Paul Verlaine - Romances sans paroles, Ariettes oubliées
Publié le 11/09/2006
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C'est la première pièce du recueil des Romances sans paroles ; Verlaine lui a retiré son premier titre tel qu'il figurait à sa parution en revue en 1872, en ayant fait le titre de l'ensemble du recueil poétique. L'épigraphe est tirée d'une comédie de Favart parue en 1756, Ninette à la cour ou le caprice amoureux – auteur que Rimbaud appréciait ; le voici : « Le vent dans la plaine / Suspend son haleine «. Ce distique ne fait pas partie du poème, et pourtant Verlaine ne l'a pas maintenu par hasard : il montre un paysage au moment où le vent tombe, personnifiant celui-ci au plan lexical (_haleine_), non sans aider le lecteur à orienter son intelligence du texte, à le préciser. La suite a de quoi surprendre par une série de définitions qui intéressent la passion amoureuse dans son paroxysme et la langueur qui la suit et l'accompagne. On se demande alors où le poème va nous conduire, sur quel chemin le poète veut nous mener. C'est une vraie question que de noter que Verlaine ne se nomme pas (aucun usage du pronom personnel à la première personne du singulier) dans ces premières définitions, et qu'il n'apparaît qu'au seizième vers, dans la dernière strophe (« cette âme, c'est« la mienne « nous dit-il alors, tout en la définissant comme appartenant au couple d'amants dont le poème semble alors l'évocation (« Cette âme, ... c'est la nôtre, … et la tienne «). Toujours est-il que, dans les deux premières strophes (des sizains d'heptasyllabes, vers impairs), Verlaine se semble pas clairement parler de lui et de la femme qu'il aime, choisissant d'évoquer, de suggérer, par approches successives, quelque chose qu'il ne nomme pas, un état dans ses modulations qui n'apparaît comme personnellement le sien que vers la fin du poème. Jusque là, il maintient une certaine imprécision, ce flou qu'il affectionne, il hésite, s'interroge, demande à la femme aimée de lui donner raison dans la définition qu'il donne de leurs âmes, de leur union. Quand le mot-clé « âme « est énoncé au treizième vers, le lecteur se souvient surtout qu'il s'est agi de suggérer un paysage tout au long du poème, même si l'amour et l'état de langueur ont fait l'objet des toutes premières définitions. Bref, on aimerait mieux comprendre ce qu'a voulu dire Verlaine autour de ce paysage et de l'âme qui transparaît à travers lui ; de quelle rêverie poétique il s'agit et si l'intention instinctive du poète n'a pas été de dire que l'âme personnelle est à elle seule un paysage. Dans ce cas, on aura montré que le poème n'offre pas le tableau d'un paysage réel dans sa matérialité, pictural, ni une pure confidence sur l'âme du poète, mais qu'il fait percevoir, entendre, ce que le poète romantique Amiel définissait déjà dans une formule célèbre : « tout paysage est un état-d'âme «. Dans une première approche, le lecteur se représente une plaine boisée et la brise qui la traverse. S'agit-il d'un cadre spatio-temporel, comme l'oeil le perçoit dans la nature environnante ou comme le peintre réaliste le figure sur sa toile ? On pourrait le penser à travers le lexique utilisé (champ lexical d'un bois) : les « bois «, les « brises «, les « ramures «, « l'herbe «, « l'eau «, les « cailloux «, et pour ce qui est du moment qu'évoque le {text:soft-page-break} poète, « ce tiède soir «. Une dizaine de vers au moins suggèrent ce paysage en le faisant voir et entendre, de façon plus précise dans le deuxième sizain, et plus métaphorique dans le premier. Force pourtant est de constater que les notations retenues par Verlaine n'ont pas le caractère d'un paysage pictural : ce n'est pas une description pittoresque destinée à reproduire un lieu précis dont on se souvient tout en le dessinant. Ces notations sont toujours associées à des sensations qu'on sait appartenir au sujet qui en parle, à des émotions subjectives dans leur vécu. Bref, c'est d'une âme qu'il s'agit, et c'est celle du poète. Dans une deuxième approche, on se dit que le monde évoqué par Verlaine serait plus proprement celui de l'âme, même si cette âme n'est nommée la première et seule fois qu'au treizième vers (troisième et dernier sizain). C'est l'âme du poète, se dit-on, qui lance sa plainte, chantant son lamento, dans le même temps qu'il lui associe l'âme de la femme aimée, qu'il associe celle-ci à la même plainte, au même lamento. Cette façon de comprendre le poème n'est pourtant en rien très sûre, d'une part parce que Verlaine ne parle pas de SON âme, mais de CETTE âme et que toutes les notations précédentes qui suggèrent des sensations et des émotions sont perçues à travers le filtre d'un paysage. Est-ce que c'est CE paysage et son âme dont il s'agirait alors dans la définition ultime de l'âme des amants ? Il convient de regarder les choses de plus près, en serrant mieux la terminologie et la prosodie du poème. S'il faut opérer une synthèse des deux premières approches en les dépassant sans les détruire, c'est la formule du poète Amiel qui nous mettrait le mieux sur la voie d'une compréhension plus profonde, pertinente de ce paysage-état d'âme. Le poème est comme un chant qui nous fait part d'une expérience qu'on sait poétique, ce qui explique le choix que fait Verlaine du titre de la première séquence des Romances sans paroles : Ariettes oubliées. On se dit : c'est un chant léger, non sans tristesse, chant de l'âme du poète et des réalités avec lesquelles il est en symbiose : la femme aimée mais aussi tout un paysage qu'il ne cesse d'évoquer et d'intérioriser du début à la fin. Pas de dissociation possible entre l'âme et le paysage, les deux premières strophes prêtant au paysage des sensations, des émotions que la dernière strophe attribuera au couple d'amants. C'est perceptible dès les quatre premiers vers où dans le sillage d'une habile confusion entre l'extase amoureuse et la langueur (une douce et triste fatigue), par le jeu du croisement des épithètes avec les substantifs, Verlaine ajoute « les frissons des bois « et « l'étreinte des brises « prêtant à l'âme comme à la nature des caractéristiques qu'habituellement on distingue nettement. Bref l'état d'âme que définit au début le poète ne semble pouvoir être perçu clairement qu'à travers la nature elle-même, un paysage alors personnifié : le chant qui monte vers les cimes des arbres et qui rappelle les brises, c'est celui d'un « choeur de petites voix «. Le même mode de notations mêlées se retrouve dans le deuxième sizain et, pour une moindre part, dans le dernier. Ces notations sont avant tout auditives : une exclamation sur « le frêle et frais murmure «, deux verbes en série, « gazouille et susurre «, une comparaison avec la douceur d'un cri, et une métaphore, « l'herbe agitée « qui « expire « ; le bruit que font les cailloux qui roulent est suggéré comme assourdi dans l'expression « le roulis sourd des cailloux «, sorte de personnification à travers l'épithète « sourd «. Mais c'est le troisième sizain qui opère explicitement l'unité entre l'état d'âme et le paysage : « cette âme qui se lamente «, n'est-ce pas celle qu'on vient d'évoquer durant deux strophes, qui est donc celle de la nature et celles des amants ? Ces derniers, évidemment, ne répondent pas, mais c'est à nous de le faire en nous remémorant l'ensemble du poème : par ce tiède soir, l'humble antienne qui s'exhale tout bas, c'est, on peut le penser sans crainte de faire erreur, le chant de l'âme humaine à travers les amants, mais aussi celui de la nature, du paysage intériorisé qui pourtant préexiste à l'humain. Le poème, ne l'oublions pas, est une « ariette oubliée «, une chanson légère, douce, mélancolique, ce qui impose qu'on soit attentif aux sonorités et au rythme. Si son unité résulte d'abord de la présence des mêmes champs lexicaux : celui de l'amour dans son intensité et sa tristesse, celui du vent faisant chanter les ramures des arbres, celui du souffle (et du dernier souffle), celui de l'âme à travers toute la série lexicale de « l'extase «, du « choeur «, de la douceur du cri, du lamento et de la plainte, de l'humble antienne, les effets musicaux sont constants avec la multiplication des allitérations et des assonances, la richesse des rimes, la variété des accents qui changent d'un vers à l'autre en dehors de celui de la rime. Le lexique appartient souvent au registre sonore, vocal, musical, dans les trois sizains d'heptasyllabes où l'effet recherché résulte d'un art très conscient, original pour l'époque. La fin du poème est un dialogue suggéré entre les deux amants qui s'interrogent sur ce que signifie leur âme à tous deux, plaçant cet échange à voix basse dans le cadre d'une tiède soirée et dans celui d'une liturgie (« antienne «). Un examen attentif du poème dans ses détails montrerait que chaque mot qui compte (substantif, adjectif ou déterminant, verbe) retentit sur son voisin, sur un terme plus éloigné, et réciproquement, ce qui va dans le sens de l'unité du poème. Bref, tout contribue, en pratique, à faire de l'expérience poétique que relate ici Verlaine le chant mêlé de l'âme humaine et du monde. L'âme est un paysage ; tout paysage est un état d'âme, c'est ainsi qu'on chante l'unité de la nature où tout se tient. L'expression poétique y participe d'une façon profonde et personnelle. Notre lecture analytique a dû dépasser les deux premières approches pour aboutir à une synthèse satisfaisante : le paysage n'est pas dissocié de l'état d'âme ; ce n'est pas un tableau pittoresque, du pictural, et l'âme humaine (ici celles des amants) n'est pas une conscience isolée du monde qui l'entoure et la pénètre. C'est une « âme-paysage «, si l'on veut nous permettre ce mot composé, fort éloignée d'un ego qui s'affirmerait à travers une confidence très individualisée. Ainsi Amiel avait-il raison en parlant de « paysage-état d'âme «. Ce qui appartient à l'homme appartient à la nature, et quand le poète chante son âme, il lui prête la musicalité d'un paysage où il se reconnaît, où il s'interprète mieux dans sa sensibilité profonde. On pourrait à titre d'exercice traduire ce poème en paraphrase interprétative explicitant et développant pour aider à mieux comprendre de quoi il s'agit. Mais elle rendrait prosaïque cette ariette qui chante ; elle serait plus claire mais ce serait bien plat ! Non, il importe de rester dans le poème, de toujours revenir à lui, à sa récitation ; c'est le seul texte qu'on puisse admirer, aimer, comprendre en finesse.
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sont avant tout auditives : une exclamation sur « le frêle et frais murmure », deux verbes en série, « gazouille et susurre », unecomparaison avec la douceur d'un cri, et une métaphore, « l'herbe agitée » qui « expire » ; le bruit que font les cailloux qui roulentest suggéré comme assourdi dans l'expression « le roulis sourd des cailloux », sorte de personnification à travers l'épithète « sourd».
Mais c'est le troisième sizain qui opère explicitement l'unité entre l'état d'âme et le paysage : « cette âme qui se lamente », n'est-ce pas celle qu'on vient d'évoquer durant deux strophes, qui est donc celle de la nature et celles des amants ? Ces derniers,évidemment, ne répondent pas, mais c'est à nous de le faire en nous remémorant l'ensemble du poème : par ce tiède soir,l'humble antienne qui s'exhale tout bas, c'est, on peut le penser sans crainte de faire erreur, le chant de l'âme humaine à travers lesamants, mais aussi celui de la nature, du paysage intériorisé qui pourtant préexiste à l'humain.Le poème, ne l'oublions pas, est une « ariette oubliée », une chanson légère, douce, mélancolique, ce qui impose qu'on soitattentif aux sonorités et au rythme.
Si son unité résulte d'abord de la présence des mêmes champs lexicaux : celui de l'amour dansson intensité et sa tristesse, celui du vent faisant chanter les ramures des arbres, celui du souffle (et du dernier souffle), celui del'âme à travers toute la série lexicale de « l'extase », du « choeur », de la douceur du cri, du lamento et de la plainte, de l'humbleantienne, les effets musicaux sont constants avec la multiplication des allitérations et des assonances, la richesse des rimes, lavariété des accents qui changent d'un vers à l'autre en dehors de celui de la rime.
Le lexique appartient souvent au registresonore, vocal, musical, dans les trois sizains d'heptasyllabes où l'effet recherché résulte d'un art très conscient, original pourl'époque.
La fin du poème est un dialogue suggéré entre les deux amants qui s'interrogent sur ce que signifie leur âme à tous deux,plaçant cet échange à voix basse dans le cadre d'une tiède soirée et dans celui d'une liturgie (« antienne »).
Un examen attentif dupoème dans ses détails montrerait que chaque mot qui compte (substantif, adjectif ou déterminant, verbe) retentit sur son voisin,sur un terme plus éloigné, et réciproquement, ce qui va dans le sens de l'unité du poème.
Bref, tout contribue, en pratique, à fairede l'expérience poétique que relate ici Verlaine le chant mêlé de l'âme humaine et du monde.
L'âme est un paysage ; tout paysageest un état d'âme, c'est ainsi qu'on chante l'unité de la nature où tout se tient.
L'expression poétique y participe d'une façonprofonde et personnelle.Notre lecture analytique a dû dépasser les deux premières approches pour aboutir à une synthèse satisfaisante : le paysage n'estpas dissocié de l'état d'âme ; ce n'est pas un tableau pittoresque, du pictural, et l'âme humaine (ici celles des amants) n'est pas uneconscience isolée du monde qui l'entoure et la pénètre.
C'est une « âme-paysage », si l'on veut nous permettre ce mot composé,fort éloignée d'un ego qui s'affirmerait à travers une confidence très individualisée.
Ainsi Amiel avait-il raison en parlant de «paysage-état d'âme ».
Ce qui appartient à l'homme appartient à la nature, et quand le poète chante son âme, il lui prête lamusicalité d'un paysage où il se reconnaît, où il s'interprète mieux dans sa sensibilité profonde.
On pourrait à titre d'exercicetraduire ce poème en paraphrase interprétative explicitant et développant pour aider à mieux comprendre de quoi il s'agit.
Maiselle rendrait prosaïque cette ariette qui chante ; elle serait plus claire mais ce serait bien plat ! Non, il importe de rester dans lepoème, de toujours revenir à lui, à sa récitation ; c'est le seul texte qu'on puisse admirer, aimer, comprendre en finesse..
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