Marguerite Yourcenar : Les Mémoires d'Hadrien
Publié le 27/07/2010
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1. Les Mémoires d’Hadrien Le cadre spatio-temporel Hadrien a vécu de 78 à 138 après J-C. Ce que l’ont peut dire de la chronologie, c’est qu’elle échappe aux lois traditionnelles de l’autobiographie. Le roman commence par la vieillesse et la mort approchante d’Hadrien. Marguerite Yourcenar va tout de même restituer la vie d’Hadrien dans un ordre chronologique mais avec des nombreux retours en arrière, de nombreuses anticipations, et retour au présent, c'est-à-dire le temps de l’écriture. Le récit est truffé d’indications temporelles, comme l’âge de l’empereur, mais rarement de date précise. Ces dates précises sont néanmoins très importantes, car elles signifient un évènement marquant pour l’empereur (mort d’Antinoüs) Epoque : difficile de donner une date précise, car elles sont rares Période de la vie d’Hadrien : il est plus aisé de définir le cadre temporel par rapport à la vie d’Hadrien Saison : Les saisons se substituent souvent aux dates et indications de durée, Hadrien ressent le temps qui passe au travers des saisons, qu’il connote toujours. Le rythme des saisons marque aussi le rythme de la vie d’Hadrien. Parfois elles n’ont qu’une valeur temporelle, parfois elles s’accordent avec la vie et les émotions du narrateur. Lieu : Hadrien appartient à la grande famille des voyageurs Yourcenariens. Il mène une existence nomade. Essayer d’indiquer le lieu avec l’extrait. Le cas échéant préciser que l’extrait ne donne pas d’indications précises. Analyse thématique Axe thématique : le temps et la mort Hadrien a été toute sa vie confronté à la mort. C’est même la proximité de sa propre mort qui justifie l’écriture des mémoires, l’introspection et le bilan. La mort se manifeste de diverses manières dans le roman, c'est-à-dire dans l’existence d’Hadrien : suicides, maladies, sacrifices rituels, guerres ; morts naturelles et morts violentes. La morbidité imprègne toutes les grandes étapes de la vie de l’empereur. La mort qui imprègne les périodes guerrières d’Hadrien l’écœure et l’empereur fait part de son vieillissement moral d’une guerre à l’autre. Devenu empereur il orientera sa politique vers la paix et donc la sauvegarde de la vie. On a donc déjà un rejet de la mort, bien qu’elle ne soit à ce moment là qu’une étape obligée d’un parcours politique, dans le contexte de l’époque. La mort jalonne la vie d’Hadrien ; sa femme, Trajan (son prédécesseur), Lucius (qu’il avait adopté), Plotine… C’est cependant des morts qui n’atteignent que peu l’empereur. La mort n’atteint vraiment Hadrien que lorsqu’Antinoüs se suicide ; c’est là que le problème métaphysique de la mort se pose vraiment pour le personnage principal. Hadrien, face à cette mort, tente de résister comme il le peut ; rituels, embaumement, adoration, élévation d’Antinoüs au rang d’un Dieu… culte… Ces efforts, ces tentatives de prolonger l’existence d’Antinoüs à travers des rituels montrent qu’Hadrien se heurte douloureusement à la réalité de la mort. Il essaye de donner l’immortalité à Antinoüs par le biais des rituels. La lutte contre la mort est donc une caractéristique d’Hadrien ; tant dans sa vie d’homme politique, ou il est un bâtisseur acharné, qui s’efforce de maintenir la paix , que dans sa vie personnelle, ou il lutte contre le temps : le processus même de l’écriture de Mémoires témoigne l’importance de laisser une trace, de faire subsister son essence. On a également le rapport d’Hadrien avec sa propre mort ; ce rapport passe par 3 phases : La mort biologique ; comme destin inéluctable, du au vieillissement ou à la maladie ; c’est un concept auquel Hadrien adhère et qui ne l’émeut guère. La mort comme finitude ; avec son propre vieillissement, la mort devient permanente, obsédante : il va subir la tentation du suicide puis finalement y renoncer. On a l’acceptation d’un homme devant son destin. La mort comme phase terminale de la vie ; coïncide avec la fin du roman. La morbidité est exacerbée, mais la mort d’Hadrien est pleine de représentations mythologiques de l’Au-delà et si elle termine bien la « vie «, elle semble ouvrir sur autre chose. Si l’on compare le personnage d’Hadrien à l’auteure, on constate quelques similitudes, notamment au niveau de la volonté de paix d’Hadrien, qui s’efforce de la maintenir et de la bâtir, de son rejet de la guerre et donc de la mort ; Hadrien était un empereur défini comme « humaniste «, et ce coté humaniste se retrouve chez l’auteure, elle aussi souvent caractérisée d’auteure humaniste. Citation de l’Œuvre au Noir : « Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins une fois le tour de sa prison ? « personnage de Zénon, qui présente d’ailleurs beaucoup de similitudes avec Hadrien. Hadrien fait donc partie de la famille des grands voyageurs Yourcenariens. Toute l’œuvre est rythmée par ses voyages, il est nomade. En cela, il s’oppose à la majorité des hommes qui vivent sédentairement, et donc il échappe à un ancrage, à des habitudes ; en se déplaçant sans cesse il est confronté à des cultures différentes, des modes de vie différents, des rites différents… Le roman est aussi jalonné par des moments d’harmonie entre l’homme et le cosmos ; Hadrien trouve dans certains lieux une communion entre lui-même et le monde. Il y a des points géographique qui ont une symbolique forte pour Hadrien ; Athènes, cité du cœur ; il est profondément hellénique, amoureux de la culture Grecque. Rome est aussi un lieu particulier pour lui ; c’est l’emblème d’un idéal qu’il cherche à étendre au monde ; un idéal d’ordre. Antinoë est une cité qui prend son importance dans la mythologie personnelle d’Hadrien ; cité tragique, elle a été bâtie en l’honneur d’Antinoüs. Cette cité est le symbole de deux préoccupations majeures d’Hadrien ; combattre temps et la mort. Le corps est souvent utilisé par Hadrien comme métaphore du monde. Il utilise des comparaisons tantôt positive, tantôt négative, en introduisant le champ lexical de la maladie ; le monde est corps malade, que l’Empereur doit tantôt amputer de tel plaie infectée ; métaphore qu’il utilise pour parler de la guerre de Judée. On a donc de nouveau cette idée d’un monde qui est régit par les mêmes lois que celui du corps ; et donc d’une harmonie entre l’humanité et le cosmos, puisque tout les deux sont fait de la même substance. Hadrien subira la maladie et le vieillissement de son corps comme un enfermement ; en effet, cela le force à devenir sédentaire, à se fixer. Son obsession pour la mort commence alors, car la mort représente le seul « départ « possible pour lui, sa seule possibilité de voyage. Marguerite Yourcenar est très proche de son personnage sur ce plan là, car elle a mené elle-même une vie proche du Nomadisme. Beaucoup de ses personnages sont épris du voyage, nomades dans l’âme, notamment Zénon.
Portrait d’Hadrien
Hadrien est un personnage multi face ; il a plusieurs visages, plusieurs vies. Il est érudit ; profondément helléniste, humaniste ; il fréquente les philosophes, les poètes, s’ouvre aux différentes cultures, aux différentes religions. Il est d’une curiosité insatiable. Il est également esthète ; amoureux du « beau «, de la perfection. C’est un homme de contrôle, qui désire organiser, bâtir, maîtriser. Se le plan amoureux, la préférence d’Hadrien va aux amours masculines, c’est d’ailleurs une caractéristique typiquement Yourcenarienne : le personnage de l’œuvre au noir, Zénon, a la même préférence, et finalement l’auteure elle-même était homosexuelle. Les femmes ne l’intéressent que très peu, d’ailleurs il n y a qu’une seule figure féminine qui soit connotée positivement ; Plotine, qui est en quelque sorte son égale féminine. Sur le plan de l’homme public, de l’empereur ; Hadrien met en œuvre ses idées humanistes ; il œuvre pour la paix et l’ordre, la prospérité comme objectif ultime. Il est également progressiste ; il améliore le statut de la femme, le statut des esclaves. Là encore, on peut faire un parallèle entre Hadrien et certains autres personnages de Marguerite Yourcenar, car c’est un personnage visionnaire, en avance sur son temps, tout comme l’est Zénon dans l’œuvre au noir, par exemple. Cependant il ne faut pas omettre une caractéristique importante d’Hadrien ; bien qu’humaniste, épris de paix, il reste un despote ; il exile les gens qui lui déplaisent, il impose ce qu’il lui plait ; il ne tolère pas les juifs et leurs différences culturelles. C’est un homme de pouvoir. Il est également un homme d’introspection, qui éprouve le besoin de juger et d’examiner, y compris sa propre vie et sa propre personne. Cela complète le coté perfectionniste de l’homme ; la démarche même d’écrire ses Mémoire est motivée d’une part par sa mort qui approche, mais également par le désir de transmettre à son successeur, ses plans, ses idées, de transmettre ses projets et de s’assurer que ce qu’il a mis en place continuera dans l’avenir. Il est donc dans l’idée de contrôler son œuvre même au-delà de la mort. En nous livrant un héros qui fait un long examen de conscience, qui s’interroge sur des thèmes qui finalement sont les interrogations de chaque être humain, Marguerite Yourcenar fait le portrait d’un homme qui nous est contemporain, ou simplement universel. Tonalité de l’œuvre La démarche d’Hadrien, celle d’écrire ses Mémoires, est donc motivée par le besoin de faire un bilan avant sa mort, et par le besoin de transmettre à son successeur ses idées et ses projets ; quelle est donc la tonalité de l’œuvre ? Marguerite Yourcenar a très bien défini le ton des Mémoires d’Hadrien ; je cite ; « il s’agit d’un ton soutenu, mi-narratif, mi-méditatif, d’où tout échange verbal est ipso facto banni. « Marguerite Yourcenar a fait « parler « Hadrien, de sorte que historiquement parlant, ça soit le plus crédible possible ; elle s’est inspirée des quelques écrits que le véritable Hadrien a laissé, et a créé le monologue d’Hadrien. L’œuvre a une palette de tonalité assez riche, toutes dans le registre autobiographique ; on a tantôt le ton de l’aveu, de la confidence, la tonalité didactique, instructive, voire même moralisatrice. Le ton est mêlé de lyrisme, et toujours dans un style rigoureux et décent ; la langue utilisée est noble, classique ; c’est toutes ces caractéristiques qui forment ce que Marguerite Yourcenar appelle le « ton togé «, qui donne à l’empereur une dignité perceptible, et marguerite Yourcenar parle même d’une « dignité sans laquelle nous n’imaginons pas l’Antique «. L’auteure a également parlé du « portrait d’une voix « ; celle d’un empereur, qui n’a certes pas de timbre, puisqu’elle n’est que écrite, mais qui a le chant du verbe. La rigueur du ton n’exclut pas la beauté de la langue, que Marguerite Yourcenar maîtrise à la perfection ; les Mémoires d’Hadrien sont souvent poétiques, le récit est monodique mais pas monocorde ; le texte est riche en figure de style, et l’auteure exprime la sensibilité de l’empereur ; l’éventail de ses sentiments. Le statut du narrateur Le roman est écrit en focalisation interne ; avec le « je «. Le narrateur est donc Hadrien. Quel est son statut ? Il est évidemment omniscient puisqu’il raconte sa vie. Cependant on peut noter que parfois sa figure s’estompe et que son discours devient plus impersonnel ; c’est le cas lorsqu’il médite longuement pour finalement aboutir à une maxime universelle ; alors il emploie les pronoms indéfini « on «, ou « nous «. On peut parler de « dilatation du Je « qui acquiert alors une valeur universelle. De manière générale, le narrateur voyage dans les espaces temps ; il est parfois le narrateur du présent, c'est-à-dire au temps de l’écriture, et parfois il est un narrateur plongé dans le passé. Le narrateur prend régulièrement des avances sur son récit ; il jalonne l’histoire chronologique d’indices, notamment lorsqu’il parle de la mort d’Antinoüs, qu’il évoque bien avant de relater sa rencontre et les années à ses cotés. Comparaison entre le personnage de Zénon, dans l’œuvre au noir et Hadrien Les deux héros présents des similitudes assez intéressantes : Ce sont deux personnages qui ont un caractère semblable ; érudits, curieux, ouvert à toutes les sciences, de caractère humaniste ; Zénon est médecin, Hadrien est un empereur dévoué à la paix. Ils ont tout les deux une grande exigence morale. Ils appartiennent à la même famille des voyageurs Yourcenariens ; nomadisme, découvertes. Le point commun le plus intéressant qu’ils partagent, c’est qu’ils sont tout deux des hommes en avance sur leur époque. Certains critiques ont émis l’idée que l’œuvre au noir était le pendant médiéval des Mémoires d’Hadrien. Le contexte change cependant énormément et change également les deux personnages ; Zénon n’est pas un homme de pouvoir, il vit dans une peur constante et le voyage est une obligation pour lui, ou il s’apparente davantage à une longue fuite. Les deux personnages présentent néanmoins de troublantes similitudes ; leur rapports aux femmes notamment ; pour Zénon, les femmes ne jouent pas de rôles importants dans sa vie, et sa préférence va aux amours masculines, tout comme Hadrien. Etude stylistique La langue est extrêmement soutenue, de facture très classique : un vocabulaire très riches en mots anciens, des tournures de phrases ouvragées, un usage du latin régulier, de très nombreuses références à la culture antique, notamment la culture grecque. Très peu, voire pas d’expressions triviales, de langage familier. Pourquoi un tel niveau de langue ? Pour que cela soit en accord avec le portrait moral et sociologique du personnage ; c’est une démonstration d’une érudition phénoménale, qui est celle d’Hadrien, mais également celle de l’auteure elle-même. Le récit oscille entre poésie, style essayiste, réflexions philosophiques, le récit comporte plusieurs maximes, plusieurs sentences. Il faut remarquer qu’il n y a absolument aucun dialogue dans l’ensemble du roman. Tous les personnages qui gravitent autour d’Hadrien sont donc à quelque part des êtres silencieux et désincarnés. Cela renforce la figure de l’empereur, de l’homme de pouvoir, à quelque part lui confère une identité quelque peu despotique ; seule son point de vue étant donné, et les autres n’existant qu’à travers lui.
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