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PHEDRE ( I , 3 ) de Racine : tirade de Phèdre uniquement (vers 269 à 316)- commentaire

Publié le 22/10/2010

Extrait du document

racine

 

INTRODUCTION : 

Situation de l'extrait: 

La pièce se passe à Trézène, dans le Péloponnèse. Le roi d'Athènes, Thésée, fils d'Egée, a disparu depuis plusieurs mois et passe pour mort ; Hyppolyte, fils de sa première femme, a été exilé à Trézène, à la demande de Phèdre, seconde femme du roi. Apparemment cette dernière, fille de la malheureuse Pasiphaé qui se consuma d'amour pour un taureau dont elle eut un enfant monstrueux, déteste son beau-fils. Mais les deux premières scènes nous révèlent une Phèdre mourante, rongée par une maladie inconnue. Ce mal, c'est l'amour : Phèdre, pressée par sa nourrice Oenone, vient de lui avouer qu'elle aime Hyppolyte. Depuis quand? Pas seulement depuis son actuel séjour à Trézène.

 

Nature du texte : 

Cette scène est une forme de récit au théâtre, de narration au théâtre, qui permet de faire le point de l'action : ce récit tragique nous livre une peinture de la passion, elle montre la faiblesse de l'être humain agité par ses passions, et soumis particulièrement dans cette pièce de Phèdre au sentiment de la Faute. 

 

Plan de la tirade de Phèdre : 

- Récit des conditions dans lesquelles Phèdre a connu Hippolyte (vers 269 à 277)

- Récit des efforts inutiles qu'elle a tentés pour combattre cet amour (vers 278 à 297)

- Récit de la terrible fatalité qui a ramené Hippolyte en sa présence (vers 298 à 303)

- Récit des conséquences que cette fatalité a entraînées (vers 304 à 316).

 

I ) LA VALEUR DRAMATIQUE

La tragédie racinienne commence à un moment critique : Phèdre, épuisée par des années 

de souffrance n'est plus, selon les mots de Théramène (v.44), qu'«Une femme mourante et qui cherche à mourir«.

 

1.L'aveu longtemps retenu :

Oenone, désespérée, a conjuré sa maîtresse de lui révéler le mal secret qui la ronge et les raisons qu'elle a de souhaiter quitter la vie. Phèdre se laisse entraîner peu à peu à l'aveu de son amour pour Hyppolyte. Cet aveu est ici le premier des trois qui jalonnent la pièce ( II, 5 : à Hyppolyte ; V , 7 : à Thésèe). Mais alors que les deux suivants feront dévier immédiatement le cours de l'action, ce lui-ci demeure sans effet spectacualire sur le déroulement dramatique. Phèdre, au seuil de la mort, s'accorde de rompre enfin son douloureux silence. C'est l'explosion de la détresse en une longue confidence (42 vers). La passion longtemps refoulée éclate avec violence. Cet aveu va permettre à Oenone de jouer un rôle actif dans les décisions ultérieures de la reine. C'est ce qui fait son intérêt dramatique, intérêt dramatique qui découle surtout du rôle d'exposition de cette scène.

 

2) L' exposition.

Racine a l'habileté de nous livrer le premier acte d'exposition dans une confession, où l'héroïne revit la naissance de sa passion et ses efforts pour s'en délivrer. L'amour de Phèdre remonte à des années, au temps même de son mariage avec Thésèe, beaucoup plus âgé qu'elle (v. 269 – 272.) .

La passion est décrite non seulement moralement mais physiquement. Nous apprenons la genèse de cette passion, la façon dont elle est née, brutale, excessive, dont elle s'est ancrée, devenant une idée fixe (290 : Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père), que pourtant Phèdre a combattue. Toute une série de tableaux surgissent devant nous, comme autant de péripéties. Enfin la passion que peint Racine est une passion exaspérée ( exacerbée) : elle est ancienne (vers 269) et d'autant plus tragique qu'elle est combattue en vain.

 

 

3) Coupable ou innocente ?

- L'amour ressenti est présenté comme un "mal" (269) qui trouble l'âme et l'aveugle (274), un tourment redoutable (277), qui désespère et tue.

- Phèdre est présentée comme une femme honnête, pure, une victime de deux fatalités : une fatalité interne qui la consume malgré elle et une fatalité externe qui s'est imposée à elle quand son mari l'a ramenée à Trézène.

- Racine s'efforce de rappeler tous les efforts que son héroïne a tentés pour oublier, pour guérir, pour obtenir d'abord des Dieux (285), puis d'elle-même et de son mari le remède qui la guérirait.

- Enfin Phèdre a le sentiment d'une déchéance, de sa Faute, qui moralement la relève à nos yeux.

Tout concourt à présenter Phèdre non comme un monstre, mais comme une victime et à éveiller auprès de spectateur la sympathie, le respect et la pitié. C'est la raison pour laquelle elle demeure si séduisante, si attachante, si émouvante.

Nous découvrons donc en Phèdre une femme émouvante, qui attire la sympathie : accablée par une passion foudroyante, elle n'accepte pas les petits compromis que Madame de La Fayette prête à son héroïne dans La Princesse de Clèves (marquée par Phèdre ; 1678 ) ; mais elle prie la divinité et trouve enfin le courage de faire bannir celui qu'elle aime, en simulant pour lui la haine (v. 291 – 296). Elle a depuis lors tenté de dissiper ses tourments ( ses «ennuis«). Loin d'être complice de cet amour, elle s'écrie : «J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur« (v. 308), et rêve d'un redressement cornélien, d'une mort par laquelle elle conserverait l'estime d'elle-même ; elle le dit en des termes fréquents chez Corneille : 

" Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire " (v. 309).

C'est cette innocence du coeur qui la rend si pathétique et qui nous empêchera de la condamner, même quand elle calomniera (pour peu de temps) Hyppolyte ; Contrainte à l'aveu, Phèdre parle de sa passion avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu'un mouvement de sa volonté.

 

4) L'inspiration tragique : Le rôle de la Fatalité : 

Cette impuissance de sa volonté en face de forces qui l'écrasent fait de la reine un personnage purement tragique. Les mots créateurs de tragédie sont là : "fatal hymen" (v. 300), "cruelle destinée" (v. 301). Une puissance hostile s'acharne à rendre vains tous les efforts humains, "Vaines précautions". C'est Thésée lui-même qui, comme bientôt Monsieur de Clèves, a imposé à sa femme la présence de l'être aimé : 

" Par mon époux lui−même à Trézène amenée,

J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné." (v. 302 – 304 ). 

Tout d'abord le tragique est d'origine surtout psychologique et d'ordre individuel : Racine peint le trouble d'une âme torturée, qui a mesuré l'inutilité de ses efforts et semble arrivée au comble du malheur et du désespoir. Mais à côté de ce tragique d'essence (d'origine) surtout psychologique et d'ordre individuel, apparaît un tragique plus profond, plus irrémédiable, c'est celui d'une Fatalité mystérieuse, invisible, acharnée, qui déjoue tous les calculs et rôde autour de nous. 

Phèdre est d'abord accablée (274 ), puis haletante, égarée ( 279), pitoyable (289), révoltée (292,293,294 ), épouvantée ( 306), angoissée ( 310), et enfin désespérée (313 à 316 ). Ce sont les sursauts d'une âme pure, en quête d'innocence et de bonheur, persuadée que, désormais, tout est perdu.

Mais cette fatalité ne joue pas seulement un rôle dramatique : elle révèle tout un arrière-plan mythologique.

 

 

II) LA POESIE RACINIENNE : Racine utilise la valeur poétique de la mythologie et a voulu ne rien perdre des ornements de la fable.

1.L'arrière-plan mythologique :

Phèdre a le sentiment d'appartenir à l'une de ces familles maudites décrites par les tragiques grecs : les Atrides, la race d'Oedipe... L' héroïne a rappelé peu avant son aveu le malheur de sa mère Pasiphaé, de sa soeur Ariane ( v. 250 et 253-254 ). Mais ici cette fatalité n'est pas aveugle, a un nom : comme chez Homère, une déesse s'acharne sur cette famille, Vénus, offensée, dit-on, d'être peu honorée par Pasiphaé : 

"Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,

D'un sang qu'elle poursuit, tourments inévitables."

La malheureuse a vu sa soeur et sa mère rongées par la passion; elle attendait son tour. Aux premiers symptômes, elle sait. 

" C'est Vénus toute entière à sa proie attachée. ", Vénus, si charmante dans les fables, devient ici rapace ou déesse-vampire.

 

2) Le vocabulaire : Les mots expressifs, concrets, réalistes (273 – 276 – 284 – 285...)

Les alliances de mots ( 272 : superbe ennemi ; 310 : flamme si noire).

Rajeunissement des métaphores précieuses : Tant de violence confère (donne) une portée nouvelle aux vieilles métaphores de la préciosité : " mon superbe ennemi " (v. 272 ), " Vénus et ses feux redoutables " (v. 277 ), " l'ennemi dont j'étais idolâtre " (v. 293), " Ma blessure trop vive " (v. 304). 

 

3) Le rythme : Phèdre revit intensément la naissance de sa passion par des paroles haletantes : 

"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;

Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue;

Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,"

Des cris, des lamentations suspendent le cours de l'aveu : 

" O comble de misère! " (v. 289 ).

" Vaines précautions! Cruelle destinée! " (v. 301 ).

Le seul repos goûté par la malheureuse est traduit par les contrastres de rythme et la mise en relief du verbe en tête du vers : 

" Je pressai son exil, et mes cris éternels 

L'arrachèrent du sein et des bras paternels.

Je respirais, Oenone; et depuis son absence,

Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence; " 

Le rythme haletant , les exclamations, les phrases coupées et saccadées surtout à la fin correspondent à l'épuisement de l'âme qui vient de s'épancher.

 

4) La musicalité : La musicalité s'exprime par le chant des i et des u, à la rime et au sein des vers : 

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;

Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue;...

Je sentis tout mon corps et transir et brûler.

Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,...

Par des voeux assidus je crus les détourner...

Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis...

J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné:

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée..." 

La tristesse, la mélancolie, tantôt brûlantes, tantôt froides, de ces vers font place, par moments, à la brutalité des dentales et à l'éclat menaçant des a : à la rime (v. 277 – 278 ) ou dans tout un vers, 

" C'est Vénus toute entière à sa proie attachée. ", où le son a revient et où le hiatus que les deux derniers mots imposent à l'oreille traduit l'acharnement de la déesse.

 

III) L'AMOUR – MALADIE : 

Nourri d'oeuvres grecques, élevé à Port-Royal, Racine a vu l'amour comme une maladie.

 

1) Le regard :

Dans le coeur de Phèdre, la flamme a jailli brusquement. Phèdre a vu et la tragédie est née. Ce rôle fulgurant du regard est traduit par les passés simples. Immédiatement, c'est la passion, et la raison, la volonté sont balayées.

2) Les effets physiques : 

Le personnage commence une longue agonie, qui le conduira à l'épuisement de l'âme et du corps. 

3) Rajeunissement des métaphores précieuses : 

Tant de violence confère (donne) une portée nouvelle aux vieilles métaphores de la préciosité : 

" mon superbe ennemi " (v. 272 ), " Vénus et ses feux redoutables " (v. 277 ), " l'ennemi dont j'étais idolâtre " (v. 293), " Ma blessure trop vive " (v. 304). Tous ces mots font mal : les feux brûlent soudain la malheureuse auparavant grelottante... Rien de conventionnel ici, car la blessure est réellement porteuse de mort!

 

4) Une maladie :

L'amour racinien abat et conduit à la catastrophe. La volonté reste impuissante. La prière et les rites magiques ne servent à rien ; Phèdre est une "possédée " sans espoir de salut. 

L'amour est une affection au sens médical : "un trouble" (v. 274 ), une folie (v. 282 ), un mal "incurable" (v. 283 ), une blessure (v. 304 ), une fièvre consumante (v. 305 ). L'imagination malade est livrée à ses fantasmes : souvenirs toujours prêts à s'imposer (ils s'expriment dans ce récit même), image de l'être aimé partout retrouvée ( v. 285 – 288 et 290 ). D'une telle passion on ne se délivre pas ; tout au plus connaît-on un répit provisoire et relatif : 

" Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence... "

 

5) Un crime : 

Mais ce qui est nouveau dans Phèdre, c'est la force du sentiment de la faute. Les héros des pièces antérieures étaient lucides, mais ne portaient guère de jugement moral sur leur démence amoureuse. Ici, tout au contraire! Phèdre est pour elle-même un juge impitoyable: 

" J'ai conçu pour mon crime une juste terreur.

J'ai pris la vie en haine et ma flamme en horreur... " (vers 307 et 308).

De là ces termes d' "innocence" (v. 298 ), de " flamme si noire " (v. 310) opposée à la lumière du jour dans une de ces antithèses discrètes dont Racine a le secret ,

On a vu là l'union du sens chrétien de la faute au pessimisme de certains Grecs en face de l'amour (Platon...).

 

CONCLUSION : Que peut-on retenir de Racine derrière son personnage ?: Derrière Racine apparaît : 

- L'artiste qui renouvelle entièrement la donnée que lui fournissait Euripide : la Phèdre d' Euripide est antipathique, criminelle, Euripide n'a pas cherché à l'innocenter.

- Le janséniste qui peint la toute puissance de la fatalité.

- Le chrétien qui montre les dieux païens plus insensibles que le Dieu des Chrétiens.

- Le psychologue qui sait aller au fond des coeurs, deviner et peindre les âmes ravagées et découvrir les drames cachés surtout dans les coeurs féminins.

- L'écrivain dramatique qui choisit pour donner plus de violence aux sentiments le moment où, après une longue attente, l'action approche de son dénouement et où la passion se trouve en conflit avec un obstacle (l'honnêteté de Phèdre) qui l'empêche de se satisfaire et lui donne ainsi son exaspération. 

 

 

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