Maurice BLANCHOT (né en 1907) : Le roman, œuvre de mauvaise foi
Publié le 15/01/2018
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Maurice BLANCHOT (né en 1907)
.
Le roman, œuvre de mauvaise foi
Paul Bourget, dans les Nouvelles Pages de critique et de doctrine, considérait la crédibilité comme une des vertus essentielles du roman. Cette crédibilité naît de la naïveté et de la conviction du romancier; elle emporte l'adhésion du lecteur à l'histoire qui lui est contée. Elle parvient à donner pour vrai ce qu'on sait, de toute façon, fictif. Elle tend vers une limite qu'elle n'atteint jamais : l'hallucination. Maurice Blanchot montre ici que c'est en termes de mauvaise foi qu'il faut rendre compte des effets qu'elle suscite.
«
nous les faire sentir et vivre à travers les mots.
( ...
).Le roman est une œuvre
où les événements, les personna ges, en tant que fictifs , se réa lisent sur les
mots par un acte double, en perpét uel porte-à-faux, celui de l'éc riture et
celui de la lecture .
Que cette fiction ait justement besoi n des mots pour se
ré aliser, qu'en dehors d'eux elle n'ait aucun moyen spécifique de se man i
fester, cela suffirait à faire comprend re combien la fict ion est la réalité propre
du roman.
Mais d'autre part, du fait que l'écrivain ré alise en écrivant et
le lecteur en lisant, il serait tout à fait inexact de conc lure qu'à pa rtir de
cette réalisati on, plus rien d'essent iel ne distingue l'exist ence vraie et l'exis
tence évoquée par le roman.
C'est plutôt le con trai re.
Car, quelle que soit
l'in tensité de la suggestion romanes que et plus cette suggesti on est grande ,
plus aussi le lecteur, comme sans doute l'écrivain, entretient avec les êtres
et les événe ments de la fiction des rapp orts différents de ceux qui cons tituent
l' exi stence réelle, plus l'un et l'autre vivent dans l'irréel , s'en foncent dans
un monde d'où tout retour à l'exi stence vraie est renvoyé à plus tard.
Sans
do ute, le sen timent immédiat du lecteur, comme celui de l'éc rivain, souvent
plus naïf encore, le porte-t-il à attr ibuer à un coeffic ient de réalité extraor
dina ire l'envoûtement qu'exercent sur lui des êtres à ce point exigeants
qu' il ne peut s'en défaire, qu'i l leu r obéit : ils vivent, dit-il, ils son t rée ls.
Mais ce sentiment s'explique fort bien : non, les person nages du roman le
plus vrai ne sont pas vrais, ni viv ants, ni réels, mais fictifs, ils attirent si
puiss amment le lecteur dans la fict ion, que celui-ci se laisse momentanément
glisser hors du monde, perd le monde et est perdu pour lui, abandonne ses
poi nts de repèr e et, se vouant à une histoire où il s'en gage sans réser ve,
accepte, à pa rtir de cet instant, qu'elle lui tienne lieu de réel, la tient pour
r é elle , et, dans son existence de lecteur, en fait sa vie et toute vie.
Cela ne
prouve pas que la fict ion a cessé d'être imaginaire, mais qu'un être réel,
écriva in, lecteu r, fasciné par une certaine forme d'absence qu'il trouve dans
les mots et que les mots tirent du pouvoir fondamen tal de l'écriture
se dégage de tou te présence réelle et cherche à vivre dans l'absence de vie,
à s'irréaliser dans l'absence de réalit é, à constituer l'absence de monde comme
le seul monde véritable ( ...
).
Le roman, même s'il n' est pas symbo lique, prétend à représenter les
rappor ts véritables des êtres dans le monde, car il préte nd en incarner le
sens.
Cette préten tion à expr imer le sens de la réalité se fond e pa radoxa
lement sur l'irréalité qui est la manière d'être des choses romanesq ues :
im agina ires, celles-ci ont pour nature de rester toujours à distance, à l'écart
de ce qu'elles sont, de ce qu'elles seraient si elles étaient vraiment, et c'est
cette mise à l'é car t de la réalité qui à la fois fait leur réalité propre et leu r
permet de ren dre présent le mouvement par le quel le sens arrive aux choses
du monde ( .
..
) .
Le roman est une œuvre de mauvaise foi, mauvaise foi de la part du
rom ancier qui croit en ses personna ges et cepend ant se voit derrière eux,
qui les ignore, les réalise comme inconnus et trou ve dans les mots dont il
est maître le moyen de disposer d'eux sans cesser de croire qu'ils lui échap pent..
»
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