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Pantagruel - Chapitre 8 : Lettre De Gargantua À Son Fils

Publié le 23/11/2010

Extrait du document

gargantua

Pantagruel de Rabelais

 

  Après Erasme et avant Montaigne, Rabelais, d’une curiosité universelle, construit une fable (au sens d’histoire inventée) avec un personnage qu’il veut à son égard, c’est-à-dire porteur d’une somme considérable de connaissances. Gargantua et Pantagruel défendront avec enthousiasme les idées de l’humanisme.

  Ce texte est un extrait du chapitre 8 de Pantagruel, écrit en 1532. Gargantua a envoyé Pantagruel poursuivre ses études à Paris. Il lui adresse alors une lettre qui résume les idées de Rabelais sur l’éducation. Après un développement exhaustif sur les sciences, Rabelais aborde ici la formation morale de son héros qu’il fait reposer sur la foi religieuse.

  C’est le lecteur de son temps que Rabelais cherche ici à convaincre par cette lettre programme qui prône les idées humanistes de la Renaissance.

 

  I Une lettre programme

     1. Les caractéristiques de la lettre

 

  En première partie, nous allons voir en quoi cet extrait est une lettre programme. Tout d’abord, nous allons repérer les indices de la lettre. Gargantua s’exprime à la 1ère personne du singulier « j’entends « (l.1), « je veux « (l.12). Pantagruel est représenté par le pronom personnel tu : « tu apprennes « (l.1) ; « tu formes « (l.4). Le présent d’énonciation « j’entends et veux « (l.1), les adjectifs possessifs « ton style « (l.4) montrent bien qu’il y a un locuteur qui s’adresse un destinataire précis. Le mode impératif « poursuis, sois, aime, laisse … « le justifient aussi.

De plus, le ton de la lettre est bienveillant, affectif : par l’apostrophe « mon fils « (l.34),puis par la signature « Ton père « (l.35), et en enfin par l’emploi de l’imparfait duratif « Quant tu étais encore petit « (l.8). On a ici l’image d’un père complètement impliqué et attaché à l’éducation de son fils et à lui faire aimer ce qu’il apprend.

D’autre part, les verbes de volonté « j’entends et veux « (l.1) donnent un impact didactique à cette lettre. Pantagruel, comme le lecteur contemporain de son temps, se sent concerné par ces exigences.

 

     2. Les conseils

 

  Malgré l’usage de l’injonction, Gargantua est très attentif à l’éducation de son fils. La citation « Je veux « ponctue la lettre et donne un certain rythme qui peut faire penser au style oratoire de Cicéron. Il ne faut évidemment pas se tromper dans le ton qui n’est pas seulement autoritaire. On a une majorité de verbes qui concernent l’éducation et que l’on peut séparer en 2 groupes : 1/ ce qu’il faut apprendre et accomplir : « que tu apprennes «, « que tu formes «, « que tu saches «, 2/ ce qu’il faut éviter : « Ne mets ton cœur à vanité «, « laisse-moi «. Le ton injonctif de l’impératif ne domine pas car tous ces impératifs sont mis en parallèle avec d’autres expressions qui elles-mêmes expriment mieux la douceur : tournure impersonnelle « Il te convient « (l.24). La quantité des conseils illustre l’immense appétit de savoir des humanistes. Gargantua souhaite l’épanouissement de son fils. L’usage de l’injonction passe aussi par des maximes : « sapience n’entre point en âme malivole « (l.23-24), « science sans conscience n’est que ruine de l’âme « (l.24). Par ailleurs, la présence du sage Salomon montre le discours cultivé des humanistes.

 

     3. Une démonstration bien conduite

 

  Dans cette lettre, la démonstration de Gargantua est bien conduite. On peut repérer une gradation dans les conseils donnés. En effet, il y a d’abord le savoir livresque, puis savoir microcosme (autour de l’homme), ensuite le savoir macrocosme (culture) et enfin, dans le paragraphe final on peut constater une élévation, une progression, car les valeurs morales et religieuses sont abordées. La présence de connecteurs indique qu’il y a un certain raisonnement « premièrement, secondement, puis … «. De plus, dans l’aphorisme « science sans conscience n’est que ruine de l’âme « (l.24), on peut relever 3 mots clés :

   - science = intelligence

   - conscience = morale

   - âme = foi, dimension divine

Ces 3 mots clés s’opposent au mot « ruine « qui suggère que l’état spirituel n’est pas atteint sans une certaine morale, une certaine foi. On peut aussi en déduire que l’homme n’est rien sans la science, qui n’est rien sans la morale, qui n’est rien sans la foi. Ces 3 mots forment donc un homme accompli et une morale humaniste.

 

  II qui prône les idées humanistes

     1. Le goût pour un savoir universel

 

  En deuxième partie, nous allons voir quel est le modèle humaniste. Tout d’abord, dans ce texte argumentatif, la thèse est assez implicite. Rabelais souhaite en fait comme idéal humaniste un savoir universel : premièrement « les langues «, secondement « la cosmographie «, puis « les arts libéraux « qui correspondait à un cursus : le trivium (qui comprend la grammaire), ensuite « le quadrivium « qui est un autre cursus regroupant la géométrie, l’arithmétique, la musique et l’astronomie, puis « le droit civil « et enfin « le faits de nature «. Toute cette énumération donne l’impression d’une somme encyclopédique qui n’est cependant que l’énoncé d’un programme, car Gargantua demande un savoir exhaustif. Gargantua a aussi recours des arguments d’autorité en utilisant la renommée d’auteurs célèbres : « à l’imitation de Platon […] à Cicéron.

De plus, la  répétition de « tous « (l.14-15) renforce le fait que Pantagruel doit tout apprendre et est ponctué par la formule « Rien ne te soit inconnu « (l.16). Par ailleurs, la médecine occupe un paragraphe à elle-seule. Rabelais était en fait médecin. C’est pourquoi la médecine a une place à part dans ce texte.

 

  2. Les idées de la Renaissance

 

  L’enseignement au MA reposait sur un savoir tronqué à travers les gloses qui trahissaient les textes. D’après la doctrine humaniste, il faut revenir aux sources à travers une vérité morale (présence de Platon), juridique, scientifique et religieuse. C’est la raison pour laquelle Gargantua fournit ici un certain nombre d’exemples sur les défauts de la scolastique et par conséquence sur les bienfaits de l’Humanisme. De plus, le travail humaniste était fondé sur la mémoire « Qu’il n’y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente « (l.5) et sur l’imitation « que tu formes ton style […] à l’imitation de Platon « (l.4). Platon et Cicéron sont donc pris pour modèles. Avec les termes « visiter « (l.20) et « revisite « (l.17), Rabelais nous suggère qu’il faut se servir de ces modèles pour réinterpréter les textes. Par ailleurs, on peut ici parler d’innutrition. Rabelais a en effet fondé sa culture en fonction de ses lectures.

 

   3. La place de Dieu

 

  D’autre par la foi place tout de même Dieu au centre de la préoccupation des hommes. L’homme de foi se désintéresse du monde et n’a de souci que pour son âme. Or d’après la doctrine humaniste, l’humaniste place l’homme au centre de sa préoccupation. Son acte de foi est donc de la nature humaine. Rabelais va réconcilier ces 2 mondes à travers le thème des vanités qui est pour Rabelais l’amour des objets. En disant « Ne mets ton cœur à vanité « (l.26-27), Rabelais ne méprise pas les choses du monde mais « les abus « (l.10). La vanité signifie pour lui le vide du cœur. La citation « Cette vie est transitoire […] éternellement « (l.28) fait référence à une citation d’Isaïe : « L’herbe se dessèche, la fleur se fane mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais «. D’autre part, l’aphorisme « science sans conscience n’est que ruine de l’âme « (l.24) met en valeur le fait que l’éducation humaniste n’est rien sans la foi, donc rien sans Dieu, donc que l’éducation humaniste ne peut se concevoir sans Dieu. L’amour de Dieu conduit l’homme à la charité. Comme le justifie « Sois serviable à tous tes prochains et les aime comme toi-même « (l.29). Par ailleurs, le mot « espoir « (l.26) relève de la sagesse, véhiculée par Salomon.

 

  Pour conclure, dans sa lettre, Gargantua glorifie le savoir et la connaissance. Il propose à son fil cet idéal à suivre et lui transmet cette quête inspirée des humanistes. Gargantua semble bon et généreux à l’égard de son fils.

  Cependant, Gargantua s’exprime avec tant de force et d’insistance que nous pouvons nous demander si Pantagruel peut désormais agir autrement et s’éloigner du modèle recommandé par son père. En cela, la lettre ne peut-elle pas se comprendre comme une interdiction d’échouer pour le fils ?

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