Pascal et l'infini
Publié le 08/05/2011
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Le commentarisme pascalien a coutume d’opérer de nombreux rapprochements entre le fragment 199 et l’opuscule De l’esprit géométrique, mais ces deux textes sont pourtant loin d’avoir la même fonction : le fragment « disproportion de l’homme » n’a aucune vocation méthodologique, ni épistémologique, et Pascal y fait un usage purement rhétorique, non conceptuellement rigoureux, de la notion d’infini ; l’infini cesse d’être un concept. Une génération sépare Pascal de Descartes, mais cela lui aura suffit à opérer une rupture fondamentale dans l’espistèmè classique. Dans la perspective cartésienne, la représentation était moyen de maitrise, d’appropriation du monde et de réappropriation de soi ; elle devient chez Pascal le lieu où la connaissance connaît ses limites et où le sujet fait l’expérience de sa perte et dissolution. Insuffisante par rapport à la réalité, elle est un obstacle à la connaissance, un principe de décentrement, le lieu de l’aliénation et de l’effondrement de l’idéal de connaissance et de maitrise du monde, lequel excède les limites de la représentation. Comme dans le fragment du pari et celui de la « Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse », le fragment 199, qui semble naître de la lecture de la seconde partie des Principia de Descartes, reprend techniquement des concepts essentiels du cartésianisme, tels que la distinction entre le fini et l’infini (ou plutôt l’indéfini) ou celle du comprendre et du concevoir ; mais il s’agit pour Pascal de ruiner la métaphysique cartésienne en déconstruisant ses concepts. Si une des difficultés majeures de notre extrait est qu’il ne concerne qu’un seul versant de la réflexion pascalienne sur l’infini : le versant qui concerne l’infini de grandeur, et non l’infini de petitesse – il suffit à manifester le pyrrhonisme relatif de l’auteur en philosophie naturelle : n'entretenant aucune commune mesure avec le tout du monde, l’homme ne saurait le connaître. Pascal apparaît dans notre extrait comme un penseur de la démesure : l'homme n'est pas à la mesure de l’univers qu'il vient de découvrir notamment dans la lunette de Galilée. L’anthropologie pascalienne nait pour partie de ce décentrement qu’à provoqué la révolution copernicienne. Si l’être humain n’est plus au lieu où Dieu l’avait pourtant mis : dans un monde clos – il est perdu dans l’univers. La question de la disproportion ne saurait donc se régler dans les termes de la cosmologie rationnelle : elle invite bien plutôt la volonté à gager pour ou contre l’existence de Dieu. L’argument du pari se présente en effet comme sa véritable réponse, en ce qu’elle constitue le processus pratique d’une pseudo-commensuration ludique du fini et de l’infini : il faut comprendre en définitive que la commensurabilité du fini et de l’infini, impossible dans l’ordre ontologique et gnoséologique, n’est réalisable que dans l’ordre ludique.
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