Nietzsche: la cause et l'effet

Il ne faut pas concrétiser la « cause « et « l'effet «, comme le font à tort les savants naturalistes, et tous ceux qui comme eux pensent en termes de nature, en se conformant à la balourdise du mécanisme régnant, qui imagine la cause comme un piston qui pèse et pousse jusqu'au moment où l'effet est obtenu ; il ne faut user de la « cause « et de 1' « effet «, que comme de purs concepts, c'est-à-dire comme de fictions conventionnelles qui servent à désigner, à se mettre d'accord, nullement à expliquer quoi que ce soit. Dans « l'en-soi « il n'y a nulle trace de « lien-causal «, de « nécessité «, de « déterminisme psychologique « ; 1' « effet « n'y suit pas la « cause «, aucune « loi « n'y règne. C'est nous seuls qui avons inventé comme autant de fictions la cause, la succession, la réciprocité, la relativité, l'obligation, le nombre, la loi, la liberté, la raison, la fin; et quand nous introduisons faussement dans les « choses « ce monde de signes inventés par nous, quand nous l'incorporons aux choses comme s'il leur appartenait « en soi «, nous agissons une fois de plus comme nous l'avons toujours fait, nous créons une mythologie. Nietzsche: la cause et l'effet • La formation des différents concepts scientifiques et des théories au sein desquelles ils s'insèrent peut engendrer périodiquement des illusions de type métaphysique, provenant de ce qu'on attribue une réalité objective aux concepts, oubliant leur caractère purement « instrumental « dans le processus de connaissance. Cette illusion s'assortit souvent de l'absolutisation d'un type d'explication comme dans le cas du « modèle mécaniste « qui, à la suite de la mécanique classique, avait été étendu à tous les domaines du savoir par des savants ou des philosophes qui surestimaient sa fécondité, sa valeur explicative. • Le texte proposé constitue une approche critique et même polémique de l'attitude qui consiste à ériger en réalités effectives de simples concepts requis par l'explication. Du même coup, il assimile les représentations qui s'attachent à cette attitude à des mytho/ogies, pour souligner tout à la fois leur caractère fictif et leurs effets mystificateurs. On s'attachera à dégager les principaux thèmes du texte, et on consacrera une partie du commentaire à caractériser la nature et le fonctionnement de la critique qu'il développe. Nietzsche évoque en effet des notions très diverses, dont les unes seraient plutôt des catégories philosophiques (liberté, raison, fin, etc.) et les autres des concepts scientifiques généraux (nombre, loi, relativité).