Acte 2 scène 5
- Commentaire acte IV scène 2 Phèdre de Racine (incomplet)
- Phèdre de Racine - Acte IV Scène 5 - Commentaire Composé