Musset, la Confession d'un enfant du siècle (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Musset, la Confession d'un enfant du siècle (extrait). Une ultime et violente scène de jalousie a détruit irrémédiablement le couple que formait Octave et Brigitte, laissant Brigitte brisée et défaillante et scellant l'échec de l'amour qui constituait l'ultime valeur. Contemplant sa maîtresse endormie, Octave, en plein désarroi, plonge alors en lui-même, « sondant « en son âme le mal qu'il a fait. C'est en y touchant la terrible vérité de la souffrance mise à nu qu'il sombrera dans un accès de folie destructrice, manquant de commettre l'irréparable. La Confession d'un enfant du siècle d'Alfred de Musset (cinquième partie, chapitre 6) Quoi que j'eusse pu dire ou faire, jamais l'idée de perdre Brigitte ne s'était encore présentée à moi. J'avais cent fois voulu la quitter ; mais qui a aimé en ce monde et ne sait ce qui en est ? Ce n'était que du désespoir ou des mouvements de colère. Tant que je me savais aimé d'elle, j'étais bien sûr de l'aimer aussi ; l'invincible nécessité venait, pour la première fois, de se lever entre nous deux. J'en ressentais comme une langueur sourde, où je ne distinguais rien clairement. J'étais courbé près de l'alcôve, et quoique j'eusse vu dès le premier instant toute l'étendue de mon malheur, je n'en sentais pas la souffrance. Ce que mon esprit comprenait, mon âme, faible et épouvantée, semblait reculer pour n'en rien voir.-- Allons, me disais-je, cela est certain ; je l'ai voulu, et je l'ai fait ; il n'y a pas le moindre doute que nous ne pouvons plus vivre ensemble ; je ne veux pas tuer cette femme, ainsi, je n'ai plus qu'à la quitter. Voilà qui est fait ; je m'en irai demain. Et, tout en me parlant ainsi, je ne pensais ni à mes torts, ni au passé, ni à l'avenir ; je ne me souvenais ni de Smith ni de quoi que ce soit en ce moment ; je n'aurais pu dire qui m'avait amené là, ni ce que j'avais fait depuis une heure. Je regardais les murs de la chambre, et je crois que tout ce qui m'occupait était de chercher pour le lendemain par quelle voiture je m'en irais. Je demeurai assez longtemps dans cet état de calme étrange. Comme un homme frappé d'un coup de poignard ne sent d'abord que le froid du fer ; il fait encore quelques pas sur sa route, et, stupéfait, les yeux égarés, il se demande ce qui lui arrive. Mais peu à peu le sang vient goutte à goutte, la plaie s'entr'ouvre et le laisse couler ; la terre se teint d'une pourpre noire, la mort arrive ; l'homme, à son approche, frissonne d'horreur et tombe foudroyé. Ainsi, tranquille en apparence, j'écoutais venir le malheur ; je me répétais à voix basse ce que Brigitte m'avait dit, et je disposais autour d'elle tout ce que je savais d'habitude qu'on lui préparait pour la nuit ; puis je la regardais, puis j'allais à la fenêtre et j'y restais le front collé aux vitres, devant un grand ciel sombre et lourd ; puis je revenais près du lit. Partir demain, c'était ma seule pensée, et peu à peu ce mot de partir me devenait intelligible. -- Ah Dieu ! m'écriai-je tout à coup, ma pauvre maîtresse, je vous perds, et je n'ai pas su vous aimer ! Je tressaillis à ces paroles, comme si c'eût été un autre que moi qui les eût prononcées ; elles retentirent dans tout mon être, comme dans une harpe tendue un coup de vent qui va la briser. En un instant, deux ans de souffrances me traversèrent le coeur, et, après elles, comme leur conséquence et leur dernière expression, le présent me saisit. Comment rendrai-je une pareille douleur ? Par un seul mot peut-être, pour ceux qui ont aimé. J'avais pris la main de Brigitte, et, rêvant sans doute dans son sommeil, elle avait prononcé mon nom. Source : Musset (Alfred de), la Confession d'un enfant du siècle, 1836. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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