Mise En Scène Du Misanthrope
Publié le 18/10/2010
Extrait du document
Une frappante absence de décor, une absence de costumes… la neutralité de la scène théâtrale dans la mise en scène du Misanthrope de Molière de Laurence Hétier répond aux critères propres du théâtre du Nord-Ouest à Paris. En effet, ce théâtre d’art et d’essai fondé et dirigé par Jean-Luc Jeener depuis 1997, met à l’honneur cette caractéristique, d’une part par contrainte financière et d’autre part, et particulièrement pour cette raison, car le théâtre est pour lui « l’art de l’incarnation des personnages «, il veut « ôter le superflu et travailler sur la déstructuration «.
Aussi, l’analyse que nous entreprenons ici portera de façon quasi-exclusive sur le jeu des comédiens, sur la comparaison des fantasmes Moliéresques et de ceux apportés par Laurence Hétier. Nous verrons ici que, sur les traces des fantasmes Moliéresques, le metteur en scène approfondit les traits des personnages et les portent à un degré qui dépasse celui que nous ressentons à la lecture du texte de Molière.
Ainsi, nous nous interrogerons sur ces divergences de caractère et tenterons d’en comprendre la vision personnelle de Laurence Hétier quant aux personnages.
Nous aborderons le jeu des principaux personnages et en jugerons la pertinence dans la volonté «d’incarnation« à laquelle s’attache Jean-Luc Jeener.
Tout d’abord, rappelons le caractère extrême d’Alceste, « elle [sa haine pour la nature humaine] est générale, et je hais tous les hommes «. Alceste exprime son humeur noire, sa bile, tout au long de la pièce. Il est révolté par l’hypocrisie des hommes, leur complaisance, leur « lâche flatterie «, qu’il qualifie même de « commerce honteux de semblants d’amitié «. Il est un personnage aux propos démesurés («Et parfois il me prend des mouvements soudains / De fuir dans un désert l’approche des humains «), et est en proie à une colère qui le ravage de ses tourments. Chez Laurence Hétier, Alceste est cet homme révolté mais son expressivité semble s’élever au-delà de la colère, au-delà même de l’indignation, il apparaît dans autre mesure, résigné, très souvent à la limite des larmes et va, tombé à terre accablé de chagrin jusqu’à éclater en sanglots dans les bras de Célimène à la scène III de l’acte IV. En effet, dès la scène première, dans laquelle il se querelle avec Philinte, il évoque ces procédés qu’il abhorre avec une sensibilité, une intonation à la limite du pathétique, dans le sens où le spectateur s’attend à recevoir ses larmes. Alceste laisse éclater sur scène sa peine face à sa vision de «la nature humaine«, qui le déçoit profondément et qu’il juge très sévèrement, plus que sa colère bien que manifeste. Il semble dans la mise en scène de Laurence Hétier qu’Alceste, en parfait désaccord avec son amante, soit victime. Bien entendu, il est la victime des mœurs de son temps qu’il considère trop légères car profondément hypocrites, mais il est la victime de Célimène.
Notons que Laurence Hétier a une vision très féministe de la pièce et ainsi la pièce paraît plus centrée sur ce personnage que sur celui d’Alceste. Tout d’abord, elle est la seule dont l’habillement semble significatif. Célimène est « coquette « et aime user de ses appâts pour séduire les hommes. Elle est coquette au sens de la Furetière qui définit le terme par : « dame qui tâche de gagner l’amour des hommes […] les coquettes tâchent d’engager les hommes et ne veulent point s’engager «. Le caractère de Célimène prend tout son sens à la lecture de cette définition. Nous en avons de nombreux exemples au cours de la pièce ; à la scène II de l’acte V, dans laquelle Oronte et Alceste pressent Célimène à cesser le jeu auquel elle se donne et à choisir l’un d’eux ; ou encore à la dernière scène de la pièce où sont révélés de façon éclatante ses procédés de coquetterie. Célimène semble une femme libérée qui s’affirme et assume parfaitement la légèreté de ses mœurs. Ce trait est mis en valeur chez Laurence Hétier. Nous le percevons par plusieurs éléments mis en scène.
Tout d’abord, Célimène est toujours vêtue de rouge, ce qui ne semble pas anodin. La couleur rouge étant la couleur du feu, connotant la vivacité, elle est aussi la couleur de la sensualité. Cette couleur associée à Célimène nous annonce d’emblée les traits de ce personnage que nous découvrons le long de la représentation.
Notons qu’elle fait son entrée presque toute de noir vêtue (en référence à son deuil passé et dépassé ?) et se change à la vue des spectateurs dévoilant ainsi sa poitrine presque nue. Cet agissement est sans doute à ancrer dans la volonté de Laurence Hétier de montrer la liberté de Célimène, sa légèreté annoncée à la toute première scène. Cette interprétation est confirmée à la scène que l’on pourrait qualifier de scène des médisances, scène II de l’acte IV. En effet, accompagnée d’Acaste et de Clitandre, elle se prend au jeu de la médisance malgré la crainte qu’elle exprime plus tôt à Alceste : « Ils ne sauraient servir mais ils peuvent vous nuire ; / […] / On ne doit se brouiller avec ces grands braillards.«. Aussi, ce n’est pas tant accompagnée par Acaste et Clitandre, mais poussée par eux, qu’elle entre dans ce jeu de médire sur chaque personne de leur connaissance, et même jusque sur ses propres amis : « il est de mes amis. / […] / Oui ; mais il veut avoir trop d’esprit dont j’enrage… «. Chez Laurence Hétier, Célimène exalte son auditoire avec l’impression d’un plaisir certain, d’une jouissance qui est d’ailleurs liée à l’alcool, au vin qu’ils partagent sur scène. Sa légèreté se signe également par les gestes échangés avec les deux hommes, leur proximité, leurs baisers, leurs caresses ouvertement accueillis par elle. Célimène est maîtresse des scènes dans lesquelles elle apparaît et dans les discours qu’on porte sur elle lorsqu’elle n’intervient pas sur scène. C’est de cet aspect, semble-t-il que Laurence Hétier a désiré rendre compte.
Remarquons que Célimène ici, dans ces réceptions, apparaît insouciante, elle se donne, avec Clitandre et Acaste à des jeux d’enfants, ils rient ensemble jusqu’à se rouler par terre, ils froissent leurs vêtements…
Aussi tous ces éléments dont nous venons de faire état sont autant d’indices qui nous persuadent de l’empire féminin de cette pièce. D’une part, car Célimène affirme ici sa personnalité de femme libérée et maîtresse de sa vie, de sa volonté et d’autre part, car Alceste est d’une faiblesse de cœur plus ostensible que dans l’écriture de Molière. Son humeur est aux mains de tous les hommes et particulièrement aux mains celles de Célimène. Elle est, au-delà de la colère, chagrin. Remarquons, que cette inclinaison au chagrin dont est doté ici Alceste par Laurence Hétier peut tout à fait être interpréter employée au service de la puissance de Célimène, la puissance féminine. Ainsi, Alceste et Célimène incarnent leurs personnages par leurs jeux mais à des degrés divergents quant à l’impression que nous laisse la lecture du texte de Molière.
Ainsi, nous avons abordé au cours de notre étude la vision féministe de cette mise en scène, Célimène causant dans une mesure plus accentuée ou plus ostensible le malheur d’Alceste. Nous pouvons conclure que Laurence Hétier reste très attachée au texte original et aux interprétations que nous offrent déjà Molière. Seule la dimension diverge ; c'est-à-dire qu’elle use des mêmes fantasmes moliéresques quant aux personnages d’Alceste et de Célimène mais les dote de nuances. Cependant, dans l’expression d’une interprétation personnelle de la pièce, n’aurait-t-il pas fallu oser davantage dans ces nuances ? Il semble qu’en dépit de ces nuances personnalisées, la pièce n’accroche que peu le spectateur, dans la mesure où elle tente de présenter la vision personnelle du metteur en scène sans oser en étonner le spectateur par de plus fortes affirmations.
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