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Maupassant, Pierre et Jean chap 6 (questions + corrigé)

Publié le 08/10/2011

Extrait du document

maupassant

Guy de Maupassant, Pierre et Jean

 

Chapitre 6 : la demande en mariage

 

De « elle était adroite » à « ne sachant que faire » p. 87-88 (édition Librio)

 

Objectif : montrer comment dans une scène réaliste, Maupassant ne se prive pas de nous livrer sa vision personnelle du mariage et de l'amour.

 

Texte :

Elle était adroite et rusée, ayant la main souple et le flair de chasseur qu'il fallait. Presque à chaque coup, elle ramenait des bêtes trompées et surprises par la lenteur ingénieuse de sa poursuite.

Jean maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se penchait sur elle, simulait un grand désespoir de sa maladresse, voulait apprendre.

« Oh ! Montrez-moi, disait-il, montrez-moi ! »

Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l'un contre l'autre, dans l'eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait d'en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.

« Ah ! Que vous êtes ennuyeux ! disait la jeune femme ; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses à la fois. »

Il répondit :

« Je n'en fais qu'une. Je vous aime. »

Elle se redressa, et d'un ton sérieux :

« Voyons, qu'est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tête ?

- Non, je n'ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j'ose, enfin, vous le dire. »

Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait jusqu'aux mollets, et les mains ruisselantes appuyées sur leurs filets, ils se regardaient au fond des yeux.

Elle reprit, d'un ton plaisant et contrarié :

« Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment ! Que ne pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ? »

Il murmura :

« Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps. Aujourd'hui vous m'avez grisé à me faire perdre la raison. »

Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à parler d'affaires et à renoncer aux plaisirs.

« Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement. »

Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu’ils y furent installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :

« Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser. »

Il ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :

« Mais oui.

- En avez-vous parlé à votre père, et à votre mère ?

-Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez. »

Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :

« Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais déplaire à vos parents.

- Oh ! Pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ?

- C'est vrai, je suis un peu troublée. »

Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau ! Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles. Ils n'avaient plus rien à se dire puisqu'ils étaient d'accord et ils demeuraient maintenant un peu embarrassés tous deux de ce qui s'était passé, si vite, entre eux, un peu confus même, n'osant plus parler, n'osant plus pêcher, ne sachant que faire.

 

Questions :

 

  1. Dans quel cadre Jean décide-t-il de demander en mariage Mme Rosémilly ? Qu'en pensez-vous ?

    L’extrait est précédé par la descente vers la plage. Le désir de Jean est monté (« l’œil allumé, regardait fuir devant lui la cheville mince, la jambe fine, la hanche souple et le grand chapeau provocant ») et ses interrogations sur l’éventuelle demande en mariage ont fait place à la certitude. Arrivé sur la plage, il « la frôlait, se penchait sur elle » (p.87) Le cadre lui a semblé idéal (« un joli endroit pour parler d’amour », « eau si claire », « glace limpide », « clapotement de l’eau ».) Mme Rosémilly est accaparée par la pêche pour laquelle elle a des talents (« adroite et rusée, ayant (…) le flair de chasseur. »)

On a donc une situation de pêche (de chasse ?) où celle qui pêche est également une proie (« il la suivait pas à pas ») mais plus expérimentée que celui qui la « chasse. » La scène est en partie ridicule : les attentions de Jean semblent très naïves eu égard à l’expérience de Mme Rosémilly (à son reflet, Jean « du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus », p.87, « ils étaient debout (…) dans la mare salée qui les mouillait jusqu’aux mollets. »)

 

  1. Montrez que tout ne se passe pas comme il l'avait prévu.

    Ce paradoxe se poursuit dans la demande en mariage qui suit. Jean (par le point de vue interne développé) utilise un vocabulaire galant et précieux (« gentillesses galantes », « refus qui disent oui », « coquette comédie d’amour », p. 88) et joue (il « simulait un grand désespoir », p. 87.) Il se déclare et répète deux fois « je vous aime. » Il est le seul à parler d’amour. A la fin de l’extrait, on constate sa déception (« et il s’étonnait », « il s’attendait à », « il répondit niaisement. »)

    La demande en mariage débouche sur le silence (« ils se turent », p.88, « n’osant plus parler », « ils n’avaient plus rien à se dire », p.88), sur le vide (« c’était fini », les négations, « n’osant plus parler, n’osant plus pêcher, ne sachant que faire. ») Pour Jean, le résultat est mitigé et décevant : « ton plaisant et contrarié. » Il n’y a pas d’enthousiasme : les modalisateurs « un peu » et « bien » montrent la tiédeur et on note aussi l’importance du champ lexical de la gêne (« moi, je veux bien » p.88, « un peu troublée », p.88, « un peu embarrassés », « un peu confus », p.88.)

Mme Rosémilly est présentée comme une chasseresse expérimentée (« main souple », « lenteur ingénieuse », « flair de chasseur », « presqu’à chaque coup »), mais aussi de façon négative (elle est « rusée » et les « bêtes (sont) trompées et surprises. ») La pêche est pour elle plus importante que la déclaration de Jean car elle doit « renoncer aux plaisirs » pour lui parler. Elle émet des jugements négatifs (« que vous êtes ennuyeux », « avez-vous perdu la tête ? », « que vous êtes malavisé », « me gâter la pêche. »)

La scène s’oppose à celle, conventionnelle, où l’homme est un prédateur qui se marie à un âge avancé et la jeune femme, inexpérimentée, demande un cadre poétique à la déclaration d’amour.

 

  1. Quelle vision du mariage et de l'amour selon Maupassant transparaît dans cette scène ?

Le cadre de la demande en mariage semblait à Jean idéal. Mais MAUPASSANT qui a préféré rester célibataire a une vision pessimiste du mariage et de l’amour.

 

1- Le mariage comme affaire

La déclaration d’amour se transforme par la logique bourgeoise en discussion d’un contrat : « si vous vous décidez aujourd’hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m’épouser. » Ils s’assoient (« asseyons-nous sur ce rocher (…) nous pourrons causer tranquillement ») On passe de « ils se regardaient au fond des yeux » (p.87) à « lorsqu’ils furent installés côte à côte » (p.87) Le vocabulaire montre l’importance des décisions (« Nous savons (…) peser les conséquences de nos actes », « si vous vous décidez aujourd’hui », « exposé net. ») Le contrat est validé par une poignée de main, comme à la foire (« Elle lui tendit sa main (…) il y mettait la sienne », p.88) Il nécessite le consentement des parents (p.8). On peut remarquer que pour Jean, ceux-ci se résument à sa mère (« je ne voudrais pas déplaire à vos parents. – Oh ! Pensez-vous que ma mère (…) », p.88)

 

 

2- La conception de l’amour

Le mariage n’a non seulement pas de relation avec les plaisirs (« renoncer aux plaisirs », p.87) mais il est signe d’absence de liberté (« il se sentait lié, marié. ») Dans la conception bourgeoise, l’amour conduit « naturellement » au mariage. Pour le philosophe pessimiste allemand du XIXème siècle SCHOPENHAUER que MAUPASSANT appréciait, l’amour n’existe que dans le but de la reproduction et le choix de la personne aimée ne se fait qu’en fonction de la meilleure reproduction possible : le couple ne fait que perpétuer un modèle. Au Chap. 5, Pierre voit la plage comme « une halle d’amour où les une se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresses et celles-là se promettaient seulement. » Les « honnêtes femmes » sont « enfermées dans la maison close. » Au sens second, Mme Rosémilly est une pêcheuse/pécheresse. Les chapitres 5 et 6 se répondent donc, cet extrait semblant donner en partie raison à Pierre qui, plus loin, après avoir observé le nouveau couple, dit à sa mère « j’apprends comment on se prépare à être cocu. » La création du couple Jean-Mme Rosémilly est la reformation du couple Roland et non celle du couple adultérin : Jean a évalué (avant cet extrait) les poids financiers respectifs, l’amour est absent de leur discussion et rien dans les propos de Mme Rosémilly laisse penser que les sentiments sont partagés. Le couple part donc sur de mauvaises bases. Mme Rosémilly est un substitut de la mère (dans le même chapitre, voyant la « muraille blanche et sans fin de la falaise » elle s’exclame : « ça c’est beau » comme Mme Roland au chap. 1 « regardait d’un air attendri le large horizon de falaises ») et Jean une image du père Roland.

 

Conclusion

La scène de la déclaration d’amour est grotesque : cadre qui se veut romantique mais situation ridicule et inversion des rôles. Cet extrait montre aussi clairement la conception pessimiste de l’amour et du mariage de MAUPASSANT : l’amour est directement associé à l’intérêt et le mariage est d’abord un contrat. Il donne raison à Pierre et l’on peut voir là aussi combien Pierre est un représentant de l’écrivain.

     

 

 

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