Peut-on dire que l’on est entièrement libre de penser ?
Publié le 09/01/2011
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Peut-on dire que l’on est entièrement libre de penser ?
La célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reconnaît dans un de ses plus fameux articles, le droit inaliénable de la liberté de penser pour l'individu. Elle accorde en cela au citoyen le principe simple de l'autoriser à penser ce qu'il veut et d'être libre, comme on dit, de ses opinions. De la dimension politique à son universalisation au domaine générale de la pensée, ce lien entre la pensée et la liberté ne va pas sans poser des difficultés : chacun se reconnaît-il le droit de penser à sa guise, de penser n'importe quoi ?
Cette question est à la fois morale, puis-je, en effet, en conscience et moralement, penser n'importe quoi ? Et logique :
Puis-je avoir des pensées contraires à la raison ou à la vérité ? Est-ce légitime par exemple de penser en conscience que 2+2=5 ?
Si la pensée dans un premier temps est bien désignée comme une activité intérieure autonome, il nous semble clair que nul ne peut en droit l'empêcher mais n'y a-t-il pas en fait des limites à notre liberté? Nos opinions, nos choix sont-ils toujours les nôtres ?
Le caractère inaliénable de la liberté de penser semble dans un premier temps évident. En effet, on peut considérer que chacun possède la liberté absolue de penser conformément à son propre arbitre. C'est là d'ailleurs une forme première de ce que l'on nomme un droit naturel de la pensée. Selon Spinoza \" il ne peut se faire que l'âme d'un homme appartienne entièrement à un autre ; personne en effet ne peut transférer & un autre, ni être contraint d'abandonner son droit naturel ou sa faculté de faire de sa raison un libre usage et de juger de toutes choses. \". Il part d'une constatation de fait qui semble évidente : la pensée est du domaine de la conscience intérieure. Or la conscience est inaccessible à autrui. Il semble clair qu'aucune personne et aucun État ne semble pouvoir faire en sorte que les sujets admettent comme vrai et rejettent comme faux ce qu'il aura décidé tel. On peut régenter les paroles et les actes mais non les esprits. On peut forcer quelqu'un à dire que 2+2=5, on ne peut l'empêcher de penser en son for intérieur que cela fait 4. L'Église parvint à forcer Galilée à dire que la terre est le centre du monde et qu'elle est immobile. Elle parvint à limiter sa liberté d'expression mais Galilée n'en pensait pas moins \" Et pourtant elle tourne \"
Spinoza parle de droit naturel. Cela tient en effet à la nature de l'homme et ici à sa nature d'être raisonnable doué d'une pensée inaccessible à l'autre, d'une conscience intérieure, strictement personnelle. Moi seul sais ce que je pense et nul n'y peut rien.
Cela tient à la nature même de la pensée. \" Si considérable que soit donc le droit dont une souveraine puissance dispose en tous domaines, si fermement que lui soit reconnu son rôle d'interprète, et du droit humain et du culte le plus fervent, jamais cependant les sujets ne pourront être empêchés de porter des jugements de tout ordre, à leur gré, ni de ressentir tel ou tel sentiment à titre individuel. \"
En fait, si on veut analyser les choses un peu plus avant, on s'aperçoit que ce droit naturel de penser ce qu'on veut ne constitue néanmoins pas une liberté de penser n'importe quoi ni de penser ce qui nous plaît à notre fantaisie. En effet, la liberté de penser reçoit deux limites :
En fait, si on veut analyser les choses un peu plus avant, on s'aperçoit que ce droit naturel de penser ce qu'on veut ne constitue néanmoins pas une liberté de penser n'importe quoi ni de penser ce qui nous plaît à notre fantaisie. En effet, la liberté de penser reçoit deux limites :
Ai-je le droit en conscience de vouloir du mal à autrui, d'avoir des pensées contraires à la morale ? Certes, personne ne peut légalement m'en empêcher. L'acte de tuer est passible de sanctions et non le désir ou l'intention de tuer. Mais cela ne signifie pas pour autant que je me reconnaisse moralement le droit d'avoir de telles pensées. Il nous arrive à tous de rejeter des pensées indignes de nous, en nous disant intérieurement \"je n'ai pas le droit de penser cela\". La tradition chrétienne considère que les intentions immorales, même si elles ne se transforment pas en action, sont déjà des péchés. Désirer le mal, c'est déjà être dans le mal. Mais l'athée aussi peut avoir des désirs qu'il rejettera comme indignes sous peine de perdre l'estime de soi. La psychanalyse nous montre que le Surmoi s'est constitué à partir des interdits de l'enfance et qu'il explique ce sentiment de culpabilité que nous éprouvons face à des pensées injustes. Il peut arriver que certains désirs soient alors refoulés (je les oublie, je ne veux plus les voir), désirs qui reviendront parfois sous forme de symptômes névrotiques.
De l'argument moral, on peut aussi développer l'argument logique. Ai-je le droit; est-ce légitime (au sens logique du terme), de penser que 2+2=5; alors que je sais pertinemment que 2+2=4 ? Ai-je le droit de penser des énoncés que je sais pertinemment être faux ? Ce serait se mentir à soi-même, ce serait mauvaise foi. Je n'ai pas ce droit parce que la liberté n'est pas l'arbitraire. Il n'existe pas de liberté sans raison et il me faut donc, pour être libre de penser, suivre les lois de la raison.
Admettre n'importe quoi, au hasard, ce n'est plus penser du tout. Penser, c'est toujours suivre ou instituer un ordre. Penser librement, c'est aussi penser juste.
Penser, c'est raisonner. La liberté de penser doit donc nécessairement être la liberté d'être raisonnable et non de penser n'importe quoi. il y a des limites au droit de penser mais ces limites doivent être celles de la raison, aussi bien logiquement que légalement. Aucun droit n'est absolu. Tout droit suppose des devoirs. Ce qui importe n'est pas que quelqu'un puisse avoir le droit de penser n'importe quoi mais que chacun ait les mêmes droits. Les opinions qui s'opposent à cette égalité ne sauraient être tolérables, pas plus que celles qui empêchent le jeu de la démocratie, garante de cette égalité. Cela n'empêche pas bien sûr certains d'aller au-delà et de vouloir régenter les consciences. Ils ne respectent plus alors les droits fondamentaux qui sont ceux de l'humanité car la pensée fait partie de notre dignité d'homme et empêcher l'homme de penser conduit à le ramener à l'animalité.
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