O'Neill, Le deuil sied à Électre (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document
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de… ce qui t’est arrivé dans les Îles.
C’est quelque chose qui s’est passé là-bas… quelque chose qui a à voir avec cet indigène… ?
LAVINIA se sent d’abord instinctivement vexée et insultée. — Peter ! Comment oses-tu… ? (Puis, soudain, elle saisit l’occasion.
Avec une grossièreté délibérée :) Bon ! Très bien ! Oui, puisqu’il faut que tu le saches ! Je ne veux plus
mentir ! Orin me soupçonnait de m’être donnée à cet homme ! Et c’était vrai !
PETER recule, consterné, et parle par saccades. — Vinnie ! Tu es devenue folle ! Je ne te crois pas… ce… n’est pas possible… !
LAVINIA , sur un ton strident. — Et pourquoi aurais-je dû me gêner ? Je le désirais ! Je voulais qu’il m’apprenne à aimer… aimer sans péché ! C’est ce que j’ai fait, je te dis ! Il m’a prise ! J’étais sa maîtresse !
PETER fait une grimace de douleur comme si elle lui avait donné une claque ; il la dévisage avec un regard effaré, plein de dégoût horrifié.
Sur un ton saccadé où se mêlent colère et amertume. — Alors… Maman et Hazel avaient
raison… tu es mauvaise jusqu’au fond du cœur… pas étonnant que Orin se soit tué… Dieu, je… j’espère que tu seras punie… je… !
Éperdu, il sort précipitamment par l’allée de gauche.
LAVINIA le regarde partir, puis, avec un petit cri de désespoir s’apprête à le suivre. — Peter ! C’est un mensonge ! Je n’ai pas… ! (Elle s’arrête net, se raidit et retrouve son attitude militaire d’autrefois.
Elle regarde l’allée dans la
direction où il est parti, puis se détourne et, d’une voix vide et perdue :) Adieu, Peter.
Seth entre par le fond à gauche et contourne le coin de la maison.
Il reste un instant immobile à regarder Lavinia, dans une attitude sévère et interrogative.
Puis, pour attirer son attention, il se met à fredonner à mi-voix la
mélancolique Shenandoah , tout en gardant les yeux fixés au sol, comme s’il cherchait quelque chose autour de lui.
SETH :
Oh, Shenandoah, je peux pas v’nir près de toi.
Tout au loin, je m’en va.
LAVINIA , sans le regarder, reprend les mots de la chanson.
Avec un sourire crispé et sinistre. — Je ne m’en vais pas tout au loin… pas maintenant, Seth.
C’est ici que je vais… chez les morts de la famille Mannon !
Elle émet un petit rire qui ressemble à un gloussement et se tourne comme pour entrer dans la maison.
SETH , effrayé à la vue de son visage, l’empoigne par le bras. — N’entrez pas là-dedans, Vinnie !
LAVINIA , sinistre. — N’aie pas peur ! Je ne vais pas prendre le chemin de maman et de Orin.
Ce serait échapper au châtiment.
Et il ne reste personne pour me châtier.
Je suis la dernière Mannon.
Il faut que je me punisse moi-même !
Vivre ici, toute seule avec les morts, ce sera un acte de justice plus terrible que la mort ou la prison ! Je ne sortirai jamais et je ne verrai personne ! Je ferai clouer les volets pour que la lumière du soleil ne puisse plus jamais entrer.
Je
vivrai seule avec les morts, je garderai leurs secrets, je les laisserai me traquer jusqu’à ce que la malédiction soit expiée et que le dernier des Mannon puisse enfin mourir ! (Avec un cruel sourire d’exultation devant les années de torture
qu’elle va s’infliger :) Je sais qu’ils veilleront à ce que je vive longtemps ! Il n’y a que les Mannon pour se punir d’être nés !
SETH , sur un ton sinistre, marquant qu’il a bien saisi. — Ouais.
Et j’ai pas entendu un mot de c’que vous m’avez dit, Vinnie.
(Faisant semblant de chercher quelque chose sur le sol alentour :) J’ai laissé ma tondeuse quelque part par là.
LAVINIA , se tournant sèchement vers lui. — Maintenant tu vas aller fermer les volets et les clouer solidement.
SETH .
— Ouais.
LAVINIA .
— Et dis à Hannah de jeter les fleurs.
SETH .
— Ouais.
Il monte les marches en passant devant elle et entre dans la maison.
Elle monte jusqu'au portique, puis se tourne et reste un instant, raide, dans une attitude militaire, son regard glacial fixé sur le soleil.
Seth se penche à la fenêtre, à
droite de la porte, et ferme les volets en les faisant claquer délibérément.
Comme obéissant à un signal, Lavinia exécute un brusque demi-tour, entre dans la maison presque au pas cadencé et ferme la porte derrière elle.
Source : O'Neill (Eugene), Le deuil sied à Électre, in Théâtre complet 7, trad.
par Louis Lanoix, Paris, L'Arche, 1965.
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