Patrice MEYER-BISCH Le droit à l'alimentation n'est pas un droit « programmatique »
Publié le 19/10/2016
Extrait du document

Patrice MEYER-BISCH
Le droit à l'alimentation n'est pas un droit « programmatique »
Si le droit à l'alimentation dépend des droits au travail et à la propriété, ne risque-t-on pas de penser qu'il faudrait d'abord réaliser le dernier pour passer au précédent, avant de pouvoir garantir enfin une sécurité alimentaire? Dans ce cas, ceux qui ont faim peuvent encore attendre longtemps. Non seulement cet enchaînement logique n'est pas le seul (les dépendances peuvent être identifiées dans tous les sens), mais la conditionnalité n'implique pas une réalisation pleine de chaque droit. Ce qui nous intéresse est l'inventaire des conditions de base qui permettent aux connexions de fonctionner. C'est ainsi qu'une clarification du droit de propriété est une condition de base nécessaire. Les connexions entre droits (ici économiques) révèlent l'importance de droits civils (ici la dimension civile du droit de propriété). Après seulement intervient l'accès réel à la propriété, c'est-à-dire l'accomplissement du droit. Nous avons dans ce cas une priorité formelle d'un droit civil, mais l'antériorité logique ne se situe pas toujours du civil vers les autres catégories. Nous pouvons analyser d'autres priorités au niveau des droits culturels. La réalisation du noyau intangible du droit à l'éducation (l'alphabétisation) et du droit à la formation (formation professionnelle de base) sont à l'évidence une condition de la réalisation du droit au travail, puisqu'un paysan sachant lire et écrire verra sa capacité de production notablement augmenter (capacité de lire les notices des engrais et des semences, à suivre des formations complémentaires, à s'informer sur les marchés, etc.). Enfin, nous trouvons partout la nécessité de garantir un minimum de libertés sans lesquelles les libertés d'initiative, constitutives du droit au travail, ne peuvent exister. La mise en œuvre du droit à l'alimentation n'est pas conditionnée par l'épanouissement de tous ces droits, mais elle l'est par la garantie minimale de l'ensemble.
Pour cette raison, et à l'encontre de la doctrine selon laquelle le droit à l'alimentation est un « droit programmatique », nous pouvons penser au contraire que c'est un indicateur de la réalisation minimale des droits justiciables. Sauf situation conjoncturelle extraordinaire, si la population a faim, cela signifie que les libertés civiles et culturelles sont violées. Cela veut dire que l'Etat sur le territoire duquel une sécurité alimentaire raisonnable n'est pas garantie n'est pas un Etat de droit. La responsabilité en incombe non seulement aux ressortissants et responsables de ce pays mais aussi et surtout à ceux qui le soutiennent, en faisant croire à l'impuissance devant la fatalité de la pénurie et de la faim. Notre honte, c'est la soumission à la fatalité, pire encore, sa justification.
« Le droit de nourrir et de se nourrir » in Faim de vivre. La multidimensionnalité du droit à l'alimentation, Berne/Fribourg, UNESCO, 2000, pp. 6-7.
Liens utiles
- De manière traditionnelle le droit constitutionnel a pour objet l’Etat et la Constitution. Pourquoi ?
- Révision DIE DUE PARTIE I - les caractéristiques du droit de l’UE
- Droit public des biens - Commentaire d’arrêt Conseil d'Etat, 18 septembre 2015, société Prest’Air req. N° 387315
- Droit et marché du travail
- Le droit est-il toujours juste ?