Nouvelle Héloïse de Rousseau

Rousseau a tiré ce roman tout entier de son imagination et de son coeur. Dans la solitude de l'Ermitage, il se laisse aller au rêve sentimental et il s'entoure de créatures idéales qu'il pare de tous les attraits. Il les engage dans la vie des passions, s'attendrit et souffre avec elles, s'identifie à un de ses personnages, identifie aux autres telles personnes qu'il a connues, et vit ainsi dans son rêve pendant tout un printemps. Puis, il 1 écrit et le situe dans le cadre enchanteur des Alpes suisses, à Vevey. C'est La Nouvelle Héloïse, qui est à la fois un roman et un poème lyrique. Saint-Preux, un prolétaire grand par le coeur et par l'esprit — Saint-Preux est Rousseau lui-même — est précepteur chez le baron d'Etanges. Il abuse de sa confiance pour séduire sa fille Julie. Il doit quitter la maison. Il parcourt le monde et il écrit à Julie ses impressions sur la société factice qu'il traverse, sur la morale, sur la religion, sur toutes choses; et Julie lui donne la réplique, docte et enflammée. Julie se marie avec un M. de Wolmar, un huguenot froid, sublime, un peu sot dans sa solennité tendre. Ce M. de Wolmar écrit à Saint-Preux et le supplie de venir habiter avec lui et avec Julie, afin qu'ils puissent tous les trois donner au monde un exemple de sublime vertu. Saint-Preux s'y rend et nous avons alors la description colorée et puissante de la vie de famille idéale dans la nature. C'est là que se trouvent les pages célèbres sur les vendanges de Clarens, sur l'Elysée, sur la tempête, sur le lac, sur la mort de Julie: Trois choses assurèrent le succès de La Nouvelle Héloïse : la passion qui y parle un langage lyrique chaud et vibrant, la prédication morale qui s'exerce sur tous les thèmes mis à la mode par Richardson, le sentiment de la nature qui est sincère et débordant. Ces trois choses firent oublier que le livre est long et ennuyeux et que la donnée en est parfois grotesque, sinon inconvenante.