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O'Neill, Le deuil sied à Électre (extrait).

Publié le 07/05/2013

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O'Neill, Le deuil sied à Électre (extrait). Les treize actes de la trilogie d'Eugene O'Neill ont été composés sur le modèle de l'Orestie, où Eschyle expose et analyse l'essence fataliste du crime. Le deuil sied à Électre reprend la tragédie des Atrides et en transpose les éléments à la fin de la guerre de Sécession, dans une famille de la société bourgeoise américaine et rigoriste. Le troisième tableau de la pièce, « Hantés «, relate le retour d'Orin et de Lavinia des îles du Sud, où ils ont tenté d'oublier le drame. Lavinia semble y être parvenue, elle doit épouser Peter. Mais Orin, torturé par sa conscience, sombre dans la folie et se suicide. Lavinia s'enferme alors dans la maison des Mannon, car vivre est un châtiment plus grand que mourir. Le deuil sied à Électre d'Eugene O'Neill (« Hantés «) PETER entre en avant, à gauche. L'air hagard et tourmenté, il marche lentement, la tête baissée. Puis il aperçoit Lavinia et immédiatement il fait un effort pour se ressaisir et pour paraître gai. PETER. -- Bonjour, Vinnie. (Il s'assoit au bord du portique, près d'elle. Elle garde les yeux clos, comme si elle avait peur de les ouvrir. Il la regarde, avec inquiétude.) Tu as l'air complètement épuisée. Tu n'as pas dormi ? (Il lui caresse la main avec une tendresse maladroite. La bouche de Lavinia est agitée de mouvements nerveux et les coins s'étirent vers le bas au moment où elle étouffe un sanglot. Il continue d'un ton rassurant :) Ç'a été terriblement dur pour toi, mais ça ne fait rien, on va se marier bientôt. LAVINIA, sans ouvrir les yeux, sur un ton nostalgique. -- Tu m'aimeras, et tu m'empêcheras de me souvenir ? PETER. -- Là-dessus, tu peux être tranquille ! Et avant toute chose, je vais te sortir de cette sale bicoque ! Je suis peut-être idiot, mais elle commence à me rendre superstitieux. LAVINIA, sans ouvrir les yeux, sur un ton étrange. -- Oui. L'amour ne peut pas y vivre. Nous nous en irons, nous la laisserons mourir toute seule... et nous oublierons les morts. PETER, une nuance de ressentiment amer s'insinuant dans sa voix. -- On n'ira jamais trop loin pour moi ! Je finis par détester cette ville infecte et tous ses habitants ! LAVINIA ouvre les yeux et le regarde avec surprise. -- C'est la première fois que tu parles sur ce ton, Peter... tu es si amer ! PETER, évitant son regard. -- Il y a des choses qui rendraient n'importe qui amer ! LAVINIA. -- Tu t'es disputé avec ta mère et Hazel... à cause de moi... c'est ça ? PETER. -- Comment le sais-tu ? LAVINIA. -- Hazel était ici à l'instant. PETER. -- Elle t'a raconté ? Oh, la petite imbécile ! Pourquoi a-t-elle fait ça ? LAVINIA. -- Elle ne veut pas que je me marie avec toi. PETER, en colère. -- Quelle sale moucharde ! De quel droit peut-elle... ? (Puis, un peu gêné, en s'efforçant de sourire :) Enfin, j'espère que tu ne tiendras pas compte de ce qu'elle a dit. LAVINIA, répondant plutôt à quelque voix intérieure qu'à Peter, se raidit dans son fauteuil et, sur un ton de défi. - Non ! PETER. -- Maman et Hazel se sont brusquement mis un tas d'idées idiotes dans la tête. Ca leur passera. LAVINIA scrute son visage. Sur un ton gêné. -- Et si ça ne leur passe pas ? PETER. -- Mais si, après notre mariage... ou alors, je les laisse complètement tomber ! LAVINIA, après une pause, prend dans ses mains le visage de Peter et le tourne vers le sien. -- Peter ! Laisse-moi te regarder ! Tu souffres ! Il y a dans tes yeux un regard blessé ! Tes yeux toujours si confiants ! On dirait qu'ils sont soupçonneux, maintenant, qu'ils ont peur de la vie ! C'est moi qui t'ai fait ça, Peter ? Déjà ? Tu commences à me soupçonner ? Tu te demandes ce qu'a écrit Orin ? PETER, protestant violemment. -- Non ! Bien sûr que non ! Comme si je ne savais pas que Orin avait perdu la tête ! Pourquoi veux-tu que je me tracasse pour... ? LAVINIA. -- Tu me jures que tu ne me soupçonneras jamais... de rien ? PETER. -- Pour qui me prends-tu ? LAVINIA. -- Tu ne permettras pas que rien vienne se dresser entre nous ? Rien ne peut nous empêcher d'être heureux, n'est-ce pas ? Tu ne le permettras pas, dis ? PETER. -- Bien sûr que non ! LAVINIA, de plus en plus désespérée. -- Je veux me marier tout de suite, Peter ! J'ai peur ! Tu veux m'épouser maintenant... ce soir ? On trouvera bien un prêtre. En deux secondes, je peux me changer et mettre la couleur que tu aimes ! Épouse-moi aujourd'hui, Peter ! J'ai peur d'attendre ! PETER, ébahi et un peu scandalisé. -- Mais... tu ne parles pas sérieusement, n'est-ce pas ? C'est impossible. Ça ferait mauvais effet, le jour où Orin... le respect qu'on lui doit... (Puis, méfiant en dépit de lui-même :) Je ne vois pas pourquoi tu as si peur d'attendre. Il ne peut rien arriver, n'est-ce pas ? Y aurait-il quelque chose, dans ce qu'a écrit Orin, qui nous empêcherait de... ? LAVINIA, avec un rire déchaîné mais où s'exprime la conscience qu'elle a prise de sa défaite. -- Les morts qui se dressent entre toi et moi ! C'était fatal, Peter ! Tu me confies ton bonheur. Mais cela veut dire que tu te confies aux morts de la famille Mannon... et l'amour, ce n'est pas à eux qu'il faut le confier ! Je ne le sais que trop ! Et ton regard, si plein de confiance dans la vie, je ne supporterais pas de le voir devenir amer, et cherchant à me fuir ! Je t'aime trop pour cela ! PETER, que cette dernière réplique rend plus embarrassé et plus méfiant encore. -- De quoi parles-tu, Vinnie ? On dirait qu'il y a eu effectivement quelque chose... LAVINIA, désespérément. -- Non ! Rien ! (Elle l'enlace soudain.) Non ! Il ne faut pas que tu croies ça... pas encore ! Je veux un petit moment de bonheur... malgré tous les morts ! Je l'ai bien mérité ! J'ai fait assez... ! (De plus en plus désespérée, elle l'implore frénétiquement.) Écoute, Peter... Pourquoi attendre de nous marier ? Je veux quelques moments de joie... d'amour... pour me dédommager à l'avance ! Et ça, je le veux maintenant ! Est-ce que tu ne peux pas être fort, Peter, et simple, et pur ? Est-ce que tu ne peux pas oublier le péché et comprendre que l'amour est toujours beau ? (Elle l'embrasse avec passion et désespoir.) Embrasse-moi ! Serre-moi contre toi ! Désire-moi ! Désire-moi si fort que tu serais capable de tuer quiconque me désirerait ! Moi, je l'ai bien fait... pour toi ! Prends-moi dans cette maison des morts et aime-moi ! Notre amour chassera les morts ! Il leur fera honte et les rejettera dans la mort ! (Elle est au comble du désespoir et cherche frénétiquement à se donner.) Désire-moi ! Prends-moi, Adam ! (Ce nom qui vient de lui échapper la fait sursauter et reprendre conscience ; effarée, elle éclate d'un rire idiot.) Adam ? Pourquoi t'ai-je appelé Adam ? Je n'avais jamais entendu ce nom-là... sauf dans la Bible ! (Puis tout à coup, ayant perdu tout espoir, définitivement résignée.) Toujours les morts entre nous ! Inutile de s'acharner ! PETER, convaincu qu'elle est hystérique, et scandalisé en même temps par ce déploiement de passion qui lui répugne. Vinnie ! Tu dis des bêtises ! Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu n'es pas... tu n'es pas comme ça ! LAVINIA, d'une voix morte. -- Je ne peux pas t'épouser, Peter. Tu ne dois plus jamais me revoir. (Il la dévisage, stupéfait et abasourdi.) Rentre chez toi. Réconcilie-toi avec ta mère et Hazel. Marie-toi avec une autre. L'amour m'est interdit. Les morts sont trop forts ! PETER, bouleversé. -- Vinnie ! Tu ne peux pas... ! Tu es devenue folle... Qu'est-ce qui t'est arrivé ? (Puis, méfiant :) C'est ce que... Orin a écrit ? (Puis, comme elle ne répond pas, plus méfiant encore :) Il était si bizarre quand il parlait de... ce qui t'est arrivé dans les Îles. C'est quelque chose qui s'est passé là-bas... quelque chose qui a à voir avec cet indigène... ? LAVINIA se sent d'abord instinctivement vexée et insultée. -- Peter ! Comment oses-tu... ? (Puis, soudain, elle saisit l'occasion. Avec une grossièreté délibérée :) Bon ! Très bien ! Oui, puisqu'il faut que tu le saches ! Je ne veux plus mentir ! Orin me soupçonnait de m'être donnée à cet homme ! Et c'était vrai ! PETER recule, consterné, et parle par saccades. -- Vinnie ! Tu es devenue folle ! Je ne te crois pas... ce... n'est pas possible... ! LAVINIA, sur un ton strident. -- Et pourquoi aurais-je dû me gêner ? Je le désirais ! Je voulais qu'il m'apprenne à aimer... aimer sans péché ! C'est ce que j'ai fait, je te dis ! Il m'a prise ! J'étais sa maîtresse ! PETER fait une grimace de douleur comme si elle lui avait donné une claque ; il la dévisage avec un regard effaré, plein de dégoût horrifié. Sur un ton saccadé où se mêlent colère et amertume. -- Alors... Maman et Hazel avaient raison... tu es mauvaise jusqu'au fond du coeur... pas étonnant que Orin se soit tué... Dieu, je... j'espère que tu seras punie... je... ! Éperdu, il sort précipitamment par l'allée de gauche. LAVINIA le regarde partir, puis, avec un petit cri de désespoir s'apprête à le suivre. -- Peter ! C'est un mensonge ! Je n'ai pas... ! (Elle s'arrête net, se raidit et retrouve son attitude militaire d'autrefois. Elle regarde l'allée dans la direction où il est parti, puis se détourne et, d'une voix vide et perdue :) Adieu, Peter. Seth entre par le fond à gauche et contourne le coin de la maison. Il reste un instant immobile à regarder Lavinia, dans une attitude sévère et interrogative. Puis, pour attirer son attention, il se met à fredonner à mi-voix la mélancolique Shenandoah, tout en gardant les yeux fixés au sol, comme s'il cherchait quelque chose autour de lui. SETH : Oh, Shenandoah, je peux pas v'nir près de toi. Tout au loin, je m'en va. LAVINIA, sans le regarder, reprend les mots de la chanson. Avec un sourire crispé et sinistre. -- Je ne m'en vais pas tout au loin... pas maintenant, Seth. C'est ici que je vais... chez les morts de la famille Mannon ! Elle émet un petit rire qui ressemble à un gloussement et se tourne comme pour entrer dans la maison. SETH, effrayé à la vue de son visage, l'empoigne par le bras. -- N'entrez pas là-dedans, Vinnie ! LAVINIA, sinistre. -- N'aie pas peur ! Je ne vais pas prendre le chemin de maman et de Orin. Ce serait échapper au châtiment. Et il ne reste personne pour me châtier. Je suis la dernière Mannon. Il faut que je me punisse moi-même ! Vivre ici, toute seule avec les morts, ce sera un acte de justice plus terrible que la mort ou la prison ! Je ne sortirai jamais et je ne verrai personne ! Je ferai clouer les volets pour que la lumière du soleil ne puisse plus jamais entrer. Je vivrai seule avec les morts, je garderai leurs secrets, je les laisserai me traquer jusqu'à ce que la malédiction soit expiée et que le dernier des Mannon puisse enfin mourir ! (Avec un cruel sourire d'exultation devant les années de torture qu'elle va s'infliger :) Je sais qu'ils veilleront à ce que je vive longtemps ! Il n'y a que les Mannon pour se punir d'être nés ! SETH, sur un ton sinistre, marquant qu'il a bien saisi. -- Ouais. Et j'ai pas entendu un mot de c'que vous m'avez dit, Vinnie. (Faisant semblant de chercher quelque chose sur le sol alentour :) J'ai laissé ma tondeuse quelque part par là. LAVINIA, se tournant sèchement vers lui. -- Maintenant tu vas aller fermer les volets et les clouer solidement. SETH. -- Ouais. LAVINIA. -- Et dis à Hannah de jeter les fleurs. SETH. -- Ouais. Il monte les marches en passant devant elle et entre dans la maison. Elle monte jusqu'au portique, puis se tourne et reste un instant, raide, dans une attitude militaire, son regard glacial fixé sur le soleil. Seth se penche à la fenêtre, à droite de la porte, et ferme les volets en les faisant claquer délibérément. Comme obéissant à un signal, Lavinia exécute un brusque demi-tour, entre dans la maison presque au pas cadencé et ferme la porte derrière elle. Source : O'Neill (Eugene), Le deuil sied à Électre, in Théâtre complet 7, trad. par Louis Lanoix, Paris, L'Arche, 1965. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« de… ce qui t’est arrivé dans les Îles.

C’est quelque chose qui s’est passé là-bas… quelque chose qui a à voir avec cet indigène… ? LAVINIA se sent d’abord instinctivement vexée et insultée. — Peter ! Comment oses-tu… ? (Puis, soudain, elle saisit l’occasion.

Avec une grossièreté délibérée :) Bon ! Très bien ! Oui, puisqu’il faut que tu le saches ! Je ne veux plus mentir ! Orin me soupçonnait de m’être donnée à cet homme ! Et c’était vrai ! PETER recule, consterné, et parle par saccades. — Vinnie ! Tu es devenue folle ! Je ne te crois pas… ce… n’est pas possible… ! LAVINIA , sur un ton strident. — Et pourquoi aurais-je dû me gêner ? Je le désirais ! Je voulais qu’il m’apprenne à aimer… aimer sans péché ! C’est ce que j’ai fait, je te dis ! Il m’a prise ! J’étais sa maîtresse ! PETER fait une grimace de douleur comme si elle lui avait donné une claque ; il la dévisage avec un regard effaré, plein de dégoût horrifié.

Sur un ton saccadé où se mêlent colère et amertume. — Alors… Maman et Hazel avaient raison… tu es mauvaise jusqu’au fond du cœur… pas étonnant que Orin se soit tué… Dieu, je… j’espère que tu seras punie… je… ! Éperdu, il sort précipitamment par l’allée de gauche. LAVINIA le regarde partir, puis, avec un petit cri de désespoir s’apprête à le suivre. — Peter ! C’est un mensonge ! Je n’ai pas… ! (Elle s’arrête net, se raidit et retrouve son attitude militaire d’autrefois.

Elle regarde l’allée dans la direction où il est parti, puis se détourne et, d’une voix vide et perdue :) Adieu, Peter. Seth entre par le fond à gauche et contourne le coin de la maison.

Il reste un instant immobile à regarder Lavinia, dans une attitude sévère et interrogative.

Puis, pour attirer son attention, il se met à fredonner à mi-voix la mélancolique Shenandoah , tout en gardant les yeux fixés au sol, comme s’il cherchait quelque chose autour de lui. SETH : Oh, Shenandoah, je peux pas v’nir près de toi. Tout au loin, je m’en va. LAVINIA , sans le regarder, reprend les mots de la chanson.

Avec un sourire crispé et sinistre. — Je ne m’en vais pas tout au loin… pas maintenant, Seth.

C’est ici que je vais… chez les morts de la famille Mannon ! Elle émet un petit rire qui ressemble à un gloussement et se tourne comme pour entrer dans la maison. SETH , effrayé à la vue de son visage, l’empoigne par le bras. — N’entrez pas là-dedans, Vinnie ! LAVINIA , sinistre. — N’aie pas peur ! Je ne vais pas prendre le chemin de maman et de Orin.

Ce serait échapper au châtiment.

Et il ne reste personne pour me châtier.

Je suis la dernière Mannon.

Il faut que je me punisse moi-même ! Vivre ici, toute seule avec les morts, ce sera un acte de justice plus terrible que la mort ou la prison ! Je ne sortirai jamais et je ne verrai personne ! Je ferai clouer les volets pour que la lumière du soleil ne puisse plus jamais entrer.

Je vivrai seule avec les morts, je garderai leurs secrets, je les laisserai me traquer jusqu’à ce que la malédiction soit expiée et que le dernier des Mannon puisse enfin mourir ! (Avec un cruel sourire d’exultation devant les années de torture qu’elle va s’infliger :) Je sais qu’ils veilleront à ce que je vive longtemps ! Il n’y a que les Mannon pour se punir d’être nés ! SETH , sur un ton sinistre, marquant qu’il a bien saisi. — Ouais.

Et j’ai pas entendu un mot de c’que vous m’avez dit, Vinnie.

(Faisant semblant de chercher quelque chose sur le sol alentour :) J’ai laissé ma tondeuse quelque part par là. LAVINIA , se tournant sèchement vers lui. — Maintenant tu vas aller fermer les volets et les clouer solidement. SETH .

— Ouais. LAVINIA .

— Et dis à Hannah de jeter les fleurs. SETH .

— Ouais. Il monte les marches en passant devant elle et entre dans la maison.

Elle monte jusqu'au portique, puis se tourne et reste un instant, raide, dans une attitude militaire, son regard glacial fixé sur le soleil.

Seth se penche à la fenêtre, à droite de la porte, et ferme les volets en les faisant claquer délibérément.

Comme obéissant à un signal, Lavinia exécute un brusque demi-tour, entre dans la maison presque au pas cadencé et ferme la porte derrière elle. Source : O'Neill (Eugene), Le deuil sied à Électre, in Théâtre complet 7, trad.

par Louis Lanoix, Paris, L'Arche, 1965. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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