Ne désirer que ce qu'on pense pouvoir obtenir, est-ce une bonne règle de vie ?
Publié le 05/12/2010
Extrait du document
Le désir est quelque chose de difficilement définissable car différent d’une personne à une autre. Mais il se caractérise par un manque qu’on essaye de satisfaire avec plus ou moins de réussite. L’Homme s’il désire, c’est justement qu’il ressent le besoin de posséder une chose ou une autre. Il mettra alors tout en œuvre pour l’obtenir dans le but de ne point souffrir. Or le désir n’est pas un besoin. Ce qui caractérise le besoin est que celui-ci doit être toujours satisfait sous peine de mort. Si je n’assouvis pas un désir, je n’en meurs pas pour autant. Le besoin est naturel tandis que le désir est culturel et humain. Ainsi, le désir sexuel est un besoin pour l’espèce mais un désir pour l’individu. Le désir s’accompagne souvent d’un sentiment de manque, de privation.
Le fait de « penser pouvoir obtenir « borne le sujet à ce que l’Homme se croit capable ou non de faire. Ainsi s’il s’en donne les moyens, il devrait réussir.
La notion de règle de vie est difficilement définissable. Une règle est une formule indiquant une démarche, une voie à suivre ou une manière de se conduire. Une règle de vie est donc une règle définie par chaque membre de la communauté en accord avec ses principes. Une « bonne « règle de vie a un double sens. En effet, une règle de vie peut être « bonne « au sens où elle nous est utile c'est-à-dire où elle nous conduit au bonheur.
Mais est bon aussi ce qui est conforme au bien, aux normes éthiques ; ce qui est moral. Une bonne règle de vie peut donc être aussi bien une règle de vie qui conduit au bonheur qu'une règle de vie morale.
Il convient ainsi de se demander si limiter ses désirs à ses principes de vie est une bonne morale ?
Pour cela nous montrerons dans un premier temps la valeur des désirs puis nous étudierons le désir comme obstacle au bonheur.
Le désir est la recherche d’un objet que l’on sait ou que l’on imagine être source de satisfaction. On ne désire que ce qu’on n’a pas. Ainsi, le désir s’accompagne d’un sentiment de manque, d’une privation. Si l’objet de notre désir est difficilement accessible, ce sentiment de manque aboutit alors à une souffrance. De ce fait, on comprend alors que contenter ses désirs, c’est mettre fin à cette douleur. Or selon Kant, la nature a voué l’homme au bonheur. On a donc l’impression qu’assouvir ses désirs c’est répondre à cela à condition que le bonheur ne se limite qu’à l’accomplissement de ses désirs.
Seul l’Homme désire. Dieu parce qu’il est (soit disant) parfait, ne manque de rien et ne saurait désirer. L’animal, quant à lui, ne désire pas, il reste cantonné à ses besoins. La notion de désir est différente du besoin. En effet, le besoin est vital ; ne pas le satisfaire conduirait à une mort certaine de l’individu. Le désir quant à lui n’a rien de vital. L’animal ne répond qu’à ses instincts. Il vise à contenter ses propres besoins qui sont les besoins de son espèce. Seul l’Homme est poussé par ses désirs. Or, le désir n’est pas seulement corporel, il existe des désirs tels que les désirs intellectuels. La philosophie elle-même est un désir, un désir de connaissance, de savoir. Dans le Banquet, Platon identifie le philosophe à Eros (désir, amour), fils de Poros (ressource, richesse intellectuelle ou psychologique) et de Pénia (pauvreté). Eros est donc l’intermédiaire entre la richesse et la pauvreté, assez riche pour combler son dénuement mais trop pauvre pour être pleinement satisfait. Il passe sa vie à philosopher. Les philosophes, dit le texte, ne sont ni sages, ni ignorants. Les dieux ne philosophent pas car ils sont sages. Les ignorants ne philosophent pas non plus car croyant déjà connaitre, ils ne désirent pas la connaissance. Fils d’un père sage et d’une mère pauvre, Poros et Pénia, Eros ne peut être que le philosophe. La philosophie est donc un désir. Elle relève de la condition humaine et semble être notre dignité par rapport à l’animal.
Spinoza définit l’Homme par le désir. En effet, pour Spinoza, l’Homme est animé par ce qu’il appelle le conatus (désir de persévérer dans son être). Celui-ci ne caractérise pas seulement l’Homme mais la Nature toute entière. La Nature, dont nous sommes qu’une infime partie, désire elle-aussi persévérer dans son être et la réalisation de son conatus est la production d’elle-même. La nature se produit donc elle-même. En outre, elle peut le faire sans limite car elle ne rencontre aucun obstacle. L’Homme en tant que partie de la Nature est lui aussi animé par ce désir de production de lui-même. Le conatus se manifeste alors en lui, tant au niveau de son corps qu’au niveau de son âme. En tant que corps, il cherche à vivre le plus longtemps possible, à garder la santé mais convoite également une vie agréable. Il vise l’utile. En tant qu’âme, il désire la connaissance mais pareillement afin de permettre à son âme de persévérer dans son être. Tant que nous agissons selon notre seul conatus, nous éprouvons de la joie. La tristesse vient lorsque nous sommes empêchés de réaliser notre conatus par l’intervention de choses extérieures. Selon Spinoza, une bonne règle de vie est celle qui consiste à satisfaire nos désirs lorsqu’ils proviennent de nous même et non en subissant les actions extérieures. L’accomplissement des désirs consiste alors à rechercher l’utile qui nous est propre. Le bon se définit d’ailleurs comme ce qui est objet de nos désirs. Quelque chose n’est pas désirable parce qu’il est bon mais bon parce qu’il est désirable. Le désir apparait alors comme producteur de valeurs. Satisfaire tous nos désirs contribue-t-il à notre bonheur ou vaut-il mieux les limiter ?
Platon compare le désir au tonneau des Danaïdes. Selon la mythologie, les Danaïdes ont été condamnées à remplir d’eau un tonneau percé. De la même façon que le tonneau ne sera jamais rempli, le désir n’est jamais satisfait. A peine accompli, un désir renait car de la jouissance passée nait le regret de ne plus désirer. En se sens, accomplir tous ses désirs n’est nullement recette du bonheur. Celui qui choisirait cette règle de vie serait sans cesse en mouvement, incapable d’atteindre la sérénité de l’âme supposée par le bonheur. Epicure décrit de même le plaisir en mouvement, toujours en quête, jamais satisfait, obstacle à l’ataraxie. Le bonheur ne saurait être la somme de satisfaction de tous les désirs car cet assouvissement complet et total n’existe pas.
Faut-il alors renoncer à tous ses désirs ? C’est cette solution que préconise Schopenhauer. Selon lui, tout dans l’univers est animé de volonté. Chez Schopenhauer, la volonté n’a rien à voir avec le libre-arbitre mais c’est une puissance aveugle de vie, sans fondement et surtout sans finalité. L’Homme est un jouet inconscient de ce qui l’anime. Il n’existe aucun plan divin et nous sommes esclaves de notre vouloir vivre. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’aux yeux de Schopenhauer, l’Homme est esclave du désir et oscille entre la souffrance et l’ennui. La douleur est alors notre condition. La morale de Schopenhauer va alors être une morale d’abnégation. Il faut renoncer à transmettre la vie car cela consiste à propager la tromperie du bonheur. Ainsi, il faut renoncer au désir pour éradiquer le mal. Or, si satisfaire tous ses désirs n’est pas une bonne règle de vie, l’alternative est-elle vraiment de n’en satisfaire aucun ?
La sagesse antique est moins radicale dans sa recherche du bonheur. En effet, qui dit « règle « suppose « seuil à ne pas franchir «. Une règle hypothétique l’idée d’introduire une norme. La position stoïcienne nous engage à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas. Il ne faut pas assouvir tous ses désirs mais les définir. Le principe est alors de suivre la raison et d’accorder notre vouloir à notre pouvoir. Notre pensée, notre vouloir, notre attitude face au monde dépendent de nous. Tandis que l’ordre naturel des choses et l’ordre social ne dépendent pas de nous. Le stoïcien, déterministe, pense que la liberté d’action est vouée à l’échec. En effet, désirer changer l’ordre du monde ne peut que nous rendre malheureux. En revanche, vouloir l’ordre des choses, c’est être assuré de voir ses désirs toujours réalisés et donc de trouver le bonheur. Il s’agit au fond de n’avoir que des désirs raisonnables. Dans l’un des épisodes du Petit Prince de Saint-Exupéry, il est question d’un roi qui n’a que des désirs sensés et qui voit donc toujours se réaliser tous ses désirs. Contenter tous ses désirs est une bonne règle à condition de régir le soi-même, de ne désirer que ce qui est possible. Selon un autre point de vue, Epicure propose une classification des désirs. Il faut toujours satisfaire les désirs naturels et nécessaires parce qu’ils sont indispensables à notre survie. En effet, manger, boire, … sont des comportements naturels et nécessaires. De temps à autre, il convient d’assouvir les désirs naturels et non nécessaires qui sont des variations des désirs nécessaires. Ainsi, il n’est pas interdit de manger des mets raffinés ou de consommer des boissons alcoolisées. On se gardera néanmoins de le faire trop souvent par peur d’en devenir esclave. La vertu du sage se situe dans l’autarcie, c'est-à-dire l’autosuffisance. Quant aux désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, ils nous entrainent dans l’infini du désir que nous avons déjà décrit et il ne faut en aucun cas les satisfaire. Incompatibles avec l’autarcie, ils empêchent également l’ataraxie. Ainsi, aux yeux d’Epicure, la sagesse réside dans un calcul des désirs qui vise au maximum de plaisir et au minimum de déplaisir. Nul désir n’est condamnable puisqu’il donne du plaisir mais aucun désir qui conduit à davantage de douleur que de plaisir ne doit être accompli.
Ainsi, nous voyons que ne satisfaire que les désirs que l’on pense pouvoir obtenir n’est pas une bonne règle de vie. Mais satisfaire tous ses désirs n’est pas non plus une bonne règle de vie. Mais cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à tous nos désirs. Le désir seul peut nous orienter vers des buts pleinement humains. Il faut faire en sorte que de puissance de vie, il ne se transforme pas en désir de mort et donc de mort du désir. Le désir est à la fois puissance d’action et de négation, de transformation et de destruction. C’est à nous de savoir rester maitre de celui-ci. La frustration de ce désir est aussi constitutive d’une existence morale et l’Homme est partagé entre ses désirs et les règles qu’il s’impose. On pourrait alors se demander si en l’absence de règle, le désir se maintiendrait puisqu’il ne semble avoir d’intensité qu’en fonction des obstacles et des interdits qu’il peut rencontrer.
Liens utiles
- L'accomplissement de tous nos désirs s'oppose-t-il à une bonne règle de vie ?
- Accomplir tous ses désirs, est-ce une bonne règle de vie ?
- accomplir tous ses désirs , est-ce une bonne règle de vie ?
- ACCOMPLIR TOUS SES DÉSIRS EST-CE UNE BONNE RÈGLE DE VIE
- Accomplir tous ses désirs, est-ce une bonne règle de vie ?