On Qualifie Souvent Le Héros De Camus, Meursault, De Personnage Insensible Et Asocial. Ces Qualificatifs Et Cette Définition Du Personnage Vous Semblent-Ils Suffisants Pour Le Définir ?
Publié le 22/10/2010
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Le roman L’Étranger d’Albert Camus m’a été recommandé par plusieurs de mes amis. Aussi, j’ai été assez curieuse de lire cette œuvre. Et à vrai dire : il se lit très vite et avec aisance. Le roman est écrit dans le style d’un journal intime, toutefois sans émotions. Les phrases y sont courtes et les mots utilisés appartiennent au vocabulaire quotidien ou populaire. Le langage reste très simple tout au long du livre et l'intrigue, assez captivante, se déroule rapidement et dans un sens, elle est bien simple aussi.
Le roman date de 1942 et l’histoire a lieu en Algérie française à une époque non déterminée mais qui se situe probablement dans les années trente. Tout commence par un télégramme de l’asile : il informe Meursault que sa mère est décédée. Aussi, Meursault se rend à son enterrement à Marengo, où il laisse une assez mauvaise impression de par son insensibilité : pas seulement qu’il ne pleure pas, boit du café au lait et fume auprès de sa mère morte mais aussi il ne sait pas l’âge de sa mère et refuse de voir son corps une dernière fois.
Dès le lendemain des funérailles Meursault rencontre Marie qui devient immédiatement sa petite amie. Puis un jour Meursault fait connaissance avec Raymond, son voisin de palier. Celui-ci lui raconte ses problèmes avec sa maîtresse Mauresque car il la soupçonne de tromperie et veut donc l'en punir. Raymond l’invite plus tard, avec Marie, passer une journée chez un de ses amis qui habitent près de la mer. Malheureusement, ils sont vus et suivis par le frère de la Mauresque et ses amis, qui veulent venger sa sœur battue. Ce jour là Meursault tuera sans raison apparente, et par quatre coups de revolver l’un des Arabes, et sera plus tard condamné à mort.
Dans notre dissertation nous allons essayer de voir si le héros de ce roman, Meursault, jugé par la société comme insensible et asocial, peut, effectivement, être ainsi défini. Pour cela, nous allons d’abord analyser le mot « héros «. Puis, après avoir estimé dans quelle mesure nous pouvons parler d'insensibilité et d'asociabilité chez Meursault, nous essayerons de faire un portrait plus étoffé de ce dernier.
Commençons alors par la définition du mot « héros «. Comme nous le savons, ce mot est passé par de nombreux changements de sens depuis plusieurs siècles. Tout d’abord, dans l’Antiquité, ce mot représentait un demi-dieu, un homme extrêmement courageux, fort et beau et qui est devenu célèbre pour ses exploits admirables. Puis, la littérature médiévale a poursuivi la magnification du héros, cette-fois-ci au service du roi et de sa dame adorée. Par la suite, le drame bourgeois nous a présenté des valeurs nouvelles du héros : la raison, l’intelligence et l’ordre. Plus tard encore, au XIXème siècle, le héros sans armes, l’artiste et le créateur, souffre de la non-compréhension des autres. Le héros du roman commence à représenter ainsi le personnage principal, qui ne doit plus forcement être fort et beau, mais qui est, toutefois, toujours positif.
Alors, nombreux sont ceux qui se demandent si Meursault, meurtrier, insensible et asocial, sans ambition, représente-il un héros, ou plutôt un anti-héros, c’est-à-dire un personnage qui ne présente pas certaines, voir aucune des qualités du héros traditionnel : la gloire, le courage, la bonneté, la beauté, la sympathie, l’intelligence, etc. Car il est vrai que Meursault n’a rien d’un héros traditionnel. C’est un être banal, qui mène une vie médiocre et pour qui tout est sans importance : « Le soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. «[1]. Plus important encore, il commet un crime qui n’a même pas un motif réel : « J'ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c'était à cause du soleil. «[2]
Toutefois, son manque d’ambition, un certain désintérêt pour son avenir et enfin sa notion de vérité si abstraite aux yeux de la société, et qui lui vaudra d'ailleurs la peine capitale, tout cet anti-héroïsme, sont autant d'éléments qui érigent Meursault en héros, quoique un héros tragique.
En effet, face à la société où chacun cherche le pouvoir et la puissance, à prouver son importance et son caractère extraordinaire, lui est désintéressé. Et c’est surtout cela qui le grandit à nos yeux. Paradoxalement, c’est ainsi la société par son intolérance qui fait de Meursault, malgré lui, un héros.
Regardons maintenant ensemble les mots utilisés pour la description de notre personnage : « insensible « et « asocial «. Effectivement, en témoignant du calme avec lequel Meursault accepte la mort de sa mère, l’indifférence que celui-ci ressent pour la sympathique Marie qui le distrait seulement, ou pour Raymond qui lui demande son amitié, on peut se demander si Meursault est quelqu’un capable d’aimer et de ressentir vraiment les choses. D’ailleurs, ses phrases principales le révèlent : « …cela m’était égal «, « …je n’en pensais rien «[3], « … tout cela était sans importance réelle «[4], « …cela ne voulait rien dire. «[5], etc.
De plus, Meursault ne semble pas regretter pas beaucoup son acte, qui représente pour lui un fait plutôt ennuyeux que véritablement regrettable. D’ailleurs, selon ses propres mots, il n’avait « jamais pu regretter vraiment quelque chose «[6]. En effet, les sentiments si communs comme les remords, le respect pour la vie humaine, le deuil, l’amour ou encore l’ambition, Meursault ne les ressent pas.
Mais, contrairement aux apparences, Meursault n’est pas quelqu’un de triste, mais quelqu’un qui aime bien sa vie, qui est heureux et qui, même la veille de son exécution le soit : « …j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. «[7] En même temps, au jour de la veille de sa mort, Meursault assume son calme au moment de la mort de sa mère, pensant qu’elle « …devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre « et que « Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. «[8]
De plus, Meursault est un vrai passionné de la nature, comme en témoignent nombreuses de ses descriptions du ciel, de la terre, de la mer, de la lumière et du soleil : « Je suis resté longtemps à regarder le ciel «[9], « J’avais tout le ciel dans les yeux et il était bleu et doré «[10], « Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes «[11], « …sur mon visage tourné vers le ciel le soleil écartait les derniers voiles d’eau qui me coulaient dans la bouche « ou encore «… tout s’arrêtait ici entre la mer, le sable et le soleil… «[12], etc.
En effet, Meursault est un homme qui préfère tout simplement la vie dans la nature à la vie dans la société qu'il ne semble pas comprendre. Ceci est très bien démontré avec l’histoire de « la petite femme automatique «[13] qui à toute vitesse « suivait son chemin sans dévier «[14]. En effet, elle pourrait représenter toute notre société, toujours si pressée, si peu spontanée et comme pré-programmé à faire des choses. Il parait normal que Meursault faisant des choses instinctivement, vivant de jour en jour, sans se presser et s’inquiéter, puisse la trouver bizarre et probablement même absurde.
Il est aussi évocateur qu’en répondant à la dame si elle pouvait s’assoir, Meursault dit « Naturellement… «.[15] En effet, contrairement à la dame qui fait tout machinalement, Meursault agit naturellement, selon ses propres désirs et en harmonie avec lui-même. D’ailleurs, ces mots « naturel « et « naturellement « sont ceux des plus utilisés par lui.[16]
Nous pouvons alors dire que juger Meursault « d’asocial et d’insensible « serait une approche assez simpliste. Il parait plutôt être quelqu’un d' « étranger « à la société, à ses mœurs et à ses valeurs traditionnelles, telles l’ambition, la croyance en Dieu, la pitié, l’amour, etc. C’est un être très naturel, voir primitif et qui agit purement instinctivement selon ses désirs et sans grandes émotions. Mais loin d’être insensible, Meursault est quelqu’un de très sensuel, simple est qui aime profiter de la vie. Il ne déteste pas les gens mais ne les recherche pas non plus. Il veut simplement être lui-même et ne pas porter un masque pour paraître normal et plaire aux autres.
Aussi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, Meursault ne veut pas simplifier sa vie. Ou plus exactement, il ne veut pas se la simplifier et même rester en vie pour le prix d’un mensonge. Il affirme ce qu'il est et ce qu’il ressent et refuse de masquer ses sentiments, de mentir à lui-même ou aux gens qui le jugent et finalement le condamnent pour sa différence.
Pour conclure, nous pouvons dire que Meursault est donc bien un héros, mais seulement par rapport à la société qui le condamne. Contrairement aux héros traditionnels, chez Meursault ce sont précisément ses « anti-qualités « qui font de lui un héros, ceci en contexte avec les valeurs et jugements de la société. Toutefois, ce dernier possède une qualité que notre société approuve : la sincérité, quoique souvent absurde. Assez paradoxalement, c’est justement cette qualité qui le tue.
Car Meursault n’est pas condamné à mort parce qu’il a tué quelqu’un, mais surtout parce qu’il est différent des autres et ne le cache pas. En effet, l’assassinat d’un Arabe par un Français dans l’Algérie française semble pour la justice sans grande importance, contrairement au profil « monstrueux « de Meursault du à son athéisme, sa vie dissolue, son indifférence envers la mort de sa mère ou de sa victime. Il est évident que la société doit punir les gens pour ses crimes, mais Meursault se trouve condamné à mort parce qu’il n’a pas suivi les règles de la société dans laquelle il vit. Vraisemblablement, il devrait aller en prison pour son crime, mais de façon absurde, on met fin à sa vie en condamnant sa personnalité.
Nous devons nous demander alors, s’il est normal et acceptable qu’un homme meurt de façon aussi arbitraire, à cause des préjugés. Evidement, la réponse est négative. Aussi, Albert Camus démontre dans son roman une certaine intolérance de la société qui commet pratiquement un crime aussi grave et absurde que celui qu'elle juge. Meursault est différent par son caractère mais cette différence peut être aussi bien signifiée par la nationalité, la couleur de la peau, la religion, etc. Rappelons-nous maintenant dans ce contexte la Deuxième guerre mondiale, pendant laquelle ce roman a été publié. A cette époque des millions de juifs et de personnes autrement « différentes « ont été tué. Ce drame de l'Histoire est encore aggravé par le fait que la différence était souvent leur seul « crime «…
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[1] CAMUS, Albert, L’étranger, Saint-Amand, Folio, 1973, Page 69
[2] Ibidem, p. 160
[3] Ibidem, p. 5
[4] Ibidem, p. 69
[5] Ibidem, p. 102
[6] Ibidem, p. 157
[7] Ibidem, p. 188
[8] Ibidem, p. 187 - 188
[9] Ibidem, p. 39
[10] Ibidem, p. 34
[11] Ibidem, p. 18
[12] Ibidem, p. 91
[13] Ibidem, p. 186
[14] Ibidem, p. 73
[15] Ibidem, p. 71
[16] Ibidem, par exemple à la suite des pages 165, 168, 170, 175, 176, 179, 183, etc.
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