Devoir de Philosophie

Paradoxe sur le comédien De Denis Diderot

Publié le 25/07/2010

Extrait du document

diderot

Diderot (1713-1784), écrivain polygraphe français, considéré par son époque comme un grand philosophe. Il fonde la critique d'art à partir des salons. Il renouvelle le genre du roman avec Jacques le Fataliste. Il clarifie aussi le rapport entre science et métaphysique mais il est surtout reconnu grâce à l'_Encyclopédie_. Par ailleurs, Il définit une nouvelle esthétique dramatique à travers le Paradoxe sur le comédien dont nous allons nous attacher. Le Paradoxe sur le comédien est un ouvrage posthume qui a sans doute été rédigé entre 1769 et 1780 et qui a peut-être été modifié ou rectifié, voire remanié, par l'éditeur Naigeon. Conçu sous la forme d'un dialogue théâtral ou mondain mais avec un intermède consistant en un soliloque, comme nous le verrons cette œuvre est dominée par le mode argumentatif et il emprunte beaucoup au code rhétorique; des deux interlocuteurs, c'est celui qui est identifié comme étant le premier qui argumente le plus et qui semble mener le jeu et remporter cette joute oratoire. Des éléments semblent indiquer que le premier interlocuteur soit Diderot. On pourrait ainsi se demander : Comment se définit un grand comédien ? Quelle est cette dimension paradoxale ? Le théâtre est-il représentatif de la société ? Nous tacherons de répondre à ses questions à travers une lecture thématique qui dans un premier temps traitera de la question de la sensibilité, dans un second temps, les éléments qui font un grand comédien et une dénonciation de cette profession et en dernier lieu, le théâtre face à la société.  Grossièrement, Le Paradoxe a pour objet la manière de jouer du comédien. Il concerne donc davantage la mise en scène, le spectacle, que le texte théâtral lui-même; mais il présuppose aussi une réflexion sur la représentation entendue comme imitation et comme présentation, comme répétition et distanciation; réflexion qui pourrait nous ramener à des concepts platoniciens ou même aristotélicien. En définitive, on pourrait résumer cela en une règle : « Pour imiter la nature, la sensibilité ne sert à rien; moins l'acteur est sensible, plus le spectateur l'est «. C'est donc dire en quelque sorte que la catharsis passe par une mise à distance du pathos.  Il faut donc au comédien en action plus d'imagination que de sensibilité, plus de raison que de passion : «C'est l'extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres; c'est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs; et c'est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes« car le comédien sensible ne pourra seulement excellée que dans une partie de son rôle du fait qu'il s'attache à ses passions intérieurs. Mais sentir et non pas croire sentir, comme les acteurs médiocres ou novices n'est pas être sensible : être sensible est affaire d'âme (et donc de sentiment, de sensibilité), sentir est affaire de jugement; avec le jugement vient le talent, c'est-à-dire l'art de tout imiter. Le comédien qui est sensible ne peut jouer deux fois le même rôle avec la même chaleur et le même succès; alors que le comédien de talent le peut, parce qu'il est un «imitateur attentif et réfléchi«; c'est un observateur qui finit par être le «copiste rigoureux de lui-même«. C'est un comédien «qui jouera de réflexion, d'étude de la nature humaine, d'imitation constante d'après quelque modèle idéal, d'imagination, de mémoire« : cela lui permettra de dominer «le délire de l'enthousiasme« par le sang-froid.  L'homme sensible sert de modèle au grand comédien qui l'observe ; la sensibilité est donc une notion qui ne touche pas le comédien mais dont il se sert pour créer une « mimésis « de cette idée. Non pas, par exemple, un avare mais l'idée d'un avare. Le modèle n'est finalement qu'une copie de l'idéal; nous avons ainsi un concept platonicien du comédien, la sensibilité n'étant qu'un obstacle à son jeu parce qu'elle est «cette disposition compagne de la faiblesse des organes«. Ce n'est pas la faiblesse des organes qui excite le jeu des comédiens mais plutôt leurs mémoires ; «les larmes du comédiens descend de son cerveau «. Le premier interlocuteur nous montre que tout est calculé. «Il sait le moment où il tirera son mouchoir et où les larmes couleront […] ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d'avance […] dont l'acteur garde le souvenir longtemps après l'avoir étudiée «. En définitive, ce n'est qu'un jeu de mémoire. D'ailleurs, lorsque Clairon (comédienne du 18e siècle) revient sur scène après dix ans d'absence, son jeu est médiocre car elle a perdu «la mémoire de ses rôles «. D'ailleurs, pour le premier interlocuteur, un grand comédien a une certaine expérience et donc un certain Age. Peu importe s'il doit jouer un personnage jeune sont jeu doit être assez convaincant pour empreinter le rôle. Selon lui, il y a trois Ages chez un comédien qu'il nomme par Cicéron, Sénèque et Plutarque.  _ _Toutefois, le premier interlocuteur se dit être un homme sensible. Il ne peut pas être un grand roi, un grand politique, un grand magistrat, un homme juste; il ne peut être un «sublime imitateur de la nature«, à moins qu'il ne puisse s'oublier, s'aliéner en quelque sorte par un effort de l'imagination. La sensibilité est bonté de l'âme mais médiocrité du génie ainsi il donne pour exemple sa rencontre avec Sedaine. Le premier interlocuteur nous donne aussi l'exemple de l'amour, « l'homme sensible obéit aux impulsions de la nature et ne rend précisément que le cri de son cœur ; au moment où il tempère ou force ce cri, ce n'est pas lui, c'est un comédien qui joue «.  Contrairement à ce que l'on peut croire et c'est une part du paradoxe, ce n'est pas la sensibilité qui conduit le comédien à s'identifier au personnage et qui provoque l'illusion théâtrale; c'est son épuisement, c'est la fatigue. «C'est lorsque les acteurs sont épuisé de la fatigue des répétitions multiplié […] de cet instant les progrès sont surprenant «. Une comédienne ne peut rester elle-même sous peine de se voir siffler par le public. « L'art du comédien est fait de simulation et de dissimulation «. L'exemple du couple qui se dispute tout en jouant les amoureux épris en est un bon exemple.  Situation paradoxale que celle du comédien, qui doit substituer l'intelligibilité à la sensibilité; qui doit jouer du modèle idéal et de la copie, qui doit savoir manier l'enthousiasme par le sang-froid; qui doit émouvoir le spectateur par une émotion feinte et fictive. Le comédien est à la fois un exhibitionniste. Il s'exhibe ou il exhibe un personnage en s'exhibant et un voyeur car il se regarde jouer, il prend ses distances. Le comédien est une danseuse, voire une danseuse érotique. Ils disent des grossièretés qui ne sont pas chose à faire pour des personnes de bonne famille. En cela, la condition des comédiens est réduite à la bassesse. Ce n'est pas un choix, c'est une obligation. «Les parents ne destinent pas leurs enfants aux théâtres «. Ainsi, il est difficile de trouver «un comédien galant homme «.  Le monde du théâtre n'est pas le théâtre du monde; ce qui convient en société, dans un salon mondain, ne convient pas sur la scène : la plaisanterie de société s'évapore sur la scène, la plaisanterie de théâtre blesserait en société; la satire, qui poursuit un vicieux, est mondaine, tandis que la comédie, qui poursuit un vice, est théâtrale. De même, les larmes excitées par un «événement tragique« diffèrent de celles excitées par un «récit pathétique« : à la narration d'une belle chose, les larmes viennent après l'embarras de la tête et après l'émotion des entrailles; à la vue d'un «accident tragique«, «l'objet, la sensation et l'effet se touchent; en un instant, les entrailles s'émeuvent, on pousse un cri, la tête se perd et les larmes coulent; celles-ci viennent subitement, les autres sont amenées«. (C'est donc dire que les deux ont en commun de passer par la voix : par la narration ou par le cri). Un «coup de théâtre naturel et vrai« a l'avantage d'opérer brusquement, alors que la «scène éloquente« fait attendre; ce qui permet cependant à cette dernière de produire plus facilement l'illusion : «Les accents s'imitent mieux que les mouvements, mais les mouvements frappent plus violemment«. De là, la règle du premier interlocuteur, presque à la fin d'une longue tirade : «Voilà le fondement, d'une loi à laquelle je ne crois pas qu'il y ait d'exception : c'est de dénouer par une action et non par un récit, sous peine d'être froid«. Il y a ainsi une rupture avec le discours tragique au profit du discours dramatique, une rupture avec la tragédie. Elle est parodiée par l'anecdote du shérif au profit du drame, de la dramaturgie, du jeu, du spectacle; mais le premier interlocuteur déplore pourtant que le ton de la «muse tragique« ait été brouillé avec le langage de la «muse épique« et le second remarque que «notre vers alexandrin est trop nombreux et trop noble pour le dialogue«, ce à quoi le premier réplique que «notre vers de dix pieds est trop futile et trop léger«. De plus, le langage théâtral est diffère de celui en société. La versification est un élément théâtral qui en société perdrait toute sa mesure.  Les personnages historiques théâtralisés jouent aussi de cet effet ; «Ils figureraient mal dans l'histoire, ils feraient éclater de rire dans un cercle «. Le monde théâtral a ses propres codes.  A cela s'ajoute le fait qu'être vrai au théâtre n'est pas «montrer les choses comme elles sont en nature«, sinon le vrai ne serait que le commun; «le vrai de la scène« est «la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien«. En outre, s'il y a un conflit entre l'inspiration ou l'enthousiasme et le sang-froid ou la froideur, entre le don et le travail, il ne faut pas oublier qu'il y a toujours place pour l'inspiration chez le comédien, à travers l'imagination qui se trouve associée à l'entendement et à la raison. «Lorsque l'on est loin de la catastrophe, que l'âme est calme […] que la mémoire se réunit à l'imagination«. Mais la copie finit par s'éloigner du modèle; ainsi en a t-il été de la sculpture : «Elle copia le premier modèle qui se présenta. Elle vit ensuite qu'il y avait des modèles moins imparfaits, qu'elle préféra. Elle corrigea les défauts moins grossiers, jusqu'à ce que, par une longue suite de travaux, elle atteignit une figure qui n'était plus dans la nature«.  En guise de conclusion, le comédien regarde avec les oreilles et le spectateur écoute avec les yeux! Le grand comédien n'est pas sensible, il est observateur, grand imitateur. Il mémorise. Il reste calme et froid. Son jeu est calculé et la lassitude de ces répétitions nous offre un spectacle encore plus grandiose. Cependant, ce privilège empoisonné est confié à une classe populaire et débauché. De plus, le monde du théâtre ne répond pas aux mêmes codes que la société. Vouloir transposer une expérience de la réalité sans l'idéalisé serait une entreprise ridicule. De surcroit, la versification, les personnages sont des composantes immuables du théâtre qui ne saurait sortir de son contexte. Dans une dernière démarche, Il serait intéressant de confronter le Paradoxe du comédien et la Lettre à d'Alembert sur les spectacles.

Liens utiles